- Climat
Les grandes régions viticoles pourraient disparaître à cause du réchauffement climatique, l’Europe particulièrement touchée

Avec la poursuite du changement climatique, certains produits de nos supermarchés seront affectés. L’un d’entre eux fait déjà face à des défis : le vin.
La vigne est particulièrement sensible au changement climatique et elle est menacée par la hausse des températures[1]. Toutes les régions viticoles sont déjà touchées, mais les impacts varient d’une région à l’autre : l’Europe est la plus affectée, comme l’a révélé une étude scientifique au printemps dernier[2].
Malgré ces preuves scientifiques, certains affirment que le changement climatique est une bonne nouvelle pour le vin. Olivier Poels, rédacteur en chef adjoint de « La Revue du Vin de France », a déclaré dans le journal de BFM TV en avril 2025 : « […] pour la viticulture, c’est une bonne nouvelle que ce réchauffement climatique parce qu’on a des raisins qui sont plus mûrs, […] qui ont meilleur goût, et quand il a meilleur goût il fait du meilleur vin. » Ce discours est trompeur : comme nous le verrons, les régions qui rencontreront de graves difficultés sont bien plus nombreuses que celles qui en tireront profit.
Pourquoi s’en soucier ? Le changement climatique met en péril ce patrimoine culturel. Des vestiges archéologiques suggèrent que les humains produisent du vin depuis plus de 8 000 ans, et la viticulture est profondément ancrée dans de nombreuses cultures. L’UNESCO a classé de nombreux vignobles au Patrimoine mondial de l’humanité – des sites protégés pour leur “valeur universelle”.
Le raisin de cuve – destiné à la production de vin – est également la troisième culture horticole la plus rentable au monde, après les pommes de terre et les tomates[3]. En 2024, les exportations mondiales de vin sont estimées à 35,9 milliards d’euros. Les régions viticoles du monde entier risquent des pertes économiques et culturelles du fait de l’impact du changement climatique sur les vignobles[3].
Ci-dessous, nous résumons les connaissances scientifiques sur les effets du changement climatique sur le vin, ses arômes, ainsi que sur les régions viticoles.
À RETENIR :
- La production de vin de qualité nécessite des raisins cultivés dans des conditions optimales concernant le type de sol, le climat et la géographie.
- Le changement climatique affecte déjà toutes les régions viticoles, et les scientifiques prévoient que ces changements se poursuivront avec le réchauffement climatique.
- L’augmentation des températures devrait modifier les régions propices à la culture de la vigne. Si certaines régions actuellement impropres à la viticulture pourraient devenir adaptées, de nombreuses régions viticoles actuelles pourraient devenir moins adaptées.
- Le changement climatique affecte certaines régions viticoles plus que d’autres. La France, par exemple, a été particulièrement touchée par la hausse des températures maximales pendant la période de croissance de la vigne et par l’augmentation du nombre de journées chaudes (supérieures à 35 °C).
- Bien que les viticulteurs puissent s’adapter dans une certaine mesure, il est possible que la poursuite de leur activité devienne économiquement non viable pour certains.
Les raisins de cuve sont sensibles à la hausse des températures, et le changement climatique affecte déjà toutes les régions viticoles
Pourquoi le changement climatique affecte-t-il la vigne ? Les raisins de cuve – en particulier ceux de qualité – nécessitent des conditions de culture très spécifiques : suffisamment chaudes et sèches, mais sans excès. Les régions tempérées offrent les conditions idéales pour la culture de la vigne (Figure 1)[3].
Actuellement, la plupart des vignobles sont situés aux latitudes moyennes – dans des régions comme la Californie, le sud de la France, le sud de l’Australie et le nord de l’Italie, entre 30° et 50° de latitude (Figure 1). Cependant, le climat terrestre évolue en raison de l’augmentation des gaz à effet de serre émis par les activités humaines. Par conséquent, les régions adaptées à la culture de la vigne sont en train de changer[2,3].
Figure 1 – Les régions viticoles à travers le monde sont actuellement concentrées dans autour des latitudes moyennes (entre 30° et 50°). L’échelle de couleur violette indique le volume de vin produit dans chaque pays (plus la couleur est foncée, plus la production est importante). Les points noirs représentent les principaux pays producteurs de vin (on constate qu’ils sont situés principalement dans les latitudes moyennes). Source : Science Feedback d’après les données du rapport « État du secteur vitivinicole mondial en 2024 »
Comme indiqué dans le rapport 6ème rapport de synthèse du GIEC, la température est le principal facteur influençant le développement de la vigne, et le réchauffement climatique récent a entraîné un avancement de la floraison, de la maturation et des vendanges (figure 2)[1]. Cette tendance devrait se poursuivre.
La hausse des températures affecte le cycle de vie (phénologie) des raisins, ce qui influe sur la qualité du vin. Pour obtenir les caractéristiques gustatives souhaitées, les vignerons doivent vendanger les raisins à un stade de maturité optimal. Comme l’explique Bordeaux Sciences Agro :
« Pour produire un vin de qualité, les raisins doivent atteindre leur maturité. Sinon, le vin obtenu sera pauvre en alcool, acide et aura des arômes végétaux. En revanche, si les raisins atteignent leur pleine maturité sous un climat trop chaud, ils risquent d’être trop sucrés (et par conséquent le vin trop alcoolisé), de manquer d’acidité (ce qui affecte la fraîcheur du vin) et d’avoir un profil aromatique dominé par des arômes de fruits cuits. »

La hausse des températures affecte déjà les dates de récolte en Europe, où les températures maximales et le nombre de jours chauds (supérieurs à 35 °C) ont considérablement augmenté depuis le début du réchauffement climatique d’origine anthropique[2].
Dans un article publié en 2012 dans la revue EGU Climate of the Past, des scientifiques ont analysé les dates de récolte à travers de 27 régions – principalement en France, afin d’observer leur évolution en fonction de la hausse des températures.
Des tendances claires apparaissent : les récoltes très tardives étaient fréquentes du XVIIe au début du XIXe siècle, tandis que les récoltes très précoces sont devenues plus fréquentes depuis le milieu du XIXe siècle[4].
Les scientifiques ont constaté une forte corrélation entre les dates de récolte et les températures locales enregistrées. Par exemple, les températures les plus extrêmes enregistrées dans ces régions correspondent à des périodes de récoltes précoces voire très précoces (au cours du siècle dernier) (figure 3).

*Note : les z-scores sont des valeurs calculées qui prennent en compte la “norme” de chaque région (voir la formule au paragraphe 3.3, page 1414). Par exemple, vendanger en septembre peut être tardif pour une région, mais normal pour une autre – il en va de même pour les données de température. Les scientifiques ont donc transformé chaque donnée en z-score, puis calculé la médiane (valeur centrale) pour chaque année. Cela leur a permis de comparer les données entre les régions et d’observer l’évolution des vendanges et des températures. Pour la température, un z-score positif indique des températures extrêmement élevées. Pour la date de récolte, un z-score positif indique une récolte plus tardive.
Compte tenu du lien entre températures et dates de récolte, et des preuves évidentes du réchauffement climatique au cours du siècle dernier, les scientifiques n’ont pas été surpris par cette découverte. Comme l’expliquent les auteurs :
« La tendance vers des vendanges de plus en plus précoces depuis 1970 est en accord avec la tendance au réchauffement du 20e siècle. »[4]
Des vendanges plus précoces ont également été observées dans de nombreuses régions du monde[3]. Dans un article de 2024 publié dans Nature Reviews Earth & Environment, des scientifiques ont analysé plus de 250 publications scientifiques des 20 dernières années. Les auteurs expliquent :
« Dans la plupart des régions viticoles à travers le monde, les vendanges ont avancé de 2 à 3 semaines au cours des 40 dernières années. »[3]
Comment le changement climatique impactera-t-il les différentes régions viticoles ?
Les climatologues s’attendent à ce que ces retombées perdurent ou s’empirent à l’avenir. Dans l’article mentionné ci-dessus, les auteurs expliquent :
« Près de 90 % des régions viticoles historiques des régions côtières et de plaine d’Espagne, d’Italie, de Grèce et du sud de la Californie pourraient être menacées de disparition d’ici la fin du siècle en raison d’une sécheresse excessive et de vagues de chaleur plus fréquentes liées au changement climatique. »[3]
Les figures ci-dessous (Figures 4 à 9) montrent que, à l’avenir, certaines régions deviendront probablement plus adaptées à la culture de la vigne (bleu foncé sur les cartes « Future sustainability »), tandis que d’autres qui sont actuellement adaptées le seront moins, voire plus du tout (jaune à rouge sur les mêmes cartes)[3].
Mais avec un réchauffement plus important, les effets deviennent majoritairement négatifs. Si nous parvenons à limiter la hausse de la température mondiale à 2°C, un peu plus de la moitié des vignobles devraient être préservés (25 % pourraient bénéficier du réchauffement, et 26 % pourraient perdurer avec des pratiques de gestion appropriées)[3]. Cependant, au-delà de 2°C de réchauffement, les scientifiques prévoient qu’environ 70% des régions viticoles actuelles présentent un « risque substantiel » de devenir inadaptées à la viticulture[3].
Parmi ces régions exposées à un risque substantiel, les auteurs de l’étude de l’article de 2024 soulignent :
« 29% [d’entre elles] pourraient connaître des conditions climatiques trop extrêmes, empêchant la production de vins de qualité supérieure, tandis que l’avenir des 41% restants dépendra de la faisabilité de mesures d’adaptation efficaces. »[3]
Figure 4 – La géographie de la production viticole évolue sous l’effet du changement climatique. Si la viticulture est actuellement majoritairement pratiquée aux latitudes moyennes, certaines régions viticoles actuelles pourraient disparaître (Europe du Sud) tandis que de nouvelles régions émergeront (Europe du Nord). Pour une meilleure visibilité, les incertitudes sont exclues de ce graphique, mais peuvent être consultées dans la publication scientifique. Source : adapté de Leeuwen et al. (2024)[3]
Amérique du Sud
Amérique du Nord
Océanie
Asie
Afrique
Figures 5 à 9 – Le réchauffement climatique a un impact sur l’aptitude à la culture de la vigne dans les régions suivantes : Amérique du Sud, Amérique du Nord, Océanie, Asie et Afrique. Source : Science Feedback, avec les données de van Leeuwen et al. (2024)[3]
Le changement climatique a également un impact sur la qualité et les arômes du vin
Le changement climatique impacte également le vin en altérant son goût et ses propriétés, comme la teneur en alcool, l’acidité et même ses arômes. L’article de 2024 de van Leeuwen et collaborateurs explique que si les vins actuels ont tendance à avoir un arôme de fruits frais, un climat plus chaud pourrait le transformer en un arôme de fruits trop mûrs/cuits (figure 10).
Alors pourquoi ces changements se produisent-ils ? Des températures plus élevées augmentent l’accumulation de sucre, diminuent l’acidité et affectent les métabolites secondaires[1]. Ceux-ci, dont plusieurs centaines ont été identifiés dans le raisin[5], affectent les saveurs, les couleurs et les arômes du vin.
Le stress dû au déficit hydrique – induit par le changement climatique dans certaines régions – réduit la croissance des pousses et la taille des grains, et augmente la teneur en tanins et en anthocyanes (deux des « métabolites secondaires » du raisin). Enfin, comme l’explique le GIEC, l’augmentation des concentrations de CO2 aura des effets contrastés sur la croissance et la qualité de la vigne. Ainsi, le vin peut gagner en alcool et devenir moins acide[6,7]. Une diminution de l’acidité peut rendre le vin sujet à l’altération microbiologique, susceptible de créer des saveurs indésirables.
En résumant les impacts, le GIEC explique :
« Les solutions d’adaptation varient selon les régions. Dans les régions où les températures froides constituent un facteur limitant, le réchauffement permettra aux viticulteurs de cultiver une plus large gamme de cépages et d’obtenir des vins de meilleure qualité. En revanche, les régions subtropicales et méditerranéennes connaîtront une baisse importante de la qualité des raisins destinés aux vins haut de gamme. »[1]
La superficie mondiale du vignoble diminue en raison de différents facteurs, dont les conditions climatiques extrêmes
À l’échelle mondiale, la superficie des vignobles diminue. 2024 a été la quatrième année consécutive de déclin, porté par l’arrachage de vignes dans les principales régions viticoles des deux hémisphères, selon l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) (figure 11).
Figure 11 – La superficie du vignoble diminue dans toutes les grandes régions viticoles. Source : Organisation internationale de la vigne et du vin.
D’autre part, de nouvelles régions viticoles voient le jour. Par exemple, la Belgique a commencé à planter des vignes en 2011, couvrant aujourd’hui près de 1 000 hectares. On produit également du vin en Bretagne. Mais comme nous l’avons noté, cela ne suffit pas à compenser la diminution de la surface des vignobles à l’échelle mondiale.
En ce qui concerne la production de vin, l’OIV souligne :
« Pour la deuxième année consécutive, les conditions climatiques extrêmes et la pression exercée par les maladies qui en résulte ont gravement affecté les vignobles du monde entier, entraînant des chiffres historiquement bas de production mondiale de vin. […] En 2024, la production totale est tombée à 225,8 millions d’hectolitres – le niveau le plus bas depuis plus de 60 ans – en baisse de 4,8% par rapport à l’année précédente. »
Mais l’organisation note également que les effets des conditions climatiques extrêmes ont été exacerbés par les pressions économiques et commerciales. En 2024, la consommation mondiale de vin a diminué de 3,3% par rapport à 2023 – si cette estimation est correcte, il s’agit de la consommation la plus faible depuis 1961. En 2023 et 2024, le commerce du vin a pâti de la baisse de la demande et des prix moyens élevés à l’exportation.
En effet, le changement climatique n’est pas le seul facteur qui entre en jeu dans la production de vin.
La production de vin pourrait devenir insoutenable économiquement dans certaines régions en raison du changement climatique, malgré les mesures d’adaptation
Les viticulteurs pourraient s’adapter à un certain niveau de réchauffement, mais certaines régions pourraient devenir économiquement insoutenables à l’avenir. Comme expliqué dans l’article de 2024 cité précédemment :
« Les producteurs actuels peuvent s’adapter à un certain niveau de réchauffement en modifiant leurs plants (cépages et porte-greffes), la gestion des vignobles et la formation des apprenants. Cependant, ces mesures pourraient ne pas suffire à maintenir une production viticole économiquement viable dans toutes les régions. Les recherches futures devraient se pencher sur l’évaluation de l’impact économique des stratégies d’adaptation au changement climatique déployées à grande échelle. »[3]
Comme nous l’avons souligné précédemment, 70 % des régions viticoles seront exposées à un « risque substantiel » lié au changement climatique si les températures globales dépassent 2°C de réchauffement. Même si certaines régions sortiront gagnantes du réchauffement climatique, la majorité des vignobles vont souffrir des pressions du changement climatique et seront contraints d’adapter leurs pratiques, sans garantie de succès.
RÉfÉrences
- 1 – IPCC (2021) Sixth Assessment Report.
- 2 – Wolkovich et al. (2025) Uneven impacts of climate change around the world and across the annual cycle of winegrapes. PLOS Climate.
- 3 – van Leeuwen et al. (2024) Climate change impacts and adaptations of wine production. Nature Reviews Earth & Environment.
- 4 – Daux et al. (2012) An open-access database of grape harvest dates for climate research: data description and quality assessment. EGU Climate of the Past.
- 5 – Rienth et al. (2021) Grape Berry Secondary Metabolites and Their Modulation by Abiotic Factors in a Climate Change Scenario–A Review. Frontiers in Plant Science.
- 6 – Mira de Orduña (2010) Climate change associated effects on grape and wine quality and production. Food Research International.
- 7 – van Leeuwen et al. (2019) An update on the impact of climate change in viticulture and potential adaptations. Agronomy.