L’IFRAP, think tank dirigé par Agnès Verdier-Molinié, relaie les mêmes informations trompeuses sur l’énergie que celles entendues à la TV et radio

Posté le : 4 Nov 2025

CNews, Sud Radio, Europe1 et RMC : voici le palmarès des chaînes françaises relayant le plus fréquemment des informations inexactes ou trompeuses sur le climat en proportion de leur temps de couverture du sujet. Le 22 octobre 2025, la publication du rapport conjoint Climate Safeguards révèle l’étendue du phénomène : en 8 mois, 529 cas ont été détectés dans les programmes d’information des 18 chaînes de télévision et radio étudiées.

L’audiovisuel n’est pas le seul relai de désinformation. Dans un article de synthèse publié en 2025, le Panel international sur l’information et l’environnement écrit :  “[…] des acteurs puissants, notamment des entreprises, des gouvernements et des partis politiques, diffusent intentionnellement des discours inexacts ou trompeurs sur le changement climatique anthropique.” 

Science Feedback a exploré internet à la recherche des premières apparitions d’un discours trompeur très récurrent dans l’audiovisuel (“les renouvelables font exploser le prix de l’électricité”). Nous avons découvert que la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP) est l’un de ces relais. Plus généralement, près d’un tiers des articles publiés sur leur site internet (dans la catégorie “Agriculture et énergie”) reprennent les discours trompeurs ou inexacts sur l’énergie.

Un tiers des articles “Agriculture et énergie” relève de la mésinformation

Créée en 1985, l’IFRAP se définit comme un “think tank qui après 30 années de recherches et de publications visant la performance des dépenses publiques, a été reconnue d’utilité publique par décret en Conseil d’État paru au Journal officiel le 19 novembre 2009.” Plusieurs enquêtes journalistiques présentent différemment les activités de la fondation : “fondation ultra-libérale très éloignée de toute rigueur scientifique, experte du lobbying au Parlement, arrosée par de mystérieux mécènes et noyautée par des chefs d’entreprise” pour l’hebdomadaire Marianne; l’Observatoire des multinationales note que “l’essentiel des messages et des combats de l’IFRAP visent la protection des intérêts des plus fortunés.

Quels sont les messages véhiculés par l’IFRAP ? Sur le site internet de la fondation, les publications sont classées en huit thématiques. L’une d’entre elles, “agriculture et énergie”, regroupe près de 300 articles, dont les plus anciens sont datés de 2010 et mis à jour en 2015. Nous avons comparé ces articles aux narratifs de désinformation (c’est-à-dire des récits récurrents) identifiés dans Climate Safeguards. Près d’un tiers des articles “Agriculture et énergie” de l’IFRAP emploient les mêmes narratifs de désinformation sur l’énergie que dans l’audiovisuel (figure 1).

Détection de la mésinformation sur le site internet de l’IFRAP
La détection des articles contenant des éléments de langages similaires à ceux de la mésinformation dans les médias se base sur une analyse automatisée reposant sur un modèle d’intelligence artificielle (Mistral Medium). L’algorithme identifie dans un premier temps les articles qui traitent de façon approfondie des énergies renouvelables – une simple mention ne suffit pas. Parmi eux, le modèle identifie ceux dont le contenu relève de l’un des 19 narratifs de désinformation identifiés dans le projet Climate Safeguards.
Figure 1 – La détection automatisée identifie près de 100 articles reprenant les narratifs de désinformation liés à l’énergie. Parmi eux, les narratifs relatifs au coût pour l’État (39%) et aux risques liés au déploiement des renouvelables (26%) sont les plus nombreux.

L’IFRAP relaie les mêmes narratifs que ceux détectés dans l’audiovisuel

Dès 2021, Philippe François – ingénieur et consultant dans le domaine des télécommunications – signe une série d’articles liant le déploiement des renouvelables à une hausse du coût de l’électricité. Ce narratif est le plus fréquemment détecté dans le projet Climate Safeguards (figure 2). Il est pourtant trompeur : l’électricité d’origine solaire et éolienne est désormais moins coûteuse à produire que l’électricité provenant des centrales à combustibles fossiles ou nucléaires. Plus de solaire et d’éolien n’entraîne pas nécessairement une augmentation des factures d’électricité. Notre article d’Éclairage détaille le cas de la France, tout comme la récente publication de la Commission de régulation de l’énergie.

En 2024 et 2025, les renouvelables sont une nouvelle fois décriés sous la plume de Bernard Kasriel, ancien directeur général du n°1 de la cimenterie Lafarge, un secteur responsable d’environ 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. On y retrouve cette fois pêle-mêle des articles relatant un manque de fiabilité des renouvelables dû à leur intermittence, un surcoût d’au moins “300 milliards d’euros lié au développement accéléré des énergies renouvelables intermittentes” ou encore les risques de black-out qui y seraient liés. Toutes ces affirmations sont parmi les plus fréquentes dans l’audiovisuel (figure 2), et leur caractère trompeur ou erroné est détaillé dans le rapport Climate Safeguards.

Figure 2 – L’étude Climate Safeguards identifie 19 narratifs de désinformation récurrents dans les programmes d’information TV et radio. Le site internet de l’IFRAP relaie – a minima – sept narratifs liés à l’énergie. Source : Data for good/Quota Climat/Science Feedback.

L’un des fondateurs de l’IFRAP est proche du réseau Atlas qui poursuit un projet politique

En 2024, la journaliste Anne-Sophie Simpere publie un rapport consacré au réseau Atlas en France dans l’Observatoire des multinationales. L’IFRAP y apparaît : “L’IFRAP, qui a pour objectif la production de recherches et publications sur les dépenses publiques, est partenaire d’Atlas depuis ses débuts. En 1987, l’un de ses fondateurs, Bernard Zimmern, va chercher des conseils auprès d’Antony Fisher [ndlr : le fondateur du réseau Atlas] pour gagner la bataille des idées en France. Établi aux États-Unis, Zimmern est l’un des grands donateurs de l’Heritage Foundation dont il admire l’action, et il souhaite reproduire ce modèle en France.

Créé en 1981 aux États-Unis, ce réseau de think tanks regroupe plus de 500 partenaires à travers plus de 100 pays, dont les organisations influentes : Heritage Foundation, Cato Institute et Heartland Institute. En 2017, Science Feedback réagissait déjà à la publication d’un livre intitulé “Pourquoi les scientifiques ne sont pas d’accord à propos du changement climatique” par le Heartland Institute, truffé d’affirmations fausses ou trompeuses. Aux États-Unis, l’administration Trump “met en œuvre un programme d’une grande dureté, qui correspond largement aux préconisations du « Project 2025 », document publié en 2023 par le groupe de réflexion de droite ultraconservatrice l’Heritage Foundation”, explique le site The Conversation.

Anne-Sophie Simpere note enfin la proximité, au moment de la création de l’IFRAP, entre Bernard Zimmern et des hommes d’affaires fortunés et/ou des hommes politiques d’extrême droite : elle cite notamment Philippe Baccou et Jean-Yves le Gallou, tous deux proches du Front National (figure 3). 

Aujourd’hui, plusieurs personnes impliquées dans la gouvernance de l’IFRAP sont issues du monde de l’industrie : Olivier Allez, dirigeant du groupe Allez; Hervé Descottes, président de la compagnie d’investissements et financière Descottes; Jean-Claude Rouzaud, ancien dirigeant de l’entreprise Champagne Louis Roederer; Cédric de Lestrange, président de Axe Immobilier; etc. Quant aux liens politiques, nous notons par exemple la présence au sein de la gouvernance de Jean-Michel Fourgous, maire d’Élancourt, ancien député UMP et proche d’Olivier Dassault

Le rapport Climate Safeguards souligne : “La répétition marquée de certains narratifs de désinformation, en résonance avec les principaux récits observés à l’échelle mondiale, suggère qu’il s’agit d’une amplification systémique.” Alors que plusieurs médias révèlent que l’objectif du réseau Atlas est d’“imposer des idées politiques conservatrices et économiques libertariennes”, il semblerait donc que ces organisations qui agissent pour influencer le débat public sur les questions énergétiques s’inscrivent dans un projet à vocation politique plutôt qu’un effort scientifique. Science Feedback n’a pas pu vérifier la nature des liens entre l’IFRAP et le réseau Atlas : sollicitée, l’IFRAP n’a pas répondu à nos questions.

Figure 3– Le réseau Atlas forme et entretient des liens entre les partis et cercles politiques (en haut), les  think tanks et associations français (au centre) et les fondations américaines (en bas). Source : Observatoire des multinationales

Des apparitions médiatiques répétées chez Europe 1, LCI et CNEWS

En 2024, dans une autre enquête conjointe entre l’Observatoire des multinationales et le média en ligne DeSmog, le traitement des sujets climatiques par le réseau Atlas était déjà pointé du doigt : “les messages et tactiques [des partenaires du réseau Atlas] révèlent une convergence entre une vision du monde ultra-libérale, les intérêts de l’industrie fossile… et les narratifs portés par les groupes politiques les plus réactionnaires, de Trump au RN en France.

L’une de ces tactiques consiste à être présent dans les médias. Tous sujets confondus, l’IFRAP – et en particulier sa directrice Agnès Verdier-Molinié – recense sur son site internet plus de 4000 apparitions dans les médias de 2010 à aujourd’hui. Europe 1 arrive largement en tête (412 apparitions recensées), suivi du Figaro (266), CNews (198) et LCI (187), comme le montre notre compilation en figure 4. Si nous compilons uniquement le panel des 18 chaînes audiovisuelles étudiées dans le projet Climate Safeguards, Europe 1, CNews, LCI et RMC sont les chaînes où l’IFRAP a le plus souvent la parole. 

Figure 4 – L’IFRAP recense sur son site internet ses apparitions médiatiques. En 15 ans, plus de 4000 apparitions sont recensées. Toutes thématiques confondues, Europe 1, CNews, LCI et RMC sont les chaînes du panel Climate Safeguards comptabilisant le plus d’apparitions.

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