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Paracétamol pendant la grossesse et autisme : un lien non établi

Le paracétamol est largement utilisé pour ses propriétés anti-douleur (antalgique) et contre la fièvre (antipyrétique). En France, il est le médicament le plus consommé, selon les chiffres publiés par l’Assurance-Maladie fin 2024.
Entre juin 2023 et juin 2024, sur près de 660 millions de boîtes de médicaments vendus en pharmacie, 415 millions de boîtes de paracétamol, soit plus de la moitié, ont été délivrées sous les noms commerciaux de Doliprane, Efferalgan ou sous forme générique à 43 millions de patients. D’autres spécialités contenant du paracétamol figurent dans les 5 spécialités les plus vendues, selon l’Assurance-Maladie.
Ce médicament est également largement utilisé pendant la grossesse, avec environ 59 à 65 % des femmes enceintes utilisant des médicaments contenant du paracétamol à un moment donné[1,2].
Le 22 septembre 2025, lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, le président américain Donald Trump a déclaré que la prise de médicaments à base de paracétamol (appelé le plus souvent acétaminophène aux Etats-Unis, et connu sous son nom commercial le plus courant Tylenol) pendant la grossesse pouvait causer des troubles du spectre autistique (TSA) autrement dit l’autisme, chez les enfants.
Ces propos accompagnent une annonce de la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine de santé publique, concernant les changements à venir dans l’étiquetage du paracétamol pour tenir compte du risque présumé d’autisme.
Cette affirmation a été relayée sur les réseaux sociaux, notamment en France, certains comptes prônant l’arrêt pur et simple de la consommation de paracétamol.
Cette affirmation n’est pas nouvelle. En 2022, des publications, comme celle-ci sur la page Facebook Autism Claim Center, affirmant que le paracétamol pendant la grossesse est lié à l’apparition de TSA chez les enfants, sont devenues virales.
Comme détaillé ci-dessous, des études scientifiques à l’origine de cette affirmation suggèrent l’existence de ce lien. Cependant, elles présentent d’importantes limites. Surtout, une étude de très grande ampleur et beaucoup plus solide, publiée en 2024, conclut à l’absence de lien entre autisme et paracétamol. Actuellement, l’utilisation modérée de paracétamol pendant la grossesse, sous surveillance médicale, est donc toujours considérée comme sûre.
À RETENIR :
- Le paracétamol, indiqué pour lutter contre la douleur et la fièvre, est le médicament le plus consommé en France. Près de 60% des femmes enceintes l’utilisent.
- Des études ont suggéré une association entre la prise de paracétamol par les femmes enceintes et l’autisme chez les enfants. Cependant, elles comportent de nombreux biais et ne permettent pas d’établir une relation de causalité.
- En 2024, une étude de grande envergure, prenant en compte d’importants facteurs de confusion, notamment la génétique, n’a trouvé aucune association entre la consommation de paracétamol pendant la grossesse et le risque d’autisme.
- La fièvre durant la grossesse expose à un risque de fausse couche ou de malformation du cerveau et de la moelle épinière du fœtus.
- L’utilisation du paracétamol pendant la grossesse est préférable à celle d’anti-inflammatoires ou d’opioïdes
- Au vu des données scientifiques, les autorités de santé françaises indiquent que les femmes enceintes peuvent utiliser le paracétamol à la dose efficace la plus faible, pendant la durée la plus courte possible, à la fréquence la plus réduite possible, ceci avec le conseil de professionnels de santé.
À l’origine de la rumeur : des études avec de nombreux biais
En 2021, une déclaration de consensus publiée par un groupe de scientifiques a suscité une controverse car elle exprimait des inquiétudes quant à l’utilisation de paracétamol par les femmes enceintes[3]. À l’appui, des études scientifiques suggérant une incidence plus élevée de TSA chez les enfants dont les mères avaient pris du paracétamol pendant la grossesse. De plus, deux méta-analyses (synthèse statistique des résultats de plusieurs études scientifiques) ont conclu à une association entre le paracétamol et un risque accru de TSA.[4,5].
Cependant, cette affirmation était accueillie avec scepticisme par d’autres experts (par exemple ici et ici) qui ont critiqué la solidité des preuves avancées. Dans un e-mail adressé à Lead Stories, qui a publié une vérification des faits, la FDA a déclaré que les études étaient «trop limitées pour formuler des recommandations fondées sur ces études à ce stade. En 2019,l’Agence européenne des médicaments (EMA) avait déjà considéré que les preuves disponibles sur la question n’étaient « pas concluantes ».Le Collège américain des obstétriciens et gynécologues (ACOG) est également arrivé à une conclusion similaire.
L’une des limites est que toutes les études référencées dans la déclaration de consensus et les méta-analyses mentionnées précédemment sont observationnelles. Dans les études observationnelles, les chercheurs comparent l’apparition de problèmes médicaux au fil du temps entre les personnes qui utilisent le médicament et celles qui ne l’utilisent pas[6,7]. Cela rend les études observationnelles plus susceptibles d’être affectées par des biais que les essais cliniques contrôlés randomisés en double aveugle, dans lesquelles les patients sont tirés au sort[8].
Un exemple de biais dans les études observationnelles est l’absence de contrôle de l’exposition au paracétamol. Par conséquent, les chercheurs ne connaissent pas avec certitude la dose de paracétamol absorbée.
L’importance de prendre en compte les facteurs de confusion
Une autre limitation importante est que les études observationnelles rendent très difficile l’élimination des facteurs de confusion. Les facteurs de confusion sont des variables qui influencent le résultat d’une expérience, mais qui ne sont pas les variables étudiées. Si les scientifiques ne prennent pas en compte l’influence des facteurs de confusion dans leur étude, ils risquent de tirer des conclusions erronées sur la causalité.
Par exemple, le paracétamol est utilisé pour faire baisser la fièvre ou soulager la douleur. Il est possible que certains problèmes médicaux, responsables de douleurs ou de fièvre chez les femmes enceintes, augmentent également le risque de TSA. Par conséquent, les femmes enceintes présentant ces problèmes sont plus susceptibles de prendre du paracétamol, mais c’est le problème médical qui augmente le risque de TSA, et non le paracétamol lui-même.
L’auto-déclaration de la consommation de paracétamol est peu fiable
La troisième limite réside dans le fait que plusieurs études se sont appuyées sur l’auto-déclaration de la consommation de paracétamol. Cependant, cette auto-déclaration n’est pas entièrement fiable, car les souvenirs des personnes quant à leur consommation et à la quantité de paracétamol peuvent être incertains.[6,7].
Une étude a surmonté ce problème lié à l’auto-déclaration en mesurant la quantité de paracétamol dans le sang du cordon ombilical prélevé avant la naissance. Elle a constaté que le risque de développer un TSA était plus élevé chez les enfants présentant les taux les plus élevés de paracétamol dans le sang du cordon ombilical[9].
Cependant, plusieurs experts ont souligné les limites de l’étude. L’une des principales limites de l’étude est l’absence de groupe témoin, c’est-à-dire de femmes enceintes n’ayant pas pris de paracétamol. Sans groupe témoin, il est difficile de déterminer si l’incidence des TSA est réellement due au paracétamol ou à un autre facteur.
Selon les experts, une autre limitation importante est que la détection de paracétamol dans le cordon ombilical indique une prise d’antalgiques à la naissance, mais pas tout au long de la grossesse. Il est probable que la façon dont les analgésiques sont utilisés dans les heures précédant l’accouchement ne reflète pas la consommation générale paracétamol pendant la grossesse. Par conséquent, les concentrations de paracétamol rapportées dans cette étude pourraient ne pas refléter fidèlement l’exposition du fœtus à ce médicament pendant son développement. Ces concentrations pourraient donc ne pas être pertinentes pour le risque de TSA chez l’enfant.
Pas de lien établi entre paracétamol et autisme chez près de 2,5 millions d’enfants
En 2024, des chercheurs suédois ont examiné les dossiers médicaux de près de 2,5 millions d’enfants afin d’étudier le lien potentiel entre la prise de paracétamol pendant la grossesse et l’autisme (TSA), le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et la déficience intellectuelle[10].
Il est important de souligner que contrairement aux études mentionnées précédemment, cette étude inclut des fratries, ce qui a permis aux chercheurs d’exclure d’éventuels facteurs de confusion tels que la génétique et les facteurs socio-économiques.
Il est intéressant de noter que les chercheurs ont observé une légère augmentation du risque d’autisme associée à la prise de paracétamol lorsqu’ils ont utilisé des modèles statistiques sans prendre en compte les fratries. Cependant, ce risque a disparu après l’utilisation d’analyses de contrôle de ces fratries. Ce résultat suggère que les observations d’une association par les études précédemment citées sont plus probablement dues à des facteurs de confusion qu’à une relation de cause à effet.
Conclusion
En résumé, certaines données scientifiques ont pu suggérer que l’utilisation de paracétamol chez les femmes enceintes pourrait être associée aux TSA chez les enfants. Cependant, les études ayant établi une telle association étaient limitées dans leur conception et leurs méthodes, qui comportaient de nombreux biais.
En 2024, une étude de grande envergure, prenant en compte d’importants facteurs de confusion, notamment la génétique, n’a trouvé aucune association entre la consommation d’acétaminophène pendant la grossesse et le risque d’autisme.
De plus, il est important de prendre en compte les bénéfices du paracétamol.
Premièrement, les alternatives au paracétamol pour soulager la douleur sont des médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens et opioïdes, qui comportent tous deux des risques avérés pour les femmes enceintes, contrairement au paracétamol. Deuxièmement, s’abstenir complètement de prendre des médicaments n’est pas envisageable pour les femmes enceintes, car il est plus risqué d’avoir une fièvre non traitée que de prendre du paracétamol : la fièvre expose en effet à un risque de fausse couche ou de malformation du cerveau et de la moëlle épinière du foetus.
Entre les études non concluantes sur les risques du paracétamol et les risques avérés liés à l’utilisation d’autres analgésiques ou au fait de ne pas traiter la fièvre, il apparaît donc que les bénéfices de l’utilisation du paracétamol l’emportent sur les risques.
Enfin, même les auteurs de la « déclaration de consensus » ont reconnu que les études rapportant une association entre le paracétamol et le TSA n’ont pas observé de risques significatifs lorsque le médicament était utilisé pour un court laps de temps[3].
Aujourd’hui, le paracétamol demeure selon les autorités de santé la méthode la plus sûre pour traiter la fièvre ou la douleur pendant la grossesse. L’ANSM (Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé) recommande aux femmes enceintes son utilisation à la dose efficace la plus faible, pendant la durée la plus courte possible, à la fréquence la plus réduite possible, ceci avec le conseil de professionnels de santé.
Références
- 1 – Liew et al. (2016) Paracetamol use during pregnancy and attention and executive function in offspring at age 5 years. International Journal of Epidemiology.
- 2 – Werler et al. (2005) Use of over-the-counter medications during pregnancy. American Journal of Obstetrics and Gynecology.
- 3 – Bauer et al. (2021) Paracetamol use during pregnancy — a call for precautionary action. Nature review endocrinology.
- 4 – Masarwa et al. (2018) Prenatal Exposure to Acetaminophen and Risk for Attention Deficit Hyperactivity Disorder and Autistic Spectrum Disorder: A Systematic Review, Meta-Analysis, and Meta-Regression Analysis of Cohort Studies. American Journal of Epidemiology.
- 5 – Alemany et al. (2021) Prenatal and postnatal exposure to acetaminophen in relation to autism spectrum and attention-deficit and hyperactivity symptoms in childhood: Meta-analysis in six European population-based cohorts. European Journal of Epidemiology.
- 6 – Liew et al. (2016) Maternal use of acetaminophen during pregnancy and risk of autism spectrum disorders in childhood: A Danish national birth cohort study. Autism Research.
- 7 – Avella-Garcia et al. (2016) Acetaminophen use in pregnancy and neurodevelopment: attention function and autism spectrum symptoms. International Journal of Epidemiology.
- 8 – Hammer et al. (2009) Avoiding Bias in Observational Studies. Deutsches Ärzteblatt International.
- 9 – Li et al. (2020) Association of Cord Plasma Biomarkers of In Utero Acetaminophen Exposure With Risk of Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder and Autism Spectrum Disorder in Childhood. JAMA Psychiatry.
- 10 – Ahlqvist et al. (2024) Acetaminophen Use During Pregnancy and Children’s Risk of Autism, ADHD, and Intellectual Disability. JAMA.