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À l’avenir, les projections s’accordent sur une augmentation de la mortalité liée aux températures, malgré la baisse des décès liés au froid

Posté le : 25 Avr 2024

Le changement climatique affecte la santé physique et mentale de la population. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) est sans appel. D’ici 2050, avec un haut niveau de certitude pour le GIEC, 250 000 décès supplémentaires seront enregistrés chaque année en raison du changement climatique d’après une évaluation de référence par l’Organisation mondiale de la santé[1]. En cause : principalement les vagues de chaleur, la malnutrition et certaines maladies infectieuses.

Des contradicteurs de la science du climat tentent de rassurer le public en minimisant les impacts négatifs du changement climatique. Par exemple, Bjorn Lomborg dans le New-York Post prétend qu’il y aurait une baisse des décès liés au froid générée par le changement climatique. L’économiste Rémy Prud’homme se veut lui aussi rassurant le 25 mars dans l’émission « Le face à face » de Sud Radio : « À l’heure actuelle, […] 7 ou 8 fois plus de gens meurent de froid que de chaud. S’il y a des gens qui souffrent de la chaleur, il y aura des gens [avec le changement climatique] qui souffriront un peu moins du froid, c’est une première raison de ne pas trop s’inquiéter. » Cette affirmation est partiellement vraie, mais l’argumentaire développé est faux comme le montre cet article : à l’avenir, si les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas drastiquement, toutes les projections montrent (avec un haut niveau de confiance) que la baisse des décès liés au froid ne contrebalancera pas la hausse de la mortalité liée à la chaleur à l’échelle mondiale en raison du changement climatique.

3 À 11% DES DÉCÈS LIÉS AUX TEMPÉRATURES NON OPTIMALES, NOTAMMENT FROIDES

Les températures non optimales – froides ou chaudes – affectent l’organisme et peuvent conduire à la mort. Elles provoquent des effets directs, comme la déshydratation ou l’hypothermie, et dégradent l’état de santé des plus fragiles en accélérant les décès liés aux maladies cardiovasculaires, respiratoires ou chroniques (pathologies mentales, rénales, etc.). Le GIEC rappelle[2] que les décès sont majoritairement associés à des accidents cardiovasculaires, particulièrement pour les épisodes de chaleur extrême. « Certaines personnes peuvent aussi souffrir d’hypothermie ou de coups de chaud, mais ces causes de mortalité sont plus rares que les maladies cardiovasculaires ou respiratoires », appuie Pierre Masselot, épidémiologiste environnemental à London School of hygiene and tropical medicine. Les épisodes de pollution associés aux vagues de chaleur sont également des facteurs de morbidité importants dans certaines régions du monde. 

Ces effets sont observés pour des températures non optimales pour l’organisme, et non pas uniquement pour des températures extrêmes (comme celles enregistrées lors des vagues de chaleur ou de froid). Pour la France, l’organisme sanitaire Santé publique France indique : “L’exposition de la population à la chaleur en dehors des périodes de canicule, associée à un risque plus faible mais plus fréquent, contribue davantage à l’impact total que les chaleurs extrêmes associées à un risque plus élevé mais plus rare.” 

Plusieurs équipes de recherche internationales évaluent la part des décès liés aux températures non optimales à travers le monde. La méthode employée est sensiblement la même : elles se basent sur les données épidémiologiques de mortalité, toutes causes confondues. L’ensemble des décès enregistrés dans la population est en effet collecté de manière officielle selon des procédures internationales. En croisant ces données aux températures quotidiennes, il est possible de relier l’excès de mortalité à des périodes de températures extrêmes à l’aide de méthodes statistiques. En moyenne, 7,7 % de la mortalité mondiale est liée aux températures non optimales (froid et chaud) d’après la synthèse du GIEC. Ces chiffres varient de 3,4 à 11,0 % selon les pays.

Quant aux températures froides, elles affectent de façon négative l’espérance de vie en bonne santé (sans maladie, handicap ou décès), d’un facteur 2,2 fois plus important que les températures chaudes[2]. Ce chiffre global grimpe à 15,4 dans les pays riches de moyenne latitude, et chute à 1,7 en Asie ou 3,6 en Afrique sub-saharienne. Une étude publiée dans The Lancet[3] s’est intéressée spécifiquement à la mortalité à travers le monde : la part des décès liés au froid s’élève à 7,3%, contre 0,4% pour la chaleur (17 fois plus pour le froid). Une autre étude estime la part de mortalité liée au froid à 6,5%, contre 0,6% pour le chaud, soit 10 fois plus de décès liés au froid[4]. « L’effet plus important du froid que du chaud sur la mortalité fait consensus, commente Pierre Masselot. Les incertitudes concernent certaines parties de la population : les tendances sont claires en Europe, Amérique et Asie de l’Est, mais nous manquons de données pour l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie occidentale. Les résultats ne sont également pas robustes pour les jeunes enfants, en raison de la faible part de mortalité infantile enregistrée. »

UN TIERS DES DÉCÈS LIÉS AU CHAUD DUS AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Cela suffit-il à « ne pas trop s’inquiéter des effets du changement climatique » ? Il faut s’intéresser aux conséquences directes de ce dernier. Seule, la part de mortalité liée aux températures ne suffit pas, comme nous l’expliquait déjà en 2021 Antonio Gasparrini, premier auteur de l’étude de The Lancet : « Nous avons calculé les décès liés au froid et à la chaleur dans un certain nombre de lieux et de pays, et les premiers sont en effet beaucoup plus nombreux. Cependant, l’analyse se concentre sur la période historique et ne calcule pas les différences entre les décès liés au froid et à la chaleur dans les scénarios avec et sans changement climatique. En d’autres termes, elle ne permet pas de savoir si la diminution prévue des décès liés au froid compensera l’augmentation prévue des décès liés à la chaleur. »

Depuis la fin des années 2010, des études dites d’attribution ont été menées : elles établissent précisément le lien entre le réchauffement climatique et la mortalité observée. Dans Nature Climate Change en 2021[5], une équipe estime que 37% des décès liés à la chaleur entre 1991 et 2018 sont dus au changement climatique d’origine anthropique, soit 9 702 décès parmi les près de 30 millions comptabilisés dans l’étude. En d’autres termes, près de 10 000 décès liés à la chaleur auraient été évités si le climat n’évoluait pas actuellement du fait des activités humaines. Cette moyenne cache des disparités importantes. Les régions les plus touchées sont l’Asie du Sud, de l’Ouest et du Sud-Est, et l’Amérique centrale et du Sud. Les moins touchées sont l’Europe de l’Ouest, Est et Sud, les États-Unis et l’Asie de l’Est. 

Quant à l’évolution actuelle des décès liés au froid, les résultats sont moins clairs comme le résume le GIEC[2] :

« Bien que l’on ait observé une augmentation des températures pendant la saison hivernale dans un certain nombre de régions, les preuves d’une réduction conséquente de la mortalité hivernale et de la vulnérabilité au froid en raison d’hivers plus doux sont variables à ce jour ; certains pays affichent des tendances à la baisse, alors que d’autres affichent des tendances stables, voire à la hausse, des fractions de mortalité imputables au froid au fil du temps. »

L’ENSEMBLE DES ÉTUDES ESTIME QUE LA BAISSE DES DÉCÈS LIÉS AU FROID NE SUFFIRA PAS À CONTENIR LA MORTALITÉ

Et qu’en est-il de l’avenir ? « La tendance est cette fois très claire : à l’échelle globale, le nombre de décès liés à la chaleur va augmenter et la diminution des décès liés au froid ne suffira pas à contrebalancer », renseigne Pierre Masselot. À partir de la relation température-mortalité observée ces dernières décennies, les travaux de modélisation estiment les décès futurs selon les scénarios climatiques fournis par le GIEC. En 2017 dans The Lancet[6], Antonio Gasparrini et ses collègues observent plusieurs tendances régionales. En Europe du Nord, Asie de l’Est et Australie, les décès liés aux températures non optimales (froid et chaud) tendent à légèrement diminuer ces prochaines décennies (d’environ 1%), même si les émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent à augmenter. À l’inverse, toutes les autres régions – et en particulier les régions chaudes – voient leur mortalité augmenter. La hausse reste très modérée si nous réduisons fortement nos émissions de GES (RCP 2.6 sur la figure 1). En revanche, si les émissions continuent à augmenter fortement (RCP8.5 sur la figure 1), la hausse de mortalité liée aux températures peut atteindre jusqu’à 6,4% en Europe du Sud d’ici la fin du siècle. En France (appartenant au groupe Europe Centrale sur la figure 1), la mortalité augmente de 1% en 2050 et 4% en 2100 pour un scénario d’émissions importantes de GES (RCP8.5). Un scénario très optimiste (RCP2.6) contient l’augmentation à 0,1% pour 2050 et 0,2% pour 2100.

Figure 1 – Ce graphique montre l’excès de mortalité au cours du temps évalué par Gasparrini et ses collaborateurs. Les trois scénarios du précédent rapport du GIEC sont considérés : RCP2.6, 4.5 et 8.5, du plus optimiste au plus pessimiste concernant les futures émissions de GES. Les points noirs indiquent la moyenne de la mortalité, chaud et froid confondu : on constate que la baisse de la mortalité liée au froid (en bleu) ne compense que rarement la hausse de mortalité lié au chaud (en rouge). Source: Gasparrini et al., 2017.

En 2021, une estimation similaire dans The Lancet Planetary Health[5] centrée sur l’Europe remarque : « Les projections indiquent de façon cohérente que l’augmentation de la part des décès liés à la chaleur va commencer à dépasser la réduction de la part des décès liés au froid dans la deuxième moitié du XXIème siècle, en particulier en Méditerranée et pour les scénarios d’émissions élevées de GES. » Le GIEC est clair dans son dernier rapport : « Avec un haut niveau de confiance, à l’avenir, l’augmentation du nombre de décès liés à la chaleur devrait dépasser celle du nombre de décès liés au froid. » 

Pierre Masselot et son équipe proposent un outil de simulation en ligne permettant d’observer les effets à long terme du changement climatique sur l’Europe. Il repose sur une publication scientifique en cours d’évaluation par les pairs[7]. « Nos résultats montrent que les pays nordiques et la Grande-Bretagne tendent vers une diminution de la mortalité grâce à la baisse du nombre de décès liés au froid, commente Pierre Masselot. Quelques autres régions à travers le monde suivront la même évolution, mais cela ne concerne qu’une minorité de la population. De nombreuses régions enregistreront un nombre de décès croissant. » C’est le cas pour l’Amérique du Nord, du Sud, l’Europe Centrale, du Sud et l’Asie du Sud-Est, pour les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5 (voir figure 1).

À cela s’ajoutent d’autres facteurs. Le risque (i.e. mourir de températures extrêmes) résulte du croisement entre l’aléa (les températures extrêmes), la vulnérabilité (l’âge ou l’accès aux soins) et l’exposition (la localisation géographique ou la qualité de vie). L’évolution de l’aléa est en grande partie liée au changement climatique : par exemple, les étés caniculaires à l’origine d’un excès de mortalité sont plus fréquents. À Paris, alors qu’un épisode caniculaire intense avait lieu une fois tous les 100 ans en 2000, sa fréquence s’élève à 5 fois par siècle en 2020, et jusqu’à 10 et 27 fois par siècle pour un réchauffement global de 1,5°C et 2°C, respectivement[8]. La vulnérabilité évolue elle aussi. Les jeunes enfants et les personnes âgées sont les plus vulnérables aux températures extrêmes. Or l’augmentation de l’espérance de vie accroît la part de personnes âgées dans la population. Une étude publiée en 2024[9] prend pour la première fois ce facteur en compte dans les projections de mortalité. Résultat : le vieillissement de la population ralentit les effets bénéfiques du changement climatique face au froid — allant jusqu’à provoquer une hausse de la mortalité liée au froid dans de nombreuses régions (Nord de l’Europe, Asie de l’Est, etc.) pour un réchauffement global de 2°C. Les auteurs soulignent l’importance d’intégrer le vieillissement de la population aux projections de mortalité.

Quant à l’exposition, c’est le facteur le plus difficile à évaluer. « Dans quelle mesure les sociétés vont-elles s’adapter ? questionne Pierre Masselot. Ce facteur est très difficile à prendre en compte et est souvent mis de côté dans les études épidémiologiques. De premiers articles tendent à montrer que l’adaptation est moins rapide que l’augmentation de l’exposition, mais cela ne fait pas encore consensus. » L’exposition à la chaleur tend à diminuer dans les pays riches, notamment grâce aux systèmes d’alerte et à l’amélioration de la qualité de vie[2]. « Même si chaque vague de chaleur tue moins de personnes grâce à l’adaptation, leur fréquence augmente tellement rapidement que la mortalité continue à croitre », conclut Pierre Masselot.

CONCLUSION

À l’heure actuelle, 3 à 11% des décès à travers le monde sont liés aux températures non optimales, chaudes ou froides. La mortalité liée au froid est plus importante que celle liée au chaud, d’un facteur d’environ 10. Plus d’un tiers des décès liés à la chaleur au cours des deux dernières décennies sont liés au changement climatique. Ce chiffre n’est pas connu pour le froid. À l’avenir, la communauté scientifique s’accorde : la mortalité liée aux températures non optimales va – avec un haut niveau de certitude – augmenter dans une grande partie du globe. La baisse de l’exposition au froid, en partie atténuée par le vieillissement de la population, ne suffit pas à contrebalancer la hausse de la mortalité liée à la chaleur dès le milieu du siècle. Plus le réchauffement climatique est important, plus la hausse de mortalité globale est élevée.

Références

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