Qui a peur de la voiture électrique ? La guerre des narratifs qui freine l’action climatique en Europe

Un rapport conjoint de Science Feedback et Newtral révèle que la désinformation climatique liée aux transports ne repose pas sur des contre-vérités isolées ou un déni frontal du changement climatique, mais constitue un phénomène complexe et adaptatif, profondément ancré dans les réalités politiques, économiques et culturelles locales. Elle prospère non pas sur le rejet pur et simple de la science, mais sur le doute, la distorsion et le recours à l’émotion.
- L’étude a été réalisée avec le soutien de la European Climate Foundation et du European Fact-Checking Standards Network (EFCSN).
Consultez le rapport complet (en anglais) ici.
L’analyse, qui porte sur l’Espagne, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, montre comment des narratifs trompeurs exploitent subtilement les sensibilités de chaque pays en amplifiant les angoisses liées à la liberté individuelle, aux coûts économiques, à l’identité nationale et aux risques technologiques. Ces narratifs peuvent avoir un effet manipulateur sur le plan psychologique, polarisant sur le plan social et mobilisateur sur le plan politique.
Les véhicules électriques dans la ligne de mire
Les véhicules électriques sont la principale cible de cette vague de désinformation. Les narratifs trompeurs vont de l’idée qu’ils pollueraient davantage que les voitures thermiques à des peurs infondées d’incendies ou d’effondrement du réseau électrique, faisant de ce mode de transport un terrain fertile pour la désinformation.
Le rapport analyse plus de 9 000 contenus issus des réseaux sociaux, de bases de données de vérification, de programmes télé et radio, ainsi que de plateformes de messagerie comme Telegram. Sept grands types de narratifs récurrents ont été identifiés :
- L’action climatique dans le secteur des transports est inefficace pour réduire les émissions.
- La mobilité verte dépend de ressources nocives pour l’environnement, annulant ses bénéfices.
- Les infrastructures actuelles sont inadéquates pour permettre une transition écologique.
- Les politiques climatiques restreignent les libertés individuelles.
- Les véhicules électriques sont dangereux et présentent des risques majeurs.
- Les bénéfices sanitaires et environnementaux de la mobilité verte sont exagérés ou trompeurs.
- Le transport électrique est économiquement non viable, détruit des emplois et gaspille des fonds publics.
Ces narratifs mêlent des faits réels ou partiels à des affirmations trompeuses, en jouant sur l’omission, l’exagération ou un cadrage biaisé. Ils brouillent des distinctions essentielles — comme celle entre pollution de l’air et émissions de gaz à effet de serre — et faussent la perception publique des véritables coûts et bénéfices des véhicules électriques, ainsi que d’autres enjeux liés à l’atténuation du changement climatique dans le secteur des transports.
Ironiquement, cette vague de désinformation climatique émerge au moment même où les données sur l’efficacité et les impacts des politiques climatiques dans les transports deviennent enfin plus solides. Alors que cette base de preuves pourrait nourrir un débat public plus éclairé, ce sont les narratifs trompeurs qui semblent dominer les discussions nationales sur le climat et les différents modes de transports.
Un problème européen aux accents locaux
Bien que les narratifs soient partagés à travers l’Europe, le rapport montre comment ils sont adaptés pour résonner avec les sensibilités nationales.
- En Espagne, les inquiétudes portent surtout sur la sécurité, avec des rumeurs d’incendies de véhicules électriques et d’abus de pouvoir du gouvernement. Des chaînes Telegram relaient des théories du complot, comme de fausses interdictions des voitures circulant avec un seul occupant ou des avertissements alarmistes sur les bornes de recharge qui donneraient lieu à des embouteillages.
- En France, le débat prend une tournure plus idéologique. Le narratif dominant affirme que les politiques climatiques dans les transports sont inefficaces pour réduire les émissions, en dépit d’un fort consensus scientifique. Ce scepticisme, alimenté durant les élections européennes de 2024, est amplifié par les médias et instrumentalisé politiquement.
- En Allemagne, les craintes économiques sont au centre du narratif principal. La désinformation met en avant l’impact négatif supposé des véhicules électriques sur l’emploi, les émissions liées à la production et au recyclage des batteries ; ou encore une pollution accrue par les particules issues des pneus des véhicules électriques du fait de leur poids – menaçant ainsi l’identité industrielle du pays.
- Au Royaume-Uni, les craintes se concentrent autour de la sécurité, du coût et du contrôle de l’État. La Zone à Ultra Basses Émissions (ULEZ) est faussement présentée comme une taxe liberticide. La peur est aussi alimentée par des narratifs sensationnalistes d’incendies de voitures électriques et d’affirmations non fondées sur une explosion des primes d’assurance.
De la technologie à l’idéologie : la polarisation politique de la mobilité verte
Des experts alertent sur le fait que le débat public autour de la mobilité durable en Europe a basculé d’une discussion technique à un champ de bataille politique, où le sujet est de plus en plus instrumentalisé pour polariser et mobiliser. La lutte contre le changement climatique — notamment dans le secteur des transports — n’est plus seulement présentée comme un ajustement politique, mais comme un conflit culturel. Ce cadrage politisé, souvent alimenté par des acteurs politiques ou industriels, favorise la diffusion de la désinformation, surtout lorsque les politiques climatiques sont perçues comme une menace à la liberté personnelle, à l’autonomie économique ou à l’identité nationale.
Recommandations
Le rapport propose des contre-mesures qui ne se contentent pas de répondre aux faits erronés, mais cherchent à comprendre pourquoi ces narratifs s’enracinent dans des contextes spécifiques. Parmi les principales recommandations :
- Aller au-delà des explications techniques : il faut que la communication des faits réponde aux préoccupations concrètes des citoyens.
- Faire appel à des voix crédibles : scientifiques, experts, et journalistes indépendants doivent occuper le devant de la scène.
- Plus de clarté de la part des institutions : elles doivent clarifier leur communication, exposer leurs politiques en toute transparence et agir avec cohérence pour préserver la confiance du public.
- Anticiper la désinformation : une information factuelle, claire et en amont est plus efficace que des réactions une fois les narratifs installés.
Contact presse :
Samantha Lee / samantha@efcsn.com