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Non, le blé, le cacao, le café, la bière et les tomates ne vont pas disparaître, mais le changement climatique fait globalement baisser les rendements de l’agriculture

Posté le : 13 Sep 2024

À RETENIR

L’augmentation globale des températures liée au changement climatique a un impact négatif sur les rendements agricoles. Si ces rendements ont connu une forte hausse depuis la période « préindustrielle » (1850-1900), cette hausse s’infléchit depuis une dizaine d’années au moins et cette inflexion se poursuit dans les projections effectuées sur la base des différents scénarios climatiques jusqu’à l’horizon 2100.

Les études scientifiques ne concluent pas que le blé, le cacao, le café, la bière et les tomates vont disparaître. Mais elles révèlent un impact plus ou moins prononcé du changement climatique sur les rendements, selon les cultures et les régions du monde concernées. 

Cet impact peut être atténué si des mesures sont prises pour lutter contre le changement climatique en général, et au niveau des cultures : sélection de variétés résistantes à la chaleur, irrigation, fertilisation, nouvelles pratiques agronomiques.

ÉLÉMENT ANALYSÉ

Erroné

Les pâtes (à base de blé), le cacao, le café, la bière et les tomates pourraient disparaître à cause du changement climatique

Source : TikTok, Le Démotivateur, 15 Août 2024

Verdict

Erroné :

Les études scientifiques ne concluent pas à la disparition de ces aliments. Mais elles montrent que les rendements agricoles sont globalement impactés à la baisse par le changement climatique.

Manque de contexte :

Il y a de fortes disparités selon les espèces végétales et les régions concernées. Par exemple, les cultures de blé seront impactées dans les pays chauds, mais celles d’Europe du Nord pourront bénéficier de hausses de température. Par ailleurs, des mesures d’adaptation peuvent être mises en œuvre pour compenser au moins en partie les effets du changement climatique sur les rendements.

AFFIRMATION COMPLÈTE

Ces cinq aliments pourraient disparaître à cause du changement climatique: les pâtes (à base de blé ou de riz), le cacao, le café, la bière et les tomates. D’ici 2050 la production de café pourrait être réduite de presque 90 %.

Vérification

Le compte TikTok Le Démotivateur, qui se présente (sur son site) comme « premier média digital de divertissement français à destination des millenials » avec près de 900 000 abonnés, a posté une vidéo en août 2024 intitulée « 5 aliments qui pourraient disparaître à cause du réchauffement climatique », mentionnant les pâtes, le café, le chocolat, la bière et les tomates. La science confirme-t-elle cette affirmation ?

Le réchauffement climatique est une réalité attestée par de très nombreux travaux scientifiques, synthétisés par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), dont le dernier rapport de synthèse est paru en 2023. Pour le futur, le GIEC envisage différents scénarios de hausse des températures selon les actions entreprises pour limiter le réchauffement : entre +1,5°C et +4°C à l’horizon 2100[1].

À l’échelle mondiale, les rendements agricoles ont fortement augmenté depuis la période 1850-1900 qui sert de référence aux climatologues, grâce notamment à la mécanisation et à l’amélioration des pratiques agronomiques. Ces soixante dernières années, les rendements du blé, du maïs et du riz ont ainsi plus que doublé.    

Cependant, le changement climatique atténue déjà cette hausse. Une étude estime ainsi que les rendements du maïs, du blé et du soja entre 1981 et 2010 sont respectivement 4,1%, 1,8% et 4,5% inférieurs à ce qu’ils auraient été avec les mêmes progrès technologiques mais sans changement climatique[2].

Cet impact varie cependant selon les régions et les espèces cultivées. En Europe du nord, par exemple, la culture du blé bénéficie de la hausse des températures. Le rendement du maïs, au contraire, est en régression en Afrique du nord et sub-saharienne ainsi qu’en Amérique latine et centrale par exemple (voir figure 1). 

Figure 1 – Synthèse de la littérature scientifique publiée depuis le dernier rapport du GIEC (2014) mesurant l’impact du réchauffement climatique observé sur les rendements des principales espèces cultivées dans les différentes régions du monde. Source : GIEC[1] 

Dans les sections suivantes, nous examinons en détail les différentes assertions contenues dans cette vidéo.

Les pâtes

Affirmation: « La culture du blé se complique. La chaleur de plus en plus intense brûle les champs et nécessite de plus en plus d’eau dans les régions soumises à de fortes sécheresses »

Le blé, base de la fabrication des pâtes en Occident, fait partie des céréales les plus cultivées dans le monde, derrière le maïs, et à égalité avec le riz. Près de 800 millions de tonnes ont ainsi été produites en 2022. Du point de vue de la nutrition, le blé est une des cultures les plus importantes pour l’humanité : il  représente 20 % des calories et 20 % des protéines de la consommation humaine journalière[3].

Sous l’effet de la sécheresse, les champs de blé ne « brûlent » pas au sens littéral comme on le voit dans la vidéo. Mais la hausse des températures cause un stress hydrique (la plante transpire plus qu’elle ne puise d’eau dans le sol) et un stress thermique (la plante bloque alors sa transpiration, et ne peut plus se refroidir). Ceci impacte la production et se traduit globalement par une baisse des rendements. Une étude a mis à l’épreuve 30 modèles prédictifs du rendement du blé sur des données de rendement mesurées entre 1981 et 2010, puis les a combinés pour estimer la baisse de production future à 6 % en moyenne pour chaque degré Celsius de hausse de température, et ce en l’absence de mesures visant à atténuer le changement climatique. La variabilité géographique est importante : les pays du sud sont de manière générale beaucoup plus affectés, pour un scénario de réchauffement “modéré” (+2°C) ou extrême (+4°C) (voir figure 2)[4].

Figure 2a Tendances du rendement en grains pour 1981-2010 basées sur le rendement médian d’un ensemble de 30 modèles. b et c, Rendement médian relatif en grains pour des augmentations de température de +2°C (b) et +4°C (c) imposées sur la période 1981-2010 pour l’ensemble de 30 modèles utilisant des cultivars spécifiques à la région. Plus le cercle est grand, moins l’incertitude est élevée. Source : Asseng et al., Nature Climate change, 2015.

Quant aux besoins du blé en eau, ils reposent largement sur les précipitations, puisque l’irrigation, dans les pays où elle est pratiquée, concerne au maximum 20 % des terres cultivées (chiffre 2021). L’irrigation atténue les effets du changement climatique quand elle peut être mise en œuvre. Une étude réalisée au Kansas (États-Unis) sur plus de 7000 observations de cultures de blé irriguées ou non, sur une période de 29 ans, montre que l’irrigation permet de compenser presque complètement l’effet néfaste d’un stress de chaleur (température supérieure à 34°C) sur le rendement. Dans les projections réalisées sur les différents scénarios de hausse de température (+1 à +4°C) l’irrigation compense les baisses de rendement attendues[5].    

La vidéo mentionne incidemment le même risque avec « la semoule » et « le riz ». La semoule est une mouture plus ou moins fine d’une céréale, on ne précise par laquelle ici, mais la problématique est la même que pour les pâtes. Pour le riz, la baisse du rendement estimée aujourd’hui par rapport à la période de référence 1850-1900 est relativement faible, de l’ordre de 2%[2].

La science ne prévoit donc pas que les pâtes vont disparaître, mais que le rendement global des cultures de blé va être impacté négativement, avec des disparités selon les régions.


Le café

Affirmation (erroné): « D’ici 2050, la production pourrait être réduite de 90 %, à cause des fortes chaleurs qui empêchent les abeilles de polliniser les fleurs de caféier. »

L’impact de la pollinisation des cultures sur leur rendement, par les abeilles mais aussi nombre d’autres insectes, est documenté. Près de 75% des espèces cultivées dépendent de manière plus ou moins étroite de la pollinisation[6]. Une étude montre que 28% à 61% (selon les modèles utilisés) des systèmes de culture sont en déficit d’insectes pollinisateurs. L’impact sur les rendements varie selon les espèces. Privé de pollinisateurs, l’amandier peut connaître des baisses de rendement de 40 à 90%. Cette dépendance n’est que partielle pour le caféier, qui est autofertile : le vent transporte le pollen d’une fleur à l’autre, et la baisse de rendement, si les insectes pollinisateurs ne sont pas présents, est d’au maximum 40%[7]. Une baisse de 90% ne pourrait donc pas être imputée seulement à l’absence de pollinisation.

D’une manière générale, les insectes peuvent être gênés par la chaleur, et adaptent leur développement et leur comportement en conséquence. Une étude menée sur une espèce de bourdon (bombus terrestris), un autre insecte pollinisateur, montre que des colonies sauvages et d’élevage exposées à une température de 33°C donnent naissance à beaucoup moins d’individus que celles exposées à 27°C (température optimale pour l’espèce), et ceux-ci visitent beaucoup moins les fleurs[8].

Mais le risque direct pour le café est avant tout climatique. Une étude montre ainsi qu’à l’horizon 2050, la surface des terres favorables à la culture du caféier (de la variété arabica soit 70% de la production) se réduira globalement de 50% à cause de la hausse des températures. Certaines régions de production, comme le Brésil, seront particulièrement impactées. Pour le café « Robusta » (variété canephora, 30% de la production), le bassin du Congo pourrait se révéler impropre à sa culture dans le cas d’un scénario de fort réchauffement. Certaines régions d’altitude en Afrique de l’Est pourraient cependant bénéficier d’une hausse des températures[9].

Le chiffre avancé dans la vidéo de 90% de baisse de la production de café d’ici 2050 semble donc provenir d’une confusion. Il ne s’agit pas en effet de la production mais de la surface des terres appropriées pour la culture du café, qui se réduirait, dans le pire des scénarios climatiques (+4°C de réchauffement global si aucune action d’atténuation n’est menée), de 88% en Amérique Latine, première région mondiale de production[10]. Science Feedback a contacté Le Démotivateur concernant l’origine de ces 90% et nous mettrons à jour cet article le cas échéant. 

Outre le réchauffement global, la culture du caféier est sensible à des événements climatiques extrêmes (sécheresse, gel, inondations), dont la fréquence tend à augmenter avec le changement climatique et qui peuvent impacter ponctuellement les rendements de manière importante. Une étude qui porte sur la période 1980-2020 pointe notamment la responsabilité du phénomène El Niño, qui se traduit périodiquement par un fort déficit de pluviométrie et des températures élevées dans les régions tropicales de l’Amérique du sud et en Indonésie notamment[11].

Le changement climatique menace donc sérieusement les cultures de café, avec la hausse des températures qui réduit les zones cultivables, une moindre activité des insectes pollinisateurs et le risque d’événements extrêmes plus fréquents. La science ne dit cependant pas que cette culture va presque totalement disparaître à l’horizon 2050.

Le chocolat :

Affirmation (Exact): « Les terres de culture du cacaoyer de sont de plus en plus arides et soumises à des restrictions d’eau »

C’est vrai globalement. Le cacaoyer (Theobroma cacao) est cultivé dans les pays situés à 20° de latitude de part et d’autre de l’équateur, en climat chaud et humide. Or les épisodes de sécheresse dans ces régions seront de plus en plus fréquents[12]. En Côte d’Ivoire et au Ghana, qui constituent la principale région productrice (+ de 50% de la production mondiale), les scénarios climatiques, dans le cas où aucune mesure d’adaptation ne serait prise, pointent vers une réduction des terres adaptées à la culture du cacao à l’horizon 2050 (voir figure 3). Afin de lutter contre le phénomène, les auteurs de cette étude soulignent la nécessité de cultiver des variétés plus résistantes à la sécheresse, et d’avoir recours à des pratiques agronomiques comme l’agroforesterie (culture ombragée en milieu forestier)[13].

Figure 3 – Adéquation climatique actuelle et future à la production de cacao dans les régions cacaoyères du Ghana et de la Côte d’Ivoire. Évolution de l’adéquation des régions cacaoyères d’ici 2050 et mesures de concordance et de coefficient de variation des résultats. Source : Läderach et al., Climatic change, 2013.

Comme le caféier, le cacaoyer est également sensible aux risques climatiques, dont la fréquence va augmenter. Au Brésil, une étude de terrain révèle que dans les régions du nord-ouest où est produit la majorité du cacao, un épisode El Niño en 2015-2016 a causé une sécheresse qui a eu pour conséquence une baisse de 89 % du rendement[14].


La bière :

Affirmation (sans fondement) : « Pour faire de la bière, il faut de l’orge qui est une céréale. Là aussi les cultures sont menacées par des épisodes de plus en plus intenses de sécheresse qui pourrait faire disparaître cette fameuse boisson d’ici moins d’un siècle. »

La bière est produite à partir d’orge, une céréale également utilisée pour l’alimentation du bétail. Dans les publications scientifiques consultées, les conclusions sont identiques à celles du blé : une inflexion des rendements due à la hausse des températures, avec des disparités régionales. 

Une étude scientifique s’est intéressée à l’impact sur les rendements en orge  des événements extrêmes (fortes chaleurs et sécheresse)amenés à devenir plus fréquents. Les années où ils surviennent, les rendements pourraient décroître de 3 % en valeur absolue (pour un scénario où la température globale augmente de 2°C à l’horizon 2100), et jusqu’à 17 % ( pour une augmentation de 4°C), si aucune action n’est entreprise pour lutter contre le changement climatique. Dans ce dernier scénario, les événements extrêmes (périodes de forte sécheresse) seront fréquents, la consommation de bière baisserait de 16 % en moyenne et les prix doubleraient en moyenne pendant ces périodes, avec de fortes disparités régionales[15]

La bière n’est donc pas amenée à disparaître mais sa production pourrait diminuer globalement et serait fluctuante selon la fréquence des événements de sécheresse.

Les tomates


Affirmation (Imprécis):
« Les fruits et légumes sont aussi concernés. La tomate demande d’énormes ressources en eau dans des régions régulièrement frappées par des épisodes de sécheresse ».

Les besoins en eau de la tomate dépendent de son mode de culture. Ils peuvent être élevés en plein champ (100 à 300 L/kg produit), mais réduits grâce à une irrigation performante (60 L/kg), et bien davantage sous serre fermée avec système hydroponique (4 L/kg).
Les tomates cultivées en plein champ sont principalement à vocation industrielle (fabrication de sauces, coulis, ketchup, etc.). Près de 40 millions de tonnes sont ainsi transformées annuellement. Pour ces plantes, une étude menée sur des cultures irriguées dans trois des principaux pays producteurs, les États-Unis, l’Italie et la Chine, qui représentent 65% de la production mondiale, conclut à une baisse moyenne des rendements de 6% d’ici 2050 du fait de la hausse de la température de l’air, par rapport à la période de référence 1980–2009, avec là encore des disparités régionales. À Foggia et en Émilie-Romagne, principales régions d’Italie, une baisse de 10% des précipitations est attendue en plus de ce réchauffement. Cette situation va nécessiter un apport d’eau supplémentaire par irrigation. Après 2050 et jusqu’à 2100, les résultats sont différents selon les actions entreprises pour lutter contre le réchauffement climatique (voir figure 4). Les rendements sont à la baisse en Italie et en Californie mais à la hausse en Chine (régions du Gansu et de Mongolie intérieure)[16].

Fig. 1
Figure 4 – (a) Principales zones de production de tomates de transformation (en millions de tonnes). Tendances simulées pour la Californie (b), l’Émilie-Romagne (c), Foggia (d), le Xinjiang (e), le Gansu (f), la Mongolie intérieure (g) et le monde entier (h). Les valeurs sont calculées en utilisant le rendement en poids sec pour le scénario climatique SSP1-2,6 (1,8°C de réchauffement) (ligne orange), SSP3-7,0 (3,6°C) (ligne rose) et SSP5-8,5 (4,4°C) (ligne bleue). Source : Cammarano et al., Nature Food, 2022

Conclusion :

Les études existantes ne prédisent pas la disparition à plus ou moins longue échéance du blé, du cacao, du café, de la bière et des tomates. Mais le changement climatique a un impact réel sur les rendements agricoles, avec une tendance globale à la baisse et de fortes disparités régionales. Certaines régions du monde, dont le climat est chaud, seront particulièrement affectées par les sécheresses plus fréquentes. D’autres, telles l’Europe du nord ou l’Asie centrale, pourraient bénéficier d’une hausse des températures. Par ailleurs, les études soulignent que l’irrigation, quand elle est possible, la sélection de variétés plus résistantes à la sécheresse, ou la mise en œuvre de certaines pratiques agronomiques (agroforesterie par exemple) peuvent permettre dans une certaine mesure d’atténuer les effets du changement climatique.

Références

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