• Climat

Le groupe CLINTEL s’appuie sur des affirmations erronées dans sa déclaration « il n’y a pas d’urgence climatique »

Posté le : 28 Déc 2023

à retenir

Les scientifiques ont examiné toutes les causes potentielles du changement climatique et ont conclu que l’activité humaine est responsable du réchauffement actuel, et non la fin du Petit Âge Glaciaire, qui, lui, n’affecte que l’hémisphère nord. Le changement climatique a des impacts néfastes sur les plantes et l’agriculture, notamment par son influence sur les événements météorologiques extrêmes.

élément analysé

Erroné

Le réchauffement climatique n’est que la fin du Petit Âge Glaciaire ; Le réchauffement est plus lent que ce que les modèles climatiques avaient prévu ; Le dioxyde de carbone est bénéfique pour la Terre ; Le réchauffement climatique n'intensifie pas et n’augmente pas la fréquence des catastrophes naturelles

Source : The Epoch Times, Naveen Athrappully, CLINTEL, 19 Août 2023

détail du verdict

Erroné :

Les observations démontrent que les températures moyennes de surface ont augmenté depuis 1850. Parmi d’autres éléments probants, les modèles climatiques, qui ont su prévoir avec précision la température moyenne de surface, indiquent que l’activité humaine, et notamment les émissions humaines de dioxyde de carbone, sont responsables de cette augmentation, plutôt que la fin du Petit Âge Glaciaire. Les preuves scientifiques soutiennent la conclusion selon laquelle le changement climatique influence divers événements météorologiques extrêmes ayant un impact négatif sur les plantes et l’agriculture, contrairement aux allégations non étayées avancées dans cette lettre et sa couverture médiatique, suggérant que le CO2 est bénéfique.

affirmation complète

“Le Petit Âge Glaciaire a pris fin récemment en 1850. Il n'est donc pas surprenant que nous vivions maintenant une période de réchauffement." ; "Le réchauffement est bien plus lent que ce qui était prévu." ; "Les modèles climatiques présentent de nombreuses lacunes…" ; "Le CO2 est une nourriture pour les plantes, à la base de toute vie sur Terre." ; "Il n'existe aucune preuve statistique permettant d'affirmer que le réchauffement climatique intensifie les ouragans, les inondations, les sécheresses et autres catastrophes naturelles similaires, ou les rend plus fréquents."

Vérification

Une lettre publiée le 14 août par CLINTEL, un groupe affirmant bénéficier du soutien de « 1 609 scientifiques et professionnels », diffuse une série d’affirmations trompeuses au sujet de la science climatique pour aboutir à la déclaration “il n’y a pas d’urgence climatique ». Il s’agit d’une lettre ancienne, datant de 2019, re-publiée régulièrement pour actualiser le nombre de signataires. La première version, envoyée à l’Organisation des Nations Unies et aux membres du Parlement Européen, comptait 500 signataires dont 40 français parmi lesquels aucun n’est scientifique du climat. La seconde est publiée en 2020 et affiche 1106 signataires, dont 49 français. À nouveau, aucun signataire français n’est climatologue. Cette troisième édition de la lettre est relayée par des dizaines de blogs en ligne et de sites d’actualités, y compris Epoch Times, un média qui a diffusé de la désinformation sur les sujets scientifiques.

La lettre affirme d’abord qu’il « n’est pas surprenant que nous vivions maintenant une période de réchauffement » parce que le « Petit Âge Glaciaire a pris fin récemment en 1850 ». Le Petit Âge Glaciaire fait référence à une période de refroidissement léger particulièrement marquée dans l’hémisphère nord, généralement définie comme ayant eu lieu du milieu du XVIe au milieu du XIXe siècle (Fig. 1)[1]. Les scientifiques ont avancé diverses explications quant à la cause du Petit Âge Glaciaire, notamment une activité solaire réduite[2], des variations dans les schémas de circulation atmosphérique[1], des changements dans la circulation océanique et la dynamique des glaces dans l’Atlantique Nord[3], de grandes éruptions volcaniques[4], voire des changements d’utilisation des terres induits par le colonialisme européen[5].

Figure 1 – Reconstitutions et observations du changement de température global au cours des deux derniers millénaires, par rapport à une période de référence de 1850 à 1900. L’ampleur du changement de température pendant le Petit Âge Glaciaire, indiquée par la zone ombrée en bleu sur le graphique, est largement dépassée par le réchauffement actuel. Source : Climate Lab Book

À ce sujet, la lettre laisse entendre que le réchauffement post-industriel découle naturellement de la fin de cette période de refroidissement, ce qui n’est pas le cas. La figure 2 permet d’observer la différence d’ordre de grandeur entre le refroidissement du petit âge glaciaire et le réchauffement climatique à partir du XXe siècle : l’ampleur réchauffement est très largement supérieure. Les scientifiques du climat ont examiné l’influence des facteurs d’origine humaine et naturelle sur la température de surface moyenne et ont conclu que le réchauffement contemporain est dû à l’activité humaine (Fig. 2)[6,7].

Comme l’a fait remarquer Timothy Osborn, climatologue à l’Université d’East Anglia, dans un témoignage à Climate Feedback au sujet d’une affirmation similaire, « […] le réchauffement naturel après le Petit Âge Glaciaire s’est achevé à la fin des années 1800. De la fin des années 1800 à aujourd’hui, le réchauffement est entièrement dû au changement climatique d’origine humaine, car les facteurs naturels ont peu changé et auraient dû provoquer un refroidissement léger au cours des 70 dernières années, au lieu du réchauffement que nous avons observé » (Fig. 2).

Figure 2 – (à gauche) Anomalie de température moyenne de surface de la planète par rapport aux moyennes décennales de la période 1850-1900, témoignant d’un taux de réchauffement sans précédent depuis 1850 et (à droite) changements de température observés (noir) et simulés depuis 1850 avec (marron) et sans (vert) facteurs humains. Remarquez que les seuls facteurs naturels sont insuffisants pour expliquer le taux de réchauffement post-industriel sans précédent, comme le documentent les observations. Source : IPCC AR6

La lettre prétend ensuite que « le réchauffement est bien plus lent que ce qui était prévu » et que « le monde s’est bien moins réchauffé que ce que prévoyait le GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] sur la base des forçages anthropiques modélisés ». Cependant, les résultats des modèles du GIEC présentés à la Fig. 2 montrent que la gamme actuelle de modèles du Sixième Rapport d’Évaluation (AR6) du GIEC indique avec précision le réchauffement observé depuis 1850. Les modèles climatiques antérieurs ont également généralement bien prédit la température moyenne de surface (voir les prédictions de température des années 2000-2020 faites en 1990 par exemple, Fig. 3)[8]. Bien que certains modèles aient surestimé le réchauffement, d’autres l’ont aussi sous-estimé.

Comme l’ont souligné les auteurs d’un article de 2019[8] examinant la fiabilité des projections des modèles climatiques au cours des dernières décennies, « nous ne trouvons aucune preuve indiquant que les modèles climatiques évalués dans cet article ont systématiquement surestimé ou sous-estimé le réchauffement sur leur période de projection ». En suggérant que les modèles climatiques ont systématiquement surestimé le réchauffement, la lettre du CLINTEL effectue une sélection d’informations biaisée —retenant uniquement les résultats qui appuient la conclusion souhaitée, tout en excluant les autres.

Figure 3 – Moyenne du changement de température simulé par les modèles du premier rapport d’évaluation du GIEC publié en 1990 (noir) par rapport à diverses observations de température (couleurs). Source : Carbon Brief

Selon la lettre, le dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement moderne, serait « de la nourriture pour plantes […] bénéfique à la nature », qui « augmente le rendement des cultures dans le monde ». Cependant, les scientifiques expliquent que cette affirmation simplifie excessivement la relation entre les plantes et le CO2.

« Les avantages de l’augmentation des concentrations de CO2 pour la croissance des plantes sont de plus en plus contrebalancés par les impacts négatifs, notamment ceux du réchauffement climatique », a déclaré Sara Vicca, biologiste végétale et biogéochimiste à l’Université d’Anvers, dans un témoignage à Climate Feedback pour un article précédent sur le sujet. « Cela est vrai tant pour les écosystèmes naturels que pour les écosystèmes agricoles ».

Bien que les observations satellitaires indiquent qu’une augmentation des niveaux de CO2 atmosphérique a soutenu la croissance des plantes au cours des dernières décennies, ces puits terrestres (et marins) de CO2 n’éliminent pas tout le CO2 anthropique de l’atmosphère. L’absorption de carbone par les plantes terrestres et marines contribue à ralentir le taux de réchauffement. Cependant, le CO2 restant dans l’atmosphère est bien la cause du changement climatique qui cause divers impacts négatifs sur les plantes et l’agriculture.

Selon le dernier rapport du GIEC, l’influence humaine sur le climat a créé des conditions physiques susceptibles d’augmenter l’occurrence et la gravité de certains événements météorologiques extrêmes (comme de fortes précipitations, plusieurs types d’inondation simultanés, des conditions météorologiques propices aux incendies, et des sécheresses agricoles et écologiques)[6], contrairement à l’affirmation de la lettre selon laquelle le changement climatique « n’a pas accru les catastrophes naturelles ». Les scientifiques de l’attribution ont même pu identifier l’influence du changement climatique sur certains événements météorologiques extrêmes individuels. Par exemple, les scientifiques ont constaté que l’occurrence d’une vague de chaleur aussi intense que celle de 2019 en France est rendue au moins 10 fois plus fréquente aujourd’hui qu’il y a un siècle par le changement climatique[9].

Ces événements, affirment les scientifiques, exercent une pression supplémentaire sur les plantes et l’agriculture. « Nous voyons déjà les premiers signes d’un déclin du puits de CO2 terrestre et les vagues de chaleur extrêmes et les sécheresses semblent être une raison centrale derrière cela », a indiqué Vicca. Une méta-analyse a identifié des relations négatives entre le réchauffement et les rendements du maïs, du riz, du blé et du soja, quatre cultures agricoles majeures[10]. Des niveaux élevés de CO2 pourraient également réduire la valeur nutritionnelle du riz, selon une étude de 2016[11].

L’auteur de l’article publié sur Epoch Times ainsi que de nombreux posts sur les réseaux sociaux prétendent que la lettre du CLINTEL contient les signatures de « plus de 1 600 scientifiques ». Cependant, comme dans les versions précédentes de cette lettre, cette affirmation est trompeuse car de nombreux signataires de la lettre, soit 1 609 au total, ne sont pas des scientifiques : certains se décrivent comme « enseignant retraité et gestionnaire d’une petite entreprise », « concepteur principal de navires » et « spécialiste en conseil financier ». De plus, très peu des signataires s’identifiant comme scientifiques rapportent des compétences en climatologie.

Références

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