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L’étude de la Cleveland Clinic ne montre pas que le risque de COVID-19 augmente avec le nombre de doses de vaccin reçues; corrélation n’est pas causalité

Posté le : 28 Juil 2023

À RETENIR:

Les vaccins contre le COVID-19 réduisent efficacement le risque de maladie grave et de décès. Les vaccins bivalents ont été développés afin de contrer le variant Omicron, plus contagieux, qui a été détecté pour la première fois en novembre 2021. Comme la protection offerte par la vaccination ou par l’infection diminue avec le temps, différentes autorités de santé publique ont recommandé des doses de rappel, en particulier pour les personnes à haut risque de COVID-19 grave, comme moyen de maintenir la protection contre le virus.

ÉLÉMENT ANALYSÉ

Infondé

“Plus une personne reçoit de doses de vaccins COVID-19, plus le risque de contracter le virus est élevé”

Source : Planetes360, Anonyme, 1 Juin 2023

DÉTAIL DU VERDICT

Preuves insuffisantes:

L’association seule n’implique pas une causalité. Les associations peuvent apparaître en raison d’une relation causale entre deux variables, mais peuvent également survenir en raison de facteurs de confusion. L’étude de la Cleveland Clinic n’a pas écarté certains facteurs de confusion potentiels, comme la possibilité que les personnes ayant reçu davantage de doses de vaccin soient également celles travaillant dans des emplois plus exposés aux risques de contamination..

Picorage:

Plusieurs autres études publiées ont rapporté que l’administration de doses supplémentaires du vaccin contre le COVID-19 renforce la protection d’une personne contre cette maladie. Cependant, les contenus propageant l’affirmation omettent généralement toute mention de telles études, laissant aux utilisateurs une vision biaisée de la recherche sur ce sujet.

AFFIRMATION COMPLÈTE

“Plus une personne reçoit de doses de vaccins COVID-19, plus le risque de contracter le virus est élevé”

Vérification

Une affirmation fondée sur les résultats d’une étude de la Cleveland Clinic est devenue virale au début du mois de juin 2023. Selon cette affirmation, l’étude de cette clinique américaine aurait montré que recevoir davantage de doses de vaccin contre le COVID-19 augmentait le risque de contracter la maladie. Un article du Gateway Pundit reprenant cette affirmation a reçu plus de 5 800 interactions sur Facebook et Twitter, selon l’outil d’analyse des médias sociaux CrowdTangle. 

Le Gateway Pundit a un historique de publication d’informations inexactes et de théories du complot, y compris la fausse allégation que les victimes de la fusillade du lycée de Parkland étaient des « acteurs de crise ». Le podcasteur et comédien Joe Rogan a fait la même affirmation dans son podcast « The Joe Rogan Experience » le 8 juin 2023, citant l’article du Gateway Pundit comme preuve. On retrouve également cette affirmation sur des sites web francophones. Silvano Trotta, un entrepreneur habitué des théories du complot, l‘a aussi reprise à son compte sur Twitter. 

D’autres sites web comme Children’s Health Defense et le média The Hill ont également fait la même affirmation. La vidéo de The Hill à ce sujet sur Facebook a reçu plus de 67 000 vues à ce jour.

Cependant, l’étude de la Cleveland Clinic ne fournit pas suffisamment de preuves pour soutenir l’affirmation et plusieurs autres études publiées contredisent l’affirmation, comme nous l’expliquerons ci-dessous.

Ce que l’étude a fait

Un groupe de chercheurs de la Cleveland Clinic dans l’Ohio a entrepris d’évaluer l’efficacité du vaccin bivalent contre le COVID-19. Le vaccin bivalent cible la souche originale du SARS-CoV-2 isolée à Wuhan, en Chine, ainsi que le variant Omicron, plus contagieux.

Pour ce faire, ils ont suivi plus de 50 000 employés de la Cleveland Clinic pendant 26 semaines, à partir de la mise à disposition du vaccin bivalent en septembre 2022. Parmi ces employés, 4 424 (8,7%) cas de COVID-19 ont été détectés. En comparant les cas chez les personnes qui ont reçu le vaccin bivalent à ceux qui ne l’ont pas reçu, ils ont estimé que l’efficacité du vaccin bivalent contre la maladie était de 29% lorsque le variant BA.4/5 était dominant, mais seulement de 4% avec le variant ultérieur appelé XBB[1].

Le BA.4/5 et le XBB sont tous deux des sous-types du variant Omicron. Cependant, le variant XBB porte de nouvelles mutations qui lui permettent d’échapper plus facilement au système immunitaire, ce qui pourrait expliquer la moindre efficacité du vaccin contre la maladie observée avec XBB.

Par ailleurs, les chercheurs ont rapporté que la probabilité de contracter le COVID-19 était associée au nombre de doses de vaccin reçues et que cela était statistiquement significatif, une découverte qu’ils ont qualifiée d' »inattendue ». C’est cette découverte qui forme la base de l’affirmation faite dans la vidéo de The Hill et les articles de Children’s Health Defense et du Gateway Pundit. Cependant, ces publications minimisent ou omettent toute mention de la principale conclusion de l’étude: les rappels bivalents augmentent la protection contre le COVID-19.

L’association seule n’indique pas la causalité

Science Feedback a contacté l’auteur principal de l’étude, le médecin spécialiste des maladies infectieuses Nabin Shrestha, qui a précisé par courriel que « l’association n’est pas la causalité », et que « toute affirmation selon laquelle notre étude montre une relation causale entre la prise de davantage de doses de vaccin contre le COVID-19 et un risque plus élevé d’infection est fausse ».

En effet, bien qu’une association entre deux événements puisse être un signe qu’ils sont causalement liés, cela peut aussi s’expliquer par d‘autres raisons.

Dans la section Discussion de l’étude, les auteurs ont suggéré qu’il était “possible que l’association du nombre de doses de vaccin précédentes avec un risque accru d’infection ait été biaisée par le temps écoulé depuis l’exposition au SARS-CoV-2 précédente”. Une exposition antérieure au SARS-CoV-2 pourrait générer un certain degré d’immunité, qui diminue avec le temps. Ainsi, le temps écoulé depuis la dernière exposition d’une personne peut influencer le risque de contracter de nouveau le COVID-19.

Une autre explication possible avancée par des scientifiques extérieurs à l’étude est que les personnes qui ont décidé de prendre plus de doses de vaccin étaient également plus susceptibles de se faire tester pour le COVID-19 en cas de symptômes que les personnes qui ont choisi de prendre moins, voire aucune, doses. Ainsi, des différences dans le comportement de recours aux soins pourraient donner lieu à un biais de dépistage, conduisant à la détection de plus de cas parmi ceux qui ont reçu plus de doses de vaccin.

James Lawler, professeur de maladies infectieuses à l’Université du Nebraska, a déclaré au groupe de fact-checking Lead Stories que “Avoir un [test] PCR positif pour le COVID nécessite avant tout de se présenter au test […] la grande majorité des cas de COVID en fin 2022 ne se sont jamais présentés pour un test. Ce fait présente un potentiel de biais énorme pour une étude rétrospective”.

Jeffrey Morris, biostatisticien et professeur à l’Université de Pennsylvanie, a également exprimé des préoccupations similaires dans ce tweet.

Cela dit, les auteurs de l’étude ont déclaré qu’ils “n’avaient pas trouvé d’association entre le nombre de tests de COVID-19 effectués et le nombre de doses de vaccin précédentes, ce qui suggère que ce n’était pas un facteur de confusion” bien que cette information n’apparaisse pas dans les tableaux de statistiques présentés dans l’étude.

En outre, les personnes qui reçoivent davantage de doses du vaccin peuvent-être plus susceptibles d’avoir des emplois en contact direct avec les patients – et donc d’être plus souvent exposées au COVID-19 – que celles qui reçoivent moins de doses, un point souligné par Greg Tucker-Kellogg, professeur de biologie à l’Université nationale de Singapour.

Cependant, l’étude n’indique ni la proportion de personnes ayant reçu trois doses ou plus, ni le nombre de cas de COVID-19 chez les employés travaillant directement en contact avec les patients.

Ainsi, l’association observée entre le risque de COVID-19 et le nombre de doses de vaccin peut-être due au fait que les personnes les plus à risque de contracter le COVID-19 à cause de leur occupation professionnelle sont aussi les plus susceptibles de recevoir plusieurs doses de vaccin. En absence de données à ce sujet dans l’étude, cette possibilité ne peut pas être exclue.

En bref, il y a plusieurs facteurs de confusion potentiels qui n’ont pas été pleinement pris en compte dans l’étude. Avoir de telles informations fournirait une base plus fiable pour évaluer la nature de l’association entre le nombre de doses de vaccin et le risque de COVID-19.

Loin d’affirmer que la prise de davantage de doses de vaccin contre le COVID-19 augmente le risque de COVID-19 d’une personne, les auteurs ont conclu que « La découverte inattendue d’un risque croissant [de COVID-19] avec l’augmentation du nombre de doses de vaccin COVID-19 précédentes nécessite une étude plus approfondie », ce qui est cohérent compte tenu des limites de l’étude mentionnées précédemment. 

Ce n’est pas la première fois que cette étude sert de base à de la désinformation. Au début de 2023, l’étude, alors une pré-publication (une étude qui n’a pas encore été évaluée par des pairs), a été incorrectement citée par le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, comme preuve que les doses de rappel bivalentes augmenteraient le risque de COVID-19, une affirmation qui contredit les résultats principaux de l’étude.

Plusieurs études publiées ont montré que les doses de rappel renforcent la protection contre le COVID-19, et non l’inverse

L’affirmation selon laquelle davantage de doses de rappel augmentent le risque de COVID-19 est contredite par plusieurs études publiées. Celles-ci ont montré, au contraire, que les doses de rappel renforcent la protection contre le COVID-19.

Une étude des centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux États-Unis (Centers for Diseases Control and Prevention, CDC) a observé que les doses de rappel améliorent la protection contre l’infection symptomatique causée par le variant XBB chez les personnes précédemment vaccinées, au moins pendant les trois premiers mois après la vaccination[2]. Selon cette étude, l’efficacité du vaccin contre le variant BA.5 est de 52% chez les personnes âgées de 18 à 49 ans et de 49% contre le variant XBB, bien que l’efficacité diminue avec l’âge.

Une autre étude publiée dans journal de l’association médicale américaine, a porté sur des patients hospitalisés entre octobre 2021 et juillet 2022, et a constaté que ceux qui avaient reçu une dose de rappel avaient réduit leur probabilité d’hospitalisation d’environ 50% par rapport à ceux qui n’avaient reçu que la première série de vaccination[3].

Dans une lettre au New England Journal of Medicine, des chercheurs ont signalé que les doses de rappel augmentent la protection contre les maladies graves[4]. L’efficacité du vaccin est de 24,9% pour une dose de rappel monovalente (un rappel ciblant uniquement la souche originale) et de 61,8% pour une dose de rappel bivalente, bien qu’ils aient également noté que la protection diminuait après quatre semaines.
Que les résultats de l’étude de la Cleveland Clinic soient en désaccord avec d’autres études publiées auparavant ne signifie pas nécessairement qu’elle soit erronée ou qu’il faille la rejeter. Toutefois, le fait que ses conclusions divergent des autres études appelle à la prudence lors de l’interprétation de ses résultats.

Conclusion

En résumé, l’affirmation selon laquelle une étude de la Cleveland Clinic aurait montré que davantage de doses de vaccin contre le COVID-19 augmentent le risque de contracter cette maladie est trompeuse  En effet, l’étude a été conçue pour évaluer l’efficacité du vaccin bivalent, et non pour déterminer si le nombre de doses influence le risque de COVID-19. Par conséquent, plusieurs sources de confusion potentielles n’ont pas été prises en compte. L’affirmation ne tient pas non plus compte de plusieurs autres études publiées qui ont trouvé que les doses de vaccin additionnelles renforcent la protection contre le COVID-19. En omettant ces aspects, l’affirmation donne donc aux lecteurs une vision partielle et partiale de l’état actuel des connaissances sur le sujet.

RÉFÉRENCES:

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