- Santé
Le nombre de cancers augmente, mais aucune preuve qu’ils sont « turbo » et liés aux vaccins ARNm anti-COVID
À RETENIR:
L’incidence des cancers augmente depuis des décennies en raison du vieillissement et de l’exposition à de nouveaux facteurs de risque, mais les taux de mortalité continuent de diminuer grâce aux progrès médicaux. Aucune donnée scientifique ne soutient l’existence des “turbos cancers” ni un lien entre les vaccins ARNm du COVID-19 et une augmentation de l’agressivité des cancers.
ÉLÉMENT ANALYSÉ
Verdict :
Affirmation :
DÉTAIL DU VERDICT
Erroné:
Aucune donnée épidémiologique ne permet de caractériser les nouveaux cancers diagnostiqués comme étant des “turbos cancers”, c’est-à-dire agressifs et à évolution rapide.
Preuve insuffisante:
La temporalité ne suffit pas pour établir un lien de causalité entre le vaccin à ARNm contre le COVID et les “turbos cancers”.
AFFIRMATION COMPLÈTE
Les turbos cancers sont causés par le vaccin ARNm du COVID. Ces vaccins induisent une altération du thymus et donc un déséquilibre du système immunitaire qui causerait l’apparition de cancer agressifs.
Vérification
Depuis le début de la campagne de vaccination contre le COVID-19, des rumeurs et des affirmations alarmistes sur les vaccins à ARNm circulent massivement sur les réseaux sociaux. Parmi elles, des allégations associant ces vaccins à des risques tels que l’infertilité, des modifications de l’ADN, ou encore l’émergence de cancers agressifs, parfois qualifiés de « turbos cancers« . Ce terme, largement relayé par des blogueurs comme Patrice Gibertie, un fervent opposant à la vaccination , ne correspond à aucune définition médicale reconnue et désignerait des cancers très agressifs à évolution rapide. Ils seraient supposément causés ou accélérés par l’administration des vaccins à ARNm. Nous examinerons si des preuves tangibles soutiennent l’idée d’une augmentation des cancers en France, tout en étudiant l’éventuelle existence d’un lien de causalité entre les vaccins à ARNm et ces prétendus « turbos cancers ».
La France et le Royaume-Uni voient une augmentation de l’incidence de nouveaux cancers depuis plusieurs années
Selon l’Institut National du Cancer (INCa), en 2023, 433 136 nouveaux cas ont été diagnostiqués en France métropolitaine, dont 245 610 nouveaux cas chez les hommes et 187 526 chez les femmes. L’incidence du nombre de cancer tous types confondus a doublé depuis 1990 et s’explique en partie par l’augmentation et le vieillissement de la population et par des facteurs de risque (i.e. tabac, alcool, alimentation déséquilibrée, surpoids). Cependant, à l’inverse, la mortalité liées aux cancer en France n’a cessé de diminuer (2,1 % par an chez les hommes et 0,6 % par an chez les femmes) depuis plus de 25 ans, en grande partie dû à l’amélioration des soins proposés. Selon des données du National Health Service (NHS), des tendances similaires sont observées dans les pays voisins tels que le Royaume-Uni où l’incidence de nouveaux cas de cancer est en hausse mais le taux de mortalité est en déclin en 2022.
Aucune donnée ne permet d’établir que les cancers récemment diagnostiqués sont agressifs et à évolution rapide
Dans un article publié dans Le blog de Patrice Gibertie en Novembre 2024, l’auteur fait état d’une augmentation des cancers dits turbos en se basant sur une vidéo du James Royle, oncologue britannique, qui affirme à son tour voir: « une augmentation des “cancers turbo” inopérables suite au déploiement du vaccin COVID ». Dans un entretien avec le journal La dépêche, le directeur du pôle de recherche de l’INCa, Bruno Quesnel, explique que les autorités de santé ne disposent “d’aucun élément pour dire que les profils, l’incidence des cancers a changé” et explique ne pas avoir observé pour l’instant “de modification à la fois de proportion, de type histologique caractéristique pour l’instant”.
En complément, Alice Boilève, cheffe de clinique au service d’oncologie digestive de l’Institut Gustave Roussy, affirme qu’aucune modification de l’agressivité des cancers au moment du diagnostic n’a été observée au sein de son département ces deux dernières années. Cette observation, selon elle étayée par des données rétrospectives internes au département, est un indicateur essentiel dans le débat.
Par ailleurs, en 2023, un collectif d’environ cinquante médecins et chercheurs a également réfuté l’existence des prétendus “turbos cancers” dans une tribune publiée dans l’Express. Ces spécialistes soulignent l’absence totale de fondements scientifiques ou épidémiologiques pour soutenir cette idée, la qualifiant de pure spéculation sans appui factuel.
Pas de lien de causalité entre vaccins à ARNm et les supposés turbos cancers
Dans son post, toujours en se basant sur les affirmations de Jame Royle, Gibertie avance qu’un lien temporel entre l’augmentation des cas de « turbos cancers » et le déploiement du vaccin COVID-19 a été démontré. Selon lui, ce lien respecte les critères de Bradford-Hill, qui permettent d’établir une relation de causalité. Ainsi, il conclut que l’on peut affirmer qu’il existe un lien de causalité entre le vaccin à ARNm COVID-19 et l’incidence des « turbos cancers ».
Les critères de Bradford Hill, largement utilisés en épidémiologie[1], fournissent un cadre rigoureux pour évaluer si une relation causale peut être démontrée. Ces critères incluent, entre autres, la force et la consistance de l’association, la plausibilité biologique, les preuves expérimentales, et une relation dose-effet.
Prenons l’exemple du lien entre le tabac et le cancer du poumon. Cette relation a été établie parce qu’elle répondait à de nombreux critères : une forte association statistique (les fumeurs présentaient un risque nettement plus élevé), une cohérence des résultats (reproduits dans plusieurs populations et études), une plausibilité biologique (les substances cancérigènes présentes dans la fumée), et une relation dose-effet (plus la consommation de tabac était importante, plus le risque augmentait). Ces éléments combinés ont permis d’affirmer avec certitude que le tabagisme cause le cancer du poumon.
Dans le cas des « turbos cancers », seuls deux critères sont vaguement évoqués : la temporalité (le vaccin aurait précédé une hausse des cancers) et une hypothèse biologique. Cependant, cela ne suffit pas à établir un lien de causalité. En effet l’idée derrière les critères de Bradford-Hill est que c’est la vérification de l’ensemble des critères, en conjonction, qui permet d’établir la causalité. Un ou deux critères pris séparément ne permettent pas de conclure.
En l’absence d’autres éléments de preuve, invoquer la temporalité comme preuve d’une relation causale constitue donc une erreur logique qui consiste à supposer que, parce qu’un événement survient après un autre, il en est nécessairement la cause. Cette logique néglige la possibilité d’autres facteurs qui pourraient expliquer l’augmentation des cas.
D’autre part, l’hypothèse biologique avancée par Gibertie s’appuie sur un article publié dans le journal International Journal of Vaccine Theory, Practice, and Research, une revue controversée souvent associée à la désinformation sur les vaccins. Cette revue postule que la fixation de la protéine Spike (impliquée dans l’entrée du virus dans une cellule hôte) au récepteur ACE2 au niveau du thymus (organe impliqué dans l’éducation des globules blancs) pourrait entraîner leur dégradation, affectant ainsi le système immunitaire. Toutefois, cette hypothèse repose sur des extrapolations tirées de l’étude de Robles et al.[2], qui n’aborde ni les vaccins à ARNm ni les effets directs de la protéine Spike sur les cellules thymiques. Les résultats de Robles et al. concernent uniquement des modèles in vitro de cellules endothéliales, qui visent à comprendre l’influence de la protéine Spike sur le recrutement des globules blancs dans les vaisseaux sanguins.
En l’absence de preuves robustes, reproductibles, et répondant à plusieurs critères de Bradford Hill, il est scientifiquement infondé d’affirmer un lien de causalité entre le vaccin à ARNm du COVID et les prétendus « turbos cancers ».
Conclusion
Les affirmations liant le vaccin à ARNm du COVID-19 à l’émergence de prétendus “cancers turbos” reposent sur des extrapolations fragiles et des arguments dénués de fondements scientifiques solides. Malgré l’augmentation documentée de l’incidence des cancers en France et au Royaume-Uni, aucune donnée ne suggère une modification de l’agressivité des cancers diagnostiqués ou un lien direct avec la vaccination. La relation de temporalité entre l’apparition des cancers et la vaccination combinée à des observations anecdotiques de cliniciens ne suffisent pas pour établir une relation de causalité.
Références:
- 1 – Braford Hill et al. (1965) The Environment and Disease: Association or Causation? Proceedings of the Royal Society of Medicine
- 2 – Robles et al. (2022) The spike protein of SARS-CoV-2 induces endothelial inflammation through integrin α5β1 and NF-κB signaling. Journal of Biological Chemistry