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Le « savon contre le cancer » est une idée loin d’être réalisée ; aucune donnée disponible ne permet d’évaluer son efficacité antitumorale à ce jour

Posté le : 22 Oct 2024

à retenir

Le savon anticancer de la peau est en phase de conception et de tests sur modèles informatiques. La molécule active, l’imiquimod, a montré une efficacité limitée sur certains cancers de la peau précoces. Aucun essai clinique n’a encore eu lieu, et la commercialisation pourrait prendre un certain temps.

élément analysé

Trompeur

À seulement 15 ans, Heman Bekele a développé un savon qui prévient et traite des cancers de la peau disponible pour seulement 50 centimes.

Source : TikTok, Demotivateur, 27 Août 2024

DÉTAIL DU VERDICT

Trompeur :

Alors que Heman Bekele a récemment commencé des tests en laboratoire afin de développer un savon anti cancer de la peau, aucune donnée ne permet de confirmer son efficacité et son prix.

Affirmation complète

À seulement 15 ans, Heman Bekele a développé un savon qui prévient et traite des cancers de la peau disponible pour seulement 50 centimes.

Vérification

Depuis bientôt deux mois, des vidéos circulent sur les réseaux sociaux affirmant que Heman Bekele, un jeune Éthiopien de 15 ans, aurait développé un savon qui prévient et traite le cancer de la peau. Ces vidéos ont accumulé des centaines de milliers de vues, suscitant plus de 3 000 commentaires d’une large audience en quête d’un nouvel espoir dans la lutte contre le cancer de la peau, qui affecte plus de 200 000 nouvelles personnes chaque année en France.

Dans cette vidéo TikTok, l’auteur affirme que Heman Bekele a inventé un savon qui prévient et traite le cancer de la peau pour moins de 50 centimes. La temporalité, l’efficacité et le coût sont trois points trompeurs relayés ici. Nous allons ensemble comprendre pourquoi tout ceci semble intéressant mais ne demeure, jusqu’à présent, qu’une idée au stade embryonnaire. 

L’objectif de Heman Bekele est de développer un savon pour traiter le cancer de la peau, et non de le prévenir

Dans une interview pour la célèbre chaîne de radio américaine National Public Radio (NPR) en Août 2024, Heman Bekele commente « Je souhaite transformer ce projet passion en une organisation à but non lucratif, où je pourrai offrir des traitements contre le cancer de la peau de manière équitable et accessible ». Cette affirmation souligne bien l’aspect trompeur de ces vidéos et confirme que le but de ce savon est de traiter le cancer de la peau existant, et non de prévenir de futurs cancers.

Heman Bekele souhaite changer la formulation de l’imiquimod sous forme de savon afin de traiter un sous-type de cancer de la peau: 

Dans la même interview précédemment citée, Bekele est questionné au sujet du contenu de son savon et explique « Le principal agent étant l’Imidazoquinoline […] J’ai vraiment réalisé que c’était une option viable pour des applications topiques, comme un savon. » L’imiquimod, molécule active de la famille des Imidazoquinoline se présentant sous forme de crème, est utilisée pour traiter des cas d’infections virales, d’acné, et a récemment commencé à faire parler d’elle dans le domaine de l’oncologie [1]. Son mécanisme d’action consiste à initier une réponse immunitaire à travers l’activation des cellules dendritiques. Ces cellules sont l’équivalent de soldats qui patrouillent dans l’organisme afin de détecter des intrus (i.e. bactéries, cellules tumorales) et d’alerter les cellules immunitaires cytotoxiques, capables de tuer, pour se débarrasser d’un potentiel agresseur.  

Pour mieux comprendre les enjeux de l’utilisation de cette molécule, il est important de noter que les cancers de la peau sont divisés en deux types, les carcinomes (90%) et les mélanomes (10%) qui sont les formes les plus agressives. Les mélanomes sont stratifiés en différents stades, traduisant la propagation des cellules tumorales au sein de la peau, des ganglions lymphatiques, et potentiellement des organes périphériques. Cette détermination du stade permet d’orienter les décisions thérapeutiques et s’étend du stade 0 à IV, associés à une gravité croissante. Le stade 0, ou mélanome in situ, correspond à une tumeur limitée à quelques cellules tumorales contenues dans l’épiderme, tandis que le stade IV indique que le cancer s’est étendu aux ganglions lymphatiques et à d’autres organes tels que les poumons et le foie (voir figure 1).

Figure 1 – Phases de transition d’un épiderme sain à un mélanome invasif. Source : My Pathology Report

Une revue scientifique ayant fait l’état de l’art sur l’utilisation de cette crème a passé en revue 87 études couvrant 1 803 lésions et indique que « L’efficacité de la crème locale d’imiquimod pour traiter le mélanome in situ (stado 0) […] a été démontrée, mais l’hétérogénéité des études incluses empêche de tirer une conclusion ferme »[1]. Cette étude rétrospective met en évidence la nécessité d’études plus rigoureuses pour confirmer son efficacité et définir ses modalités d’utilisation pour les mélanomes in situ.   

En d’autres termes, l’utilisation de la crème imiquimod existe déjà pour certains mélanomes in situ non opérables, bien que son efficacité reste à confirmer, et Bekele souhaite l’utiliser sous forme de savon. Il prévoit d’encapsuler l’imiquimod dans des nanoparticules lipidiques afin de maintenir son efficacité, qui pourrait être altérée par le savon lui-même. 

Les affirmations virales avancent que le savon est déjà conçu or les recherches viennent seulement de commencer : 

Il est expliqué dans une revue du Time que Heman Bekele n’a commencé à faire parler de son savon qu’à la suite de sa victoire au 3M Young Scientist Challenge en Octobre 2023, un concours visant à récompenser de jeunes scientifiques avec des idées innovantes. Ce n’est qu’à ce moment-là que Heman Bekele a été pris sous l’aile du Dr Vito Rebecca, chercheur à l’Université Johns Hopkins, USA, pour tenter de faire émerger son idée. À ce jour, comme cela est souligné par NPR et TIME magazine, cela fait seulement six mois qu’il a commencé à se former à la science expérimentale et à tester in silico, c’est-à-dire sur des modèles informatiques, des combinaisons de différents composants (non divulgués à ce jour). Nous sommes donc bien loin d’un premier test clinique sur l’homme et d’une potentielle commercialisation.

Aucune donnée tangible ne laisse penser que l’accès au savon ne coûtera que 50 centimes

Comme Heman l’a expliqué lors de son interview, son projet vise à rendre les thérapies anticancer plus accessibles, surtout aux États-Unis, où elles sont souvent très coûteuses. Même si son objectif est de simplement transformer l’imiquimod, une crème, en savon, cela implique des coûts associés importants tels que des études de formulation, de stabilité sans compter les études cliniques ainsi que la soumission aux instances réglementaires. Par conséquent, le manque d’information sur un potentiel plan de financement nous empêche de conclure sur le prix relayé dans les vidéos.   

CONCLUSION

En résumé, ces vidéos virales relaient des informations trompeuses sur la disponibilité et l’efficacité d’un savon prétendument capable de traiter le cancer de la peau. Comme nous venons de le voir, c’est une piste de recherche qui commence à être explorée mais qui pourrait ne voir le jour que dans des décennies.

Références:

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