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2024, l’année du dépassement du seuil de 1,5°C : attention à la couverture médiatique de ce franchissement ponctuel

Posté le : 10 Jan 2025

Le 10 janvier 2025, le service européen Copernicus dédié au changement climatique (C3S) annonce officiellement le dépassement du seuil de 1,5°C en 2024. C3S est une composante du programme spatial de l’Union européenne qui compile et réanalyse les mesures terrestres et spatiales de températures mondiales à l’aide de modèles numériques de pointe. En 2024, la température moyenne mondiale atteint 15,1°C, soit 1,6°C de plus qu’avant l’ère industrielle (1850-1900). C’est la première fois qu’une année calendaire dépasse 1,5°C de réchauffement, et l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis 1850 (voir figure 1).

Figure 1 – En 2024, la température moyenne mondiale s’élève à 1,6°C de plus qu’à la période 1850-1900. Depuis juillet 2023, la température moyenne mensuelle dépasse 1,5°C, sauf en juillet 2024). Chacune des dix dernières années a été l’une des dix années les plus chaudes jamais enregistrées. Source : C3S/ECMWF.

1,5°C est un chiffre important en science du climat. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), limiter le réchauffement climatique à 1,5°C permet d’éviter un grand nombre d’impacts du réchauffement climatique sur les systèmes naturels et humains[1]. Un réchauffement de 1,5 °C pourrait également déclencher plusieurs « points de bascule » climatiques, c’est-à-dire des seuils au-delà desquels les changements dans certaines parties du système terrestre s’auto-alimentent[2]. Parmi ces points de bascule, on trouve par exemple l’effondrement des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental et la disparition des récifs coralliens de basse latitude. En outre, l’Accord de Paris, juridiquement contraignant, charge l’ensemble des signataires (soit 193 pays et l’Union européenne) de limiter le réchauffement « bien en deçà de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » et de « poursuivre les efforts pour limiter l’augmentation de la température à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels » (voir les trajectoires d’émissions permettant d’atteindre cet objectif sur la figure 2). 

Franchir ce seuil pour la première fois est important et symbolique : pour les journalistes traitant de cette information, il est important d’éviter certains écueils. Par exemple, il est crucial de replacer cette information dans le contexte du changement climatique de long-terme, comme nous l’expliquons dans cet article. Se focaliser sur une seule année ne suffit pas pour renseigner sur l’évolution long-terme du climat.

Figure 2 – Graphique montrant les températures mensuelles observées (courbe grise), le réchauffement estimé dû à l’homme (orange) et les trajectoires potentielles idéales pour respecter la limite de 1,5°C en 2100 (gris, bleu et violet). La température est exprimée par rapport à 1850-1900. Source : Rapport spécial 1.5°C du GIEC[1].

Un vaste ensemble de données montre sans équivoque que le réchauffement climatique en cours est dû aux émissions de gaz à effet de serre par les activités humaines[1]. Laurence Rouil, la directrice du service de surveillance atmosphérique de Copernicus (CAMS), affirme dans un communiqué de presse :

En 2024, les gaz à effet de serre atmosphérique ont atteint les niveaux annuels les plus élevés jamais enregistrés. […] Nos données indiquent clairement que les émissions mondiales de gaz à effet de serre augmentent régulièrement et qu’elles restent la principale cause du changement climatique.

Mais attention à ne pas tirer de conclusion trompeuse : « Une seule année au-dessus de 1,5 °C ne signifie pas que le monde a dépassé ce niveau de réchauffement », déclarait déjà Zeke Hausfather, climatologue à Berkeley Earth, dans un post sur X en 2023. La limite fixée par l’Accord de Paris se réfère à des anomalies de température moyennées sur au moins 20 ans. Le climat est en effet mesuré sur des décennies, plutôt que sur des années[4]. C’est principalement ce qui différencie la météo et le climat, comme Science Feedback l’expliquait déjà dans un récent article.

La température moyenne globale peut en effet varier d’une année à l’autre en raison des oscillations inhérentes au système climatique. Cette variabilité s’explique par des processus naturels, comme par exemple El Niño : ils peuvent augmenter (ou diminuer) la température globale de la planète pendant plusieurs années, indépendamment des rejets de gaz à effet de serre dûs aux activités humaines.  L’Organisation météorologique mondiale (OMM) note d’ailleurs que les récents records de température s’expliquent en majeure partie par le réchauffement climatique à long terme, et également un épisode El Niño (d’origine naturelle)[3]. Si les activités humaines sont la cause principale du réchauffement enregistré en 2024, l’oscillation El Niño est un facteur naturel additionnel (de plus faible influence). D’après le service C3S, l’épisode El Niño – provoquant un réchauffement – a atteint son maximum en décembre 2023 et a continué à influencer les températures globales durant la première moitié de 2024.

Que sont les phénomènes El Niño/La Niña, et pourquoi sont-ils importants ?

Le système climatique est affecté par différents cycles naturels, influençant la température globale, la circulation océanique et les processus atmosphériques, communément appelés modes de variabilité climatique interne[5]. L’oscillation australe El Niño (ENSO), due à un changement dans la circulation de l’océan Pacifique et à une réorganisation des échanges de chaleur entre les eaux de surface et les eaux profondes, est peut-être l’exemple le plus célèbre de variabilité climatique interne.

L’ENSO se compose de deux phases : El Niño et La Niña. La phase El Niño se caractérise par un réchauffement important des eaux de surface dans l’est de l’océan Pacifique à cause du piégeage d’eaux relativement chaudes en provenance d’Amérique du Sud. En raison de la très grande taille de l’océan Pacifique, ce réchauffement augmente temporairement la température de surface de la planète (voir figure 3). En revanche, la phase La Niña se caractérise par une augmentation du transfert de chaleur vers les eaux plus profondes, et donc par un refroidissement relatif des eaux de surface. Un refroidissement relatif temporaire de la planète en résulte (figure 3).

Figure 3 – Variations historiques de la température à la surface du globe, influencée par la présence d’une phase El Niño (rouge), La Niña (bleu) ou neutre (blanc). Notez que les épisodes El Niño forts contribuent à l’augmentation des températures moyennes, tandis que les épisodes La Niña forts contribuent au refroidissement. Ces fluctuations à court terme ajoutent du « bruit » à la tendance au réchauffement climatique. Source : HadCRUT5.

Ces phénomènes – comme d’autres – peuvent modifier temporairement la température à la surface du globe d’environ + ou – 0,2°C, ce qui complique la possibilité de déterminer si un seuil climatique est effectivement dépassé[6]. « En raison de la variabilité annuelle due aux phénomènes El Niño et La Niña, on peut s’attendre à ce que certaines années dépassent 1,5°C, jusqu’à une décennie plus tôt que le réchauffement à long terme dû aux activités humaines lui-même », a poursuivi M. Hausfather.

La meilleure estimation disponible du dépassement du seuil de 1,5°C, et ce que cela signifie

L’ampleur du réchauffement climatique futur sera déterminée par les décisions actuelles et futures de l’humanité en matière d’émissions de gaz à effet de serre. En revanche, même dans le cas d’un scénario de réduction drastique des émissions, le GIEC prévoit que le seuil de 1,5 °C sera déjà franchi au milieu du siècle. Avec ce scénario optimiste, appelé Shared Socioeconomic Pathway (SSP) 1-1.9 dans le jargon du GIEC, le déploiement à grande échelle de technologies à émissions négatives (comme celles de capture et stockage du CO2), sera nécessaire pour contenir le réchauffement mondial sous 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici à 2100. Étant donné que l’Accord de Paris encourage les  pays à limiter le réchauffement à la fin du siècle à 1,5°C, le SSP 1-1.9 permettrait d’atteindre cet objectif international[2].

Le scénario SSP 1-1.9 exige que les émissions mondiales atteignent la neutralité (c’est-à-dire que les émissions résiduelles sont compensées par les puits de carbone) au milieu du siècle. Les scénarios climatiques moins ambitieux (SSP 1-2.6, 2-4.5, 3-7.0, et 5-8.5) entraînent à la fois un rythme de réchauffement plus rapide et plus important à la fin du siècle (voir figure 4). Dans tous les scénarios, la meilleure estimation de la date à laquelle les températures moyennes globales franchiront le seuil de 1,5°C se situe entre 2027 et 2035, selon les analyses du GIEC[1,8] et de Carbon Brief. Ces résultats sont cohérents avec des travaux plus récents qui ont estimé que ce seuil serait franchi entre 2033 et 2035[7].

Figure 4 – Estimations des périodes prévues de franchissement du seuil de 1,5°C selon les analyses du GIEC[1,8] et de Carbon Brief(fourchette de 5 à 95 %). Les estimations centrales sont indiquées par les points noirs. Notez que les estimations pour tous les scénarios d’émissions se situent entre 2027 (émissions très élevées) et 2035 (réduction drastique des émissions). Source : Carbon Brief

Alors que nous n’avons pas encore atteint un réchauffement de 1,5°C, le GIEC note que les niveaux actuels de changement climatique ont déjà des conséquences négatives globales sur les systèmes humains et naturels[6]. « Le changement climatique affecte déjà toutes les régions de la Terre, de multiples façons. Les changements que nous connaissons s’accentueront avec un réchauffement supplémentaire », a déclaré Panmao Zhai, coprésident du groupe de travail 1 pour le sixième rapport d’évaluation du GIEC, en 2021. En fait, l’étude de 2022 sur les points de bascule climatique[2] a révélé que certains d’entre eux pouvaient être déclenchés par un réchauffement de seulement 1°C, un seuil que nous avons déjà franchi[7]. Cela nous incite à ne pas prendre le système climatique pour un système binaire. Les effets du changement climatique n’apparaissent pas soudainement après un réchauffement de 1,5°C, mais s’aggravent progressivement à chaque augmentation du réchauffement au-delà des niveaux préindustriels[6].

RÉFÉRENCES

1– GIEC (2018) Rapport spécial pour un réchauffement global de 1,5°C
2– Armstrong McKay et al. (2022) Exceeding 1.5°C global warming could trigger multiple climate tipping points. Science
3– OMM (2024) State of the Global Climate 2023
4– Rogelj (2017) Getting it right matters: Temperature goal interpretations in geoscience research. Geophysical Research Letters
5– NAS (2016) Modes and Mechanisms of Internal Variability. Frontiers in Decadal Climate Variability: Proceedings of a Workshop
6– GIEC (2021) 6ème rapport d’évaluation
7– Diffenbaugh and Barnes (2023) Data-driven predictions of the time remaining until critical global warming thresholds are reached. Proceedings of the National Academy of Sciences

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