Des comptes Russes et Biélorusses interdits mais prospères : comment les plateformes en ligne ne parviennent pas à traiter le problème des nombreuses entités sanctionnées par l’UE
Ce rapport a été élaboré à partir de cas fournis par Alliance4Europe, Science Feedback, Logically Facts, Alliance for Securing Democracy – German Marshall Fund, Prose Intelligence, Democracy Reporting International, l’Université de Södertörn et la Fédération italienne des droits humains (FIDU).
Cette collaboration a été rendue possible grâce au Counter Disinformation Network (CDN), une plateforme collaborative de près de 150 spécialistes issus de plus de 30 organisations, fédérés par Alliance4Europe dans le but de protéger la démocratie européenne et coordonner les efforts de lutte contre la manipulation de l’information.
Résumé
Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Union européenne (UE) a adopté des sanctions à l’encontre des acteurs russes et biélorusses soutenant la guerre. La liste des acteurs sanctionnés comprend un certain nombre de médias contrôlés par l’État ainsi que des individus que la Commission européenne a décrits comme “des propagandistes pro-Kremlin et anti-Ukraine”. Ces sanctions rendent illégal l’hébergement ou la diffusion de leur contenu auprès des publics de l’UE, y compris sur les plateformes de médias sociaux.
Au cours de l’été 2024, une série de cinq rapports a montré comment, malgré cette interdiction de l’UE, de nombreux médias et individus sanctionnés très en vue ont maintenu une présence accessible à l’UE sur les plateformes Meta et Google, X/Twitter, TikTok et Telegram. Les contenus illégaux de ces entités sanctionnées ont été amplifiés par des comptes non affiliés qui les ont partagés pour des raisons idéologiques ou économiques. Les comptes répertoriés ont une influence significative, totalisant plus de 20 millions d’abonnés dont un grand nombre au sein de l’UE.
Les plateformes ont été informées à la fois de la nature systématique de ce phénomène et de certaines violations présumées de la législation européenne. Le présent rapport, fruit d’une collaboration entre Alliance4Europe, Science Feedback, Logically Facts, Alliance for Securing Democracy – German Marshall Fund, Prose Intelligence, Democracy Reporting International, l’Université de Södertörn et la Fédération italienne des droits humains (FIDU) vise à déterminer dans quelle mesure les plateformes se sont attaquées au problème, conformément à la loi sur les services numériques (LSN) et à la législation de l’UE et des États membres en matière de sanctions.
Nous constatons que :
- Sur les plateformes autres que TikTok (qui a donné suite à tous les signalements), 83% des comptes d’entités ou d’individus sanctionnés signalés restent accessibles dans l’UE, ce qui semble en contradiction avec le régime de sanctions.
- En outre, 48% des amplificateurs non-officiels de contenus sanctionnés sont restés accessibles dans l’UE et ont continué à publier ces contenus (24% de comptes supplémentaires ayant des contenus sanctionnés dans leur historique mais n’en publiant pas de nouveaux restent aussi accessibles). Tous ces comptes attirent au total environ 13,5 millions d’abonnés.
- Des recherches plus approfondies ont permis de détecter 370 nouveaux cas non signalés jusqu’à présent de comptes officiels d’entités sanctionnées ou d’amplificateurs de contenus créés par des entités sanctionnées qui sont accessibles dans l’UE. Elles ont également permis de découvrir de nouveaux comportements et types d’acteurs qui échappent aux sanctions, ce qui suggère que le problème est omniprésent et que les efforts potentiels des plateformes pour le combattre ne sont pas suffisants. Le succès de ces plateformes dans la lutte contre la violation des droits d’auteur, un autre type de contenu illégal, suggère qu’il existe des solutions techniques pour assurer le respect des règles à grande échelle. Ces pages nouvellement identifiées comptent plus de 23 millions d’abonnés.
- En ce qui concerne les entités et les comptes individuels biélorusses sanctionnés par l’UE, nous constatons que les principales chaînes de médias d’État sanctionnées ont conservé une présence officielle et sans entrave de l’UE sur les plateformes. 90 violations probables ont été constatées sur ces plateformes. Ces pages ont plus de 3,8 millions d’abonnés au total.
- De nombreux comptes d’amplificateurs, ainsi qu’un certain nombre de comptes officiellement sanctionnés, semblent bénéficier des programmes de monétisation de certaines plateformes, notamment le partage de revenus publicitaires (Telegram, YouTube) ou l’abonnement (Facebook). Cette monétisation pourrait permettre à ces groupes illicites de trouver des sources de financement.
Ces conclusions et ces chiffres sont des estimations prudentes, car ils ne reposent que sur les comptes et les comportements que nous avons pu observer avec des moyens limités et ne couvrent pas de manière exhaustive tous les cas de violation des sanctions de l’UE, ni l’ensemble des différents services offerts par ces sociétés (courrier électronique, hébergement dans le cloud, messagerie privée…).
Dans l’ensemble, étant donné la facilité avec laquelle ces contenus illégaux ont été découverts, les équipes de conformité de Meta, Google, X/Twitter, TikTok et Telegram devraient veiller à examiner les raisons pour lesquelles les mesures qu’elles ont prises n’ont pas suffi à en limiter l’accès.
Ces conclusions soulèvent trois questions dans le contexte réglementaire de l’UE :
- La mesure dans laquelle ces équipes de conformité des plateformes ont réagi aux notifications de contenu illégal dans l’UE répond-elle aux normes établies dans le DSA (Digital Services Act, le règlement européen des services numériques);
- La mesure dans laquelle ces équipes empêchent la diffusion de contenus illicites répond-elle aux obligations d’atténuation des risques énoncées dans le DSA (articles 34 et 35);
- Si ces services fournissent des ressources économiques aux entités sanctionnées, en contradiction éventuelle avec les règlements de l’UE en matière de sanctions (article 2 des règlements du Conseil n° 269/2014 et n° 765/2006) et leur transposition au niveau de l’État membre.