- Énergie
Les impacts environnementaux des combustibles fossiles surpassent ceux liés à l’extraction des métaux nécessaires aux véhicules électriques
En 2023, près d’un véhicule neuf sur cinq vendu dans le monde était un véhicule électrique (VE), contre environ un sur sept en 2022[1]. L’abandon des véhicules thermiques à essence ou diesel au profit des VE est sans équivoque un bon moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre dues au transport – comme l’a déjà expliqué Science Feedback, les VE émettent moins de CO2 au cours de leur vie, sauf dans les pays où le réseau électrique est fortement dépendant des combustibles fossiles.
Au lieu d’utiliser de l’essence ou du diesel, les VE fonctionnent avec une batterie lithium-ion, qui contient du lithium ainsi que d’autres métaux tels que le cobalt et le nickel. L’extraction de ces métaux n’est pas sans conséquences. Wojciech Mrozik, directeur de recherche à l’université de Newcastle, résume auprès de Science Feedback :
Plusieurs problèmes critiques se posent tout au long du cycle de vie des batteries, particulièrement lors de l’extraction de matériaux essentiels comme le cobalt, le nickel et le lithium. Le cobalt est principalement un sous-produit de l’extraction du cuivre et est associé au travail des enfants ; l’extraction du nickel entraîne une importante pollution de l’eau (évidente sur les images satellites des mines de Norilsk, en Russie) ; et l’extraction du lithium à partir de saumures diminue et contamine les réserves en eau dans des régions déjà confrontées à la pénurie, comme les déserts d’Amérique du Sud.
Comme la plupart des véhicules à combustion ne sont pas équipés de batteries au lithium-ion, il est souvent avancé que les besoins en métal des VE les rendent moins respectueux de l’environnement que les véhicules à combustion (comme par exemple avec cette image que Science Feedback a précédemment analysée). Comme nous le montrons dans cet article, ces affirmations sont trompeuses. Nous ne pouvons pas comparer directement l’impact environnemental global de l’essence et du diesel à celui des métaux des batteries – ils sont différents. Mais nous pouvons affirmer que le pétrole n’est pas une source d’énergie propre : son extraction, son raffinage et sa combustion produisent des polluants, en plus des gaz à effet de serre rejetés.
Nous pouvons également souligner que les experts estiment que la fabrication de batteries est nécessaire pour réduire les conséquences encore plus désastreuses du changement climatique, causé en grande partie par ces mêmes gaz à effet de serre. L’extraction des métaux a des impacts néfastes regrettables, mais les chercheurs ne pensent pas qu’ils l’emportent sur la nécessité de décarboner nos activités. Il est prouvé qu’une transition vers les énergies décarbonées réduira la quantité totale d’extraction minière dédiée à l’énergie en réduisant la dépendance mondiale au charbon.
À RETENIR :
- L’extraction du pétrole pour les véhicules thermiques et des métaux pour les batteries des véhicules électriques polluent l’environnement. La nature de la pollution est différente entre les deux sources, elles ne peuvent donc pas être facilement comparées l’une à l’autre.
- Cependant, nous pouvons affirmer que l’extraction du pétrole n’est en aucun cas une source d’énergie propre. Chaque étape de la chaîne d’approvisionnement permettant d’acheminer le carburant à un véhicule génère des polluants et cause des dommages documentés à l’environnement et à la santé humaine.
- L’électrification des véhicules réduit les émissions de gaz à effet de serre et les effets encore plus destructeurs du changement climatique induit par les gaz à effet de serre. Dans ce contexte, les scientifiques ne pensent pas que la pollution due à l’extraction des métaux pour les batteries des véhicules électriques soit une raison suffisante pour éviter la transition vers les véhicules électriques. En fait, une transition vers des énergies décarbonées pourrait réduire les volumes d’extraction minière dédiée à l’énergie en diminuant la dépendance mondiale au charbon.
- Les scientifiques sont bien conscients de l’impact de l’extraction des métaux des batteries. De nombreux travaux s’intéressent aux moyens de réduire ces impacts, comme le recyclage des batteries ou de nouvelles compositions chimiques.
LE PÉTROLE N’EST PAS UNE SOURCE D’ÉNERGIE PROPRE
Tout d’abord, l’essence et le diesel ne sont pas « propres » ou « verts ». En tant que carburant, leur combustion produit du CO2 et d’autres gaz à effet de serre. Comme Science Feedback l’a déjà montré, il existe un très large consensus parmi les scientifiques du climat montrant que les gaz à effet de serre sont la cause principale du changement climatique actuellement observé.
Au-delà des émissions de gaz à effet de serre, l’extraction des combustibles fossiles et leur combustion pour produire de l’énergie (que ce soit pour générer de l’électricité, fournir de la chaleur ou alimenter des véhicules) s’accompagnent de coûts environnementaux significatifs. Il est facile de le passer sous silence ou de le considérer comme acquis. Mais chaque étape de l’acheminement des combustibles fossiles jusqu’à la voiture – y compris l’extraction du pétrole brut, son raffinage en carburant, sa combustion dans le moteur et le transport d’un endroit à l’autre – cause des dommages bien documentés à la fois à la santé humaine et à l’environnement. Science Feedback a déjà consacré un article aux effets de la pollution sur la santé humaine et la biodiversité.
La plupart du pétrole brut est extrait en forant un puits dans le sol ou dans le plancher océanique pour y pomper le pétrole brut. Il est bien connu que les sites de forage génèrent des polluants tels que le dioxyde de soufre et le sulfure d’hydrogène, ainsi que des substances cancérigènes telles que les composés BTEX : benzène, toluène, éthylbenzène et xylène[2]. Même après sa fermeture, un puits de pétrole peut laisser échapper du sulfure d’hydrogène, du benzène, de l’arsenic et du méthane. Ces polluants pénètrent dans l’air, le sol et les eaux souterraines, y compris dans l’eau potable.
Les puits de pétrole produisent également des déchets – un mélange de roches broyées provenant du forage et de fluides industriels déversés dans le puits pour stimuler la production. Ces fluides sont riches en métaux lourds toxiques et en hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des polluants qui peuvent provoquer des cancers et des dommages génétiques chez l’Homme[3]. Différentes études menées à travers de multiples continents ont établi un lien entre ces polluants et l’augmentation des risques de cancer, de maladies respiratoires et de maladies de la peau chez les travailleurs et les non-travailleurs du secteur. Il est également prouvé que les déchets de forage dégradent la qualité de l’eau en augmentant sa salinité et sa teneur en chlorure[2].
Le pétrole brut arrive ensuite à la raffinerie. Le pétrole brut est un mélange de différentes molécules d’hydrocarbures, et une raffinerie utilise un ensemble de procédés chimiques pour trier et casser les molécules d’hydrocarbures. Ces procédés permettent de séparer le pétrole brut en substances telles que l’asphalte, l’huile de moteur, le kérosène, le gaz de pétrole liquéfié et, bien sûr, l’essence et le diesel. L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) considère les raffineries comme des sources majeures d’innombrables polluants atmosphériques : composés BTEX en suspension dans l’air, sulfure d’hydrogène, dioxyde de soufre, monoxyde de carbone, oxydes d’azote et particules en suspension, pour n’en citer que quelques-uns. De nombreuses études ont montré que les résidents vivant à proximité des raffineries souffrent d’une incidence accrue de cancer (en particulier le cancer du sang) et de maladies respiratoires[4,5].
Non seulement la production d’essence et de diesel pollue l’air, mais sa combustion aussi. En plus des gaz à effet de serre, les pots d’échappement des véhicules thermiques rejettent des particules fines et de l’ozone. Ces polluants se répandent dans le monde entier et aggravent les maladies respiratoires. Une étude a estimé que les particules et l’ozone émis par les véhicules à essence ont causé entre 139 700 et 170 700 décès prématurés dans le monde chaque année entre 2000 et 2015 ; pour les véhicules diesel, l’étude estime ce chiffre entre 205 000 et 309 300[6] (ces estimations peuvent être des sous estimations du nombre total de décès attribués à l’ensemble de la combustion des combustibles fossiles, estimés à environ 5 millions chaque année).
Des fuites de pétrole brut peuvent survenir à chaque étape. Elles peuvent avoir lieu dans les sites de forage, contaminant ainsi le sol et l’eau[2]. Des déversements peuvent se produire lors du transport du pétrole brut du site de forage jusqu’à la raffinerie, lors du transport du carburant depuis la raffinerie jusqu’au véhicule, ou même depuis le réservoir de carburant pendant le stockage. Le pétrole peut ruisseler dans l’environnement lorsque des véhicules laissent échapper du carburant ou de l’huile moteur sur la chaussée et que la pluie l’emporte – ce type de ruissellement est la source principale de pollution par le pétrole dans les océans d’Amérique du Nord.
Lorsque vous imaginez un déversement de pétrole, vous pensez peut-être à des événements qui font la une des journaux comme la défaillance de la plateforme offshore DeepWater Horizon, ou encore les accidents de pétroliers comme l’Amoco Cadiz en 1978 ou la catastrophe de l’Erika. En décembre 1999, ce pétrolier se casse en deux dans les eaux internationales au large du Finistère, déversant environ 20 000 tonnes de fioul lourd à l’origine d’une marée noire. Les grandes marées noires de ce type sont devenues moins fréquentes depuis les années 1970 grâce à l’amélioration des infrastructures, mais elles ne représentent qu’une petite part des centaines de millions de litres de pétrole déversés chaque année. 80 % des déversements de produits pétroliers sont inférieurs à 7 tonnes (environ 8000 litres)[7]. Selon une estimation de l’EPA au milieu des années 2000, 9,5 milliards de litres de pétrole ont été déversés aux États-Unis chaque année[8]. En 2023 à travers le monde, environ 2000 tonnes de pétrole ont été déversés dans l’environnement lors de fuites accidentelles de pétroliers.
Le pétrole se forme naturellement, principalement lorsque des restes biologiques – d’où le nom de « combustible fossile » – sont ensevelis dans de l’eau stagnante, de la boue ou des roches. Si les bonnes conditions sont réunies, au lieu de se décomposer comme ils le feraient à la surface, ces restes subissent des transformations pendant des millions d’années jusqu’à devenir des gisements d’hydrocarbures : du pétrole brut ou du gaz naturel. Mais une substance naturelle n’est pas nécessairement une substance non toxique, et l’origine naturelle du pétrole n’empêche certainement pas ses effets négatifs. Le pétrole brut, épais et visqueux, peut littéralement étouffer la faune et la flore (voir figure 1). Si le pétrole ou ses dérivés pénètrent dans le sol et l’eau, même en petites quantités, ils peuvent laisser des métaux lourds (dont l’arsenic), des HAP et des composés BTEX qui, comme nous l’avons mentionné, sont toxiques à la fois pour les humains et pour la faune qui vit sur le sol ou boit l’eau[2].
CERTAINS MÉTAUX UTILISÉS DANS LES BATTERIES ONT DES CONSÉQUENCES SUR L’ENVIRONNEMENT
Nous avons établi que les VE utilisant des batteries sont bons pour décarboner les activités humaines, mais nous avons également établi que les batteries contiennent des métaux dont l’extraction n’est pas sans conséquence. Les détracteurs des VE présentent souvent ces conséquences comme des « coûts cachés », mais la communauté scientifique est bien consciente que les métaux des batteries ont un impact sur l’environnement, comme le montrent les travaux de recherche cités ci-dessous. Quels sont ces impacts ?
Les batteries lithium-ion se présentent sous toutes sortes de forme et de taille, mais elles partagent toutes la même conception de base : une anode chargée négativement à une extrémité (généralement en graphite) et une cathode chargée positivement à l’autre (généralement fabriquée à partir d’un mélange de lithium et d’autres métaux), entourées d’un solvant rempli d’ions lithium (donnant son nom à la batterie). Lorsqu’un VE roule, sa batterie se décharge et les ions circulent dans le solvant jusqu’à la cathode. Lorsqu’un VE est branché pour se recharger, les ions repartent vers l’anode.
Aujourd’hui, la plupart du lithium provient de deux sources : les minerais (dans les roches) et les saumures continentales. L’extraction des minerais de lithium s’apparente à l’exploitation minière traditionnelle : les roches sont creusées pour trouver des minéraux riches en lithium, tels que le spodumène, qui sont ensuite traités pour en extraire le lithium. Les saumures continentales sont des réservoirs souterrains d’eau salée riche en lithium dissous ; l’eau est pompée jusqu’à de grands bassins à la surface et on la laisse s’évaporer lentement pendant des mois pour récupérer du sel de lithium (voir la figure 2). En 2018, les saumures fournissaient environ deux tiers du lithium mondial[9].
Le lithium issus des roches a une empreinte CO2 plus importante que le lithium provenant des saumures, et le tri du lithium à partir du minerai se fait généralement à l’aide d’acide, un processus chimique connu pour générer des polluants soufrés[11]. Mais d’un autre côté, si le lithium de saumures – plus largement utilisé – est moins polluant, il n’est pas exempt de déchets ou de conséquences. Le lithium de saumure a notamment été critiqué pour sa consommation d’eau. Jusqu’à 90 % de l’eau de la saumure s’évapore dans l’atmosphère[10]. La saumure qui s’évapore peut être de l’eau salée, mais de l’eau douce est souvent utilisée pour extraire le carbonate de lithium de la saumure. Cette consommation d’eau peut appauvrir la ressource en eau l’eau et désertifier les environs d’une mine de lithium ; il est prouvé que les populations de flamants roses dans le nord du Chili – l’une des plus importantes régions d’extraction de lithium de saumure dans le monde – ont chuté à la suite d’une diminution des niveaux d’eau, en particulier en hiver[10].
La cathode d’une batterie lithium-ion contient la majeure partie du lithium, mais comme nous l’avons mentionné, le lithium n’est pas le seul matériau présent dans une cathode. Il existe plusieurs types de cathodes, qui se distinguent par l’ajout de différents métaux. La plupart des VE utilisent des cathodes en oxyde de nickel, de manganèse, de cobalt et de lithium (appelées cathodes NMC). Outre le lithium, plusieurs scientifiques ont souligné à Science Feedback (voir ci-dessous) que les cathodes NMC contiennent deux métaux problématiques : le nickel et le cobalt.
Le nickel se présente sous la forme de deux types de minerais : les latérites (que l’on trouve généralement sous les tropiques) et les sulfures (que l’on trouve généralement ailleurs dans le monde). Dans les deux cas, le nickel doit être minutieusement séparé du minerai, souvent en le traitant à l’acide. Le processus de séparation génère des déchets contenant des métaux lourds, qui se retrouvent dans les eaux avoisinantes et entraînent la mort de la biodiversité aquatique. Le traitement des minerais soufrés en particulier tend à polluer l’air avec du dioxyde de soufre. La ville de Norilsk, dans l’Arctique russe, constitue un microcosme de ces effets (voir figure 3).
Déterminer l’impact environnemental du cobalt est plus complexe, car le cobalt est rarement extrait seul. La plupart du temps, le cobalt est un sous-produit de l’extraction du cuivre (ou plus rarement du nickel). Mais la séparation du cobalt du minerai produit également des déchets toxiques, qui ont tendance à pénétrer dans l’eau et à tuer la vie marine. Le problème des déchets est aggravé par le fait qu’environ trois quarts du cobalt mondial provient de la République Démocratique du Congo, où de nombreux travailleurs – souvent des enfants ou des travailleurs forcés – extraient le minerai à l’aide d’équipements improvisés et de mesures de sécurité laxistes en raison d’une réglementation insuffisante. Ces travailleurs peuvent respirer des poussières toxiques de cobalt, ce qui aggrave les problèmes respiratoires et les affections cutanées. Les habitants vivant à proximité des mines de cobalt congolaises ont largement fait état d’une diminution du rendement des cultures, de problèmes de peau et d’une augmentation des problèmes de fécondité. Une étude menée dans la ville de Lubumbashi, dans le sud du Congo, a établi un lien entre l’exposition aux sous-produits de l’exploitation minière du cuivre et du cobalt et les malformations congénitales[11].
UNE TRANSITION VERS LA NEUTRALITÉ CARBONE PEUT RÉDUIRE LE VOLUME D’EXPLOITATION MINIÈRE LIÉE À L’ÉNERGIE
Nous avons souligné que certains métaux utilisés dans les batteries des véhicules électriques (VE) ont un impact négatif sur l’environnement. Nous avons également montré que, même en ignorant les émissions de CO2 des pots d’échappement des véhicules, le pétrole est une source d’énergie polluante. Il n’est pas possible de comparer directement les deux : les impacts environnementaux de l’extraction des métaux des batteries sont très différents de ceux de l’extraction du pétrole, à la fois en termes de portée et de type d’impacts observés.
Mais les scientifiques estiment que les conséquences de la production de batteries ne dépassent pas celles plus désastreuses du changement climatique induit par les combustibles fossiles. Les effets constatés du changement climatique sont très étendus, allant de la perturbation des écosystèmes à l’aggravation des pénuries d’eau en passant par l’augmentation des risques de catastrophes naturelles, et ils touchent toutes les régions du globe.
Tim Werner, professeur en transition énergétique à l’université de Melbourne, commente auprès de Science Feedback :
Nous devons nous attaquer d’urgence au changement climatique, et la transition énergétique en est la clé. Nous n’avons pas d’autre alternative viable. Une transition énergétique exige d’extraire des minéraux. Le principal défi qui nous attend n’est donc pas de décider si nous devons ou non les extraire, mais plutôt de savoir où et comment nous pouvons les extraire avec le moins d’impact possible.
Si nous continuons à fabriquer des VE avec les technologies actuelles, nous aurons besoin de plus grandes quantités de lithium, nickel et cobalt. Ces métaux sont également utilisés pour d’autres énergies propres : le lithium, par exemple, sera nécessaire si le monde veut connecter les batteries au réseau électrique à grande échelle ; les éoliennes utilisent souvent du nickel. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’un scénario de neutralité carbone nécessite six fois plus d’extraction de métaux en 2040 qu’en 2021[12].
Mais ces affirmations doivent être placées dans leur contexte. Les combustibles fossiles ne se limitent pas non plus aux véhicules, et le système énergétique mondial dépend déjà de l’exploitation minière. Le pétrole n’est peut-être pas extrait au sens traditionnel du terme, mais le charbon, autre combustible fossile, l’est. En fait, la masse totale des métaux des batteries extraits en 2021 représentait moins d’un dixième de la masse de charbon extraite en 2021[13].
Étant donné que la transition vers un système énergétique neutre en carbone réduira la dépendance mondiale à l’égard du charbon, certains scientifiques pensent que l’électrification massive du parc automobile réduira en fait l’extraction minière liée à l’énergie à l’échelle mondiale (figure 4). Une étude a suggéré qu’en réduisant radicalement l’extraction du charbon, l’objectif de neutralité carbone pourrait réduire la masse totale des matériaux extraits pour l’énergie d’environ 45 % par rapport aux niveaux actuels[13]. De plus, une autre étude suggère que, sur une période de deux décennies, pour une même quantité de matériaux extraits, les éoliennes produisent 5 fois plus d’énergie que le charbon[14].
Werner, coauteur de l’une des études mentionnées, commente auprès Science Feedback :
Cela ne signifie pas que nous devrions approuver tous les projets concernant les métaux. Cependant, nous avons la possibilité de choisir intelligemment les projets que nous approuvons, afin que la transition énergétique se fasse à moindre coût pour les personnes et l’environnement. C’est pourquoi les impacts des projets de batteries font l’objet d’un examen minutieux, à juste titre. Pour résumer, les coûts [environnementaux] de l’extraction des minéraux des batteries ne surpassent pas les avantages, et ils peuvent même contribuer à accélérer la fermeture et la réhabilitation des sites miniers de combustibles fossiles dans le monde entier.
Certains prétendent que l’électrification des véhicules routiers ne fera que déplacer les émissions de CO2 du pot d’échappement vers la centrale électrique, mais les faits montrent que ce n’est pas le cas. Selon les données recueillies par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), en considérant les émissions de CO2 sur l’ensemble du cycle de vie d’un véhicule, un VE émet moins de gaz à effet de serre par passager et par kilomètre qu’un véhicule thermique comparable, tant que le VE est alimenté par n’importe quel type d’électricité à l’exception du charbon[15]. Le rapport du GIEC a présenté un ensemble de scénarios hypothétiques, mais comme nous le montrons dans notre article précédent, les études comparant les VE et leurs équivalents à moteur thermique dans le monde ont révélé que leurs émissions totales ne sont comparables que dans les pays où les réseaux électriques sont les plus dépendants du charbon.
NOUS POUVONS RÉDUIRE LA CONSOMMATION DE LITHIUM, COBALT ET NICKEL DANS LES VÉHICULES ÉLECTRIQUES
Il est important de souligner qu’une partie de la recherche est consacrée à la réduction des besoins en lithium, nickel et cobalt des VE (et plus largement du système énergétique).
L’une des possibilités est de réduire notre consommation en recyclant ces métaux, par exemple à partir de batteries usagées. Aujourd’hui, nous ne pouvons recycler qu’une petite partie des batteries des véhicules électriques, mais la capacité mondiale de recyclage du lithium-ion devrait être multipliée au moins par quatre d’ici 2030 (voir figure 5)[1], et cela en partie grâce aux incitations des autorités. En 2023, l’Union européenne a adopté une loi stipulant que, d’ici à 2031, 6 % du lithium, 6 % du nickel et 16 % du cobalt des batteries lithium-ion neuves devront provenir de sources recyclées, ces objectifs étant portés à 12 %, 15 % et 26 %, respectivement, d’ici à 2036. On estime que, dans un scénario de neutralité carbone, le recyclage avancé pourrait réduire la masse totale de matériaux extraits pour la production d’énergie d’environ un tiers supplémentaire d’ici 2050[12].
Les constructeurs de VE peuvent également réduire la quantité de nickel et de cobalt nécessaire dans les batteries lithium-ion en choisissant des cathodes alternatives qui ne contiennent aucun de ces métaux. La cathode en lithium-fer-phosphate-fer (LFP) est l’alternative la plus populaire. Les cathodes LFP sont déjà courantes en Chine, où elles équipent 70 % des nouveaux véhicules électriques mis en circulation en 2023[1]. Le reste du monde a été beaucoup plus lent à adopter les cathodes LFP, mais certains fabricants de VE l’ont fait : Tesla est passé aux batteries LFP en 2021.
Encore plus ambitieux, certains scientifiques tentent de fabriquer des batteries rechargeables qui ne dépendent pas du tout du lithium. L’une des idées les plus répandues consiste à remplacer le lithium par du sodium, un élément 1 000 fois plus abondant que le lithium dans la croûte terrestre, ce qui le rend moins difficile à atteindre et moins dommageable pour l’environnement. Les batteries sodium-ion ne pourrait être utilisés dans les véhicules que d’ici des années voire des décennies, mais une étude préliminaire en 2021 indique que les performances environnementales de certaines batteries sodium-ion « se rapprochent de celles de leurs homologues [batteries lithium-ion], voire les dépassent, et que les progrès restant à accomplir pour atteindre des valeurs similaires peuvent être considérés comme réalisables, tout en considérant que leur maturité technologique est encore beaucoup plus faible. »[16]
CONCLUSION
En résumé, les scientifiques n’estiment pas que les impacts de l’extraction des métaux pour les batteries soient une raison de retarder la transition des véhicules thermiques vers les véhicules électriques. Au contraire, les experts affirment que les batteries sont nécessaires pour lutter contre le changement climatique. En même temps, de nombreux chercheurs sont bien conscients des conséquences de l’extraction des métaux des batteries et travaillent activement à la réduction des impacts négatifs de l’électrification des véhicules.
De plus, il est inexact de prétendre que le pétrole est une source d’énergie propre. Même si l’on fait abstraction des émissions de gaz à effet de serre des moteurs à essence et diesel, qui sont en partie responsables du changement climatique récent, chaque étape de l’extraction et l’acheminement du pétrole depuis un site de forage jusqu’à un véhicule nuit à la fois à la santé humaine et à l’environnement.
Feedback Des Scientifiques
Tim T. Werner
Professeur en transition énergétique, Université de Melbourne
SF : Quels impacts sociaux ou environnementaux particuliers liés à certains matériaux de batteries souhaitez-vous mettre en évidence ?
TW : Les impacts de la production de matériaux pour les batteries sont divers et dépendent fortement des minéraux, de l’endroit où ils sont produits et des circonstances de leur production. Chaque mine et chaque chaîne d’approvisionnement présentent un ensemble unique de défis qui doivent être étudiés et gérés. En tant que tel, il n’y a pas de problématique particulière qui mérite d’être soulignée plus qu’une autre, car toutes sont importantes.
Je conseille généralement de ne pas accorder trop d’importance aux impacts de la production de matériaux pour batteries par rapport aux alternatives historiques. N’oublions pas que les impacts des chaînes d’approvisionnement en combustibles fossiles sont également énormes. L’une de mes récentes études sur le plus grand exportateur de charbon au monde (l’Indonésie), par exemple, montre que d’énormes problèmes sociaux et environnementaux sont en jeu[17].
SF : Est-ce que les scientifiques ou les ingénieurs tentent activement de réduire l’utilisation de certains matériaux des batteries ? Si oui, pourquoi et comment réduire leur utilisation ?
TW : Il s’agit davantage d’une question de sécurité d’approvisionnement que d’une préoccupation sociale/environnementale. Les scientifiques et les ingénieurs développent constamment de nouvelles technologies qui nécessitent différents matériaux à des degrés divers. Parfois, lorsque l’approvisionnement d’un matériau est réduit, les efforts se multiplient pour développer des technologies alternatives moins dépendantes de ce matériau. Dans le même temps, les efforts peuvent s’intensifier pour trouver d’autres sources, par exemple le recyclage ou l’exploitation minière dans d’autres pays. Les pays et les grandes entreprises tentent souvent de prendre des mesures stratégiques en réponse aux risques d’approvisionnement perçus. Par exemple, dans un article récent sur le rhénium, j’ai mentionné deux fabricants de moteurs à réaction qui s’inquiétaient de l’approvisionnement en rhénium[18]. L’un d’eux a réagi en modifiant la conception de ses moteurs et de ses chaînes d’approvisionnement de manière à réduire sa consommation de rhénium. L’autre a décidé d’acquérir une mine.
Les pays cherchent également à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement et à augmenter leur capacité de recyclage. Le recyclage des véhicules électriques et des déchets électroniques pourrait être un moyen de répondre à certains de nos besoins futurs, mais nous continuerons à avoir besoin de beaucoup d’exploitation minière à l’avenir.
Je n’ai pas connaissance d’un minerai de batterie en particulier dont l’impact social/environnemental soit si flagrant que nous n’envisagions pas de l’utiliser à l’avenir.
SF : En fin de compte, le coût de ces matériaux justifie-t-il de réévaluer la transition vers une énergie décarbonée ?
TW : Avant tout, nous devons nous attaquer d’urgence au changement climatique, et la transition énergétique vers l’abandon des combustibles fossiles en est la clé. Nous n’avons pas d’autre alternative. Une transition énergétique exige que nous exploitions des minerais. Le principal défi qui nous attend n’est donc pas de décider de les extraire ou non, mais plutôt de savoir où et comment nous pouvons les extraire avec le moins d’impact possible.
Des recherches ont montré que, dans l’ensemble, une transition énergétique nécessiterait beaucoup moins d’exploitation minière[13]. Ainsi, outre les avantages liés au changement climatique, les impacts sur les paysages seraient également moindres. Cela ne signifie pas que nous devrions approuver tous les projets d’exploitation des métaux. Cependant, nous avons la possibilité de choisir intelligemment les projets que nous approuvons, afin que la transition énergétique se fasse au moindre coût pour les populations et l’environnement. C’est pourquoi les impacts des projets de batteries font l’objet d’un examen minutieux, à juste titre.
En résumé, les coûts de l’extraction des minéraux des batteries ne surpassent pas leurs avantages, et ils peuvent même contribuer à accélérer la fermeture et la réhabilitation des sites miniers de combustibles fossiles dans le monde entier.
Wojciech Mrozik
Directeur de recherche, Université de Newcastle
SF : Quels impacts sociaux ou environnementaux particuliers liés à certains matériaux de batteries souhaitez-vous mettre en évidence ?
WM : Plusieurs problèmes critiques se posent tout au long du cycle de vie des batteries, notamment en ce qui concerne l’extraction de matériaux comme le cobalt, le nickel et le lithium. Le cobalt, cependant, est principalement un sous-produit de l’extraction du cuivre et est associé au travail des enfants ; l’extraction du nickel entraîne une importante pollution de l’eau (visible sur les images satellites des mines de Norilsk, en Russie) ; et l’extraction du lithium à partir de la saumure épuise et contamine l’eau dans des régions déjà confrontées à la pénurie, telles que les déserts d’Amérique du Sud.
Lors de l’utilisation de batteries, les défaillances peuvent entraîner la libération de matériaux nocifs, notamment des gaz toxiques et inflammables, des électrolytes et des nanomatériaux. Lors de la phase de recyclage et d’élimination, en fonction de la technologie utilisée, des sous-produits tels que l’eau polluée provenant de l’hydrométallurgie ou des produits finis potentiellement toxiques tels que les scories peuvent être générés. Si elles sont mises en décharge, les batteries peuvent interagir avec les gaz de la biomasse, ce qui augmente les risques d’incendie; ou libérer des substances nocives, telles que des électrolytes, des produits de dégradation, des gaz et des nanométaux, dans l’environnement, ce qui peut contaminer les eaux souterraines.
Des études récentes ont également indiqué que les batteries pouvaient être une source importante de PFAS (composés organiques per- et polyfluorés).
Les impacts sociaux comprennent la vie à proximité des sites miniers ou des décharges, l’élimination et le traitement illégaux posant des risques supplémentaires (comme dans le cas des déchets électroniques). On l’observe en Chine, où l’on estime que jusqu’à 70 % des batteries destinées au recyclage sont détournées ailleurs.
Pour en savoir plus, consultez ma publication[19].
SF : Est-ce que les scientifiques ou les ingénieurs tentent activement de réduire l’utilisation de certains matériaux des batteries ? Si oui, pourquoi et comment réduire leur utilisation ?
WM : Oui, les scientifiques et les ingénieurs travaillent activement à la réduction de l’utilisation de divers matériaux pour les batteries, en particulier les batteries lithium-ion. Les efforts portent notamment sur le développement d’alternatives telles que le niobium et les batteries tout-solide, le remplacement du lithium par du sodium, l’introduction de nouveaux matériaux dans les anodes tels que le silicium et l’utilisation de liants à base d’eau au lieu du PVDF. La création d’électrolytes plus sûrs, moins inflammables et plus faciles à recycler est un autre objectif.
Un exemple marquant est la réduction du cobalt, où les nouvelles chimies NMC utilisent un minimum de cobalt, et où les batteries LFP (lithium fer phosphate) sans cobalt ont déjà dépassé le nombre de NMC (par exemple, en Chine, elles représentent environ 70 % du marché).
SF : En fin de compte, le coût de ces matériaux justifie-t-il de réévaluer la transition vers une énergie décarbonée ?
WM : Aucune technologie n’est exempte d’impact sur l’environnement, qu’il s’agisse de l’industrie pétrolière ou des batteries. Toutefois, la plupart des éléments nécessaires à la fabrication des batteries continueront d’être extraits, car ils sont nécessaires à d’autres industries (même le cobalt, qui est également un sous-produit de l’extraction du cuivre). Le lithium est une autre histoire, car nous avons développé davantage de mines et de procédés de traitement de la saumure uniquement pour le marché des batteries.
Je pense que l’erreur a été commise en « vendant » les batteries comme une solution totalement respectueuse de l’environnement sans dire qu’elles ont toujours besoin de matières premières, donc d’une exploitation minière. Cependant, les histoires concernant le travail des enfants (et il est principalement associé aux mines artisanales) ont incité les fabricants de batteries à rechercher du « cobalt éthique » et à s’attaquer au problème.
RÉFÉRENCES
- International Energy Agency. (2024) Global EV Outlook 2024.
- Johnston et al. (2018) Impact of upstream oil extraction and environmental public health: a review of the evidence. Science of the Total Environment.
- Ilinykh et al. (2023) A life cycle assessment of drilling waste management: a case study of oil and gas condensate field in the north of western Siberia, Russia. Sustainable Environment Research.
- Domingo et al. (2020) Health risks for the population living near petrochemical industrial complexes. 1. Cancer risks: A review of the scientific literature. Environmental Research.
- Marquès et al. (2020) Health risks for the population living near petrochemical industrial complexes. 2. Adverse health outcomes other than cancer. Science of the Total Environment.
- Xiong et al. (2022) Long-term trends of impacts of global gasoline and diesel emissions on ambient PM2.5 and O3 pollution and the related health burden for 2000–2015. Environmental Research Letters.
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