- Climat
Quelles sont les sources d’émissions de gaz à effet de serre des Français ?
Trier ses déchets, éteindre les lumières ou encore supprimer ses emails : de nombreuses idées reçues circulent pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à nos activités quotidiennes. Les ordres de grandeur de l’impact de nos activités sur le climat peuvent pourtant être méconnus. Par exemple, alors que la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher affirmait sur BFM TV que l’envoi d’un mail avec une pièce jointe consomme plus d’énergie qu’une lampe, le journal Libération rétablissait les faits : il n’existe pas d’évaluation robuste de l’empreinte carbone de l’envoi d’un mail. En revanche, il est avéré qu’une grande partie du trafic numérique est lié aux vidéos.
Focaliser l’attention du public sur des activités peu émettrices de gaz à effet de serre est trompeur et entrave la bonne compréhension des retombées réelles des activités humaines sur le climat. Dans cet article, nous établissons une synthèse des connaissances concernant les rejets de gaz à effet de serre (GES) des français.
À RETENIR :
- En France en 2023, les émissions territoriales de gaz à effet de serre s’élèvent à 5,2 tonnes par personne.
- L’empreinte carbone intègre les émissions des produits importés, elle est plus représentative de la consommation des ménages. Elle s’élève à 8,0 ou 9,4 tonnes de gaz à effet de serre (équivalent CO2) par habitant la même année, selon les estimations.
- Les postes d’émissions de gaz à effet de serre les plus importants à l’échelle individuelle sont le transport et l’alimentation (48% des émissions).
- À l’échelle mondiale, il est possible de réduire de 40 à 70% les émissions d’ici 2050 en mettant en place des stratégies axées sur la demande dans trois secteurs : le bâtiment, les transports terrestres et l’alimentation.
LE TRANSPORT EST LE SECTEUR D’ACTIVITÉ LE PLUS ÉMETTEUR DE GAZ À EFFET DE SERRE
En France métropolitaine, les principaux secteurs émettant des GES sont, par ordre décroissant : le transport (33% des émissions en 2022), l’agriculture et sylviculture (19%), l’industrie manufacturière (18%), l’usage et activités des bâtiments (15%), l’industrie de l’énergie (11%) et les déchets (4%) (voir figure 1). On constate donc qu’en France, les émissions liées au transport sont prépondérantes dans le bilan des GES.
Cette estimation officielle est réalisée par le Citepa, une association, pour le compte du Ministère de la transition écologique. Elle intègre l’ensemble des gaz à effet de serre (ce qu’on exprime en « équivalent CO2 » ou « CO2e ») et s’appuie sur les lignes directrices du GIEC. Le calcul repose sur une formule intégrant un ensemble de données officielles. Par exemple, les émissions du secteur des transports sont évaluées sur la base des données du transport aérien fournies par la Direction générale de l’aviation civile, du transport ferroviaire fourni par l’INSEE, etc.
Le Citepa explique : « Les émissions d’une activité donnée sont exprimées par la formule générale et schématique suivante » :
Es,a,t = Aa,t × Fs,a
avec
E : émission relative à la substance s et à l’activité a pendant le temps t
A : quantité d’activité relative à l’activité a pendant le temps t
F : facteur d’émission relatif à la substance s et à l’activité a.
ATTENTION À L’INDICATEUR OBSERVÉ : ÉMISSIONS TERRITORIALES ET EMPREINTE CARBONE SONT DIFFÉRENTS
Lorsque l’on parle de rejets de gaz à effet de serre, il est également important de noter qu’il existe plusieurs indicateurs. Tous n’intègrent pas le même périmètre.
- Les émissions territoriales. Cet indicateur concerne les rejets de GES ayant lieu sur le territoire français. Ils sont calculés par le Citepa pour les besoins légaux de rapportage des émissions auprès des instances internationales.
- L’empreinte carbone. Cet indicateur vise à évaluer les émissions de GES liées à la demande finale. Les émissions liées aux produits exportés par la France sont donc déduites, tandis que celles liées aux produits importés par la France sont comptabilisées. Il n’existe pas de normes internationales pour l’estimer. En France, le Service des données et études statistiques (SDES) en fournit une estimation sur la base d’informations économiques diffusées par les instituts statistiques publics.
Combien les français émettent-ils de GES ? Sur le territoire, les émissions territoriales s’élèvent à 373 millions de tonnes de CO2e en 2023. Ramenées au nombre d’habitants, cela équivaut à 5,2 tonnes de CO2e par personne (soit l’équivalent de 3 aller-retour Paris-New York en avion d’après le comparateur de l’Ademe). Si l’on regarde cette fois l’empreinte carbone, plus représentative de la demande finale des habitants, celle-ci s’élève à 644 millions de tonnes de CO2e en 2023 d’après le SDES, soit 9,4 tonnes CO2e par personne (voir figure 3) (soit l’équivalent de 5 aller-retour Paris-New-York en avion). Avec une enquête d’opinion, le Citepa évalue lui l’empreinte carbone moyenne des français à 8,0 tonnes CO2e par personne.
Cette différence entre les émissions territoriales et l’empreinte carbone montre que les émissions de GES liées aux activités et à la consommation des ménages français sont en partie produites sur d’autres territoires. C’est par exemple le cas lorsque nous achetons un produit fabriqué à l’étranger.
LE TRANSPORT ET L’ALIMENTATION SONT LES POSTES D’ÉMISSIONS LES PLUS IMPORTANTS DES INDIVIDUS
Pour mieux appréhender les retombées de nos activités quotidiennes et s’y retrouver parmi les affirmations que l’on peut rencontrer, il est nécessaire de s’intéresser à un autre mode de comptabilisation des émissions : celles des individus. En effet, nos activités quotidiennes sont à l’origine des émissions comptabilisées dans les secteurs industriels. Comptabiliser l’empreinte des individus, plutôt que des secteurs industriels, permet de mieux refléter les émissions des activités individuelles qui peuvent parfois mobiliser plusieurs secteurs. Par exemple, notre alimentation contribue aux émissions des secteurs de l’agriculture, le transport, les déchets et éventuellement l’usage des bâtiments et l’industrie manufacturière (pour le stockage et la cuisson).
L’empreinte carbone individuelle des Français se répartit de la façon suivante, par ordre décroissant : le transport (25%), l’alimentation (23%), les services sociétaux et le logement (chacun 18%) et divers (16%) (voir figure 3). Ainsi, l’électrification du parc automobile est un levier important pour diminuer les émissions des français grâce à leurs émissions moindres que les voitures thermiques. Pourtant, l’empreinte carbone des voitures électriques fait régulièrement l’objet de désinformation comme nous en parlions dans cet article. Modifier son alimentation (moins de viande, notamment de boeuf, etc.) est au même titre un levier majeur pour réduire l’empreinte carbone des individus.
ll est important de noter que cette estimation comporte un certain nombre d’incertitudes. Contrairement aux émissions territoriales calculées par le Citepa (figure 1), il n’existe pas de méthode officielle et harmonisée pour calculer les émissions de GES des individus. Cette étude s’appuie sur un questionnaire auto-administré adressé à plus de 4000 adultes, couplé à des facteurs d’émissions d’analyse de cycle de vie (qui permettent d’estimer les rejets de GES en fonction des réponses). Lors de telles déclarations, des biais connus s’appliquent. Des corrections statistiques ont été appliquées pour en améliorer la précision.
Comme le souligne une équipe scientifique[1], individualiser les émissions de GES comporte de nombreuses incertitudes, tant sur les données d’activité des individus que sur les facteurs d’émissions des différentes activités.
Il est possible de calculer ses émissions de GES grâce à un simulateur gratuit proposé par l’Ademe. L’agence propose également un comparateur carbone permettant de comparer les ordres de grandeur de nos activités quotidiennes, voir ci-dessous.
40 À 70% DES ÉMISSIONS MONDIALES RÉDUITES EN 2050 EN MODIFIANT LA DEMANDE DANS TROIS SECTEURS
Dans son 6ème rapport de synthèse[2], le Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique note que les cumuls d’émissions de CO2 sont déjà très élevés aujourd’hui. En particulier, le budget carbone – c’est-à-dire la quantité maximale possible d’émission de CO2 pour limiter le réchauffement du climat à un certain niveau – restant est limité. « Les émissions cumulées nettes de CO2 entre 2010 et 2019 sont équivalentes à environ quatre cinquièmes de la taille du budget carbone restant à partir de 2020 pour une probabilité de 50 % de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, et à environ un tiers du budget carbone restant pour une probabilité de 67 % de limiter le réchauffement climatique à 2°C. » En d’autres termes, l’humanité a émis en seulement 10 ans l’équivalent des quatre cinquièmes du budget carbone qu’il nous reste pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Une diminution importante et rapide des émissions est donc nécessaire pour atteindre cet objectif.
Il est possible de réduire de 40 à 70% les émissions mondiales de GES d’ici 2050 en mettant en place des stratégies axées sur la demande dans trois secteurs : le bâtiment, les transports terrestres et l’alimentation[2]. Cela repose sur des choix individuels, des actions des gouvernements (incitations financières, développements d’infrastructures, etc) et des industries. Les leviers les plus importants de réduction des émissions sont le changement de régime alimentaire, les mobilités douces et le passage à la voiture électrique, la rénovation thermique des bâtiments ou encore l’électrification massive, et d’autres comme le montre la figure 4.
RÉFÉRENCES
- 1 – Pottier et al. (2020) Qui émet du CO2 ? Panorama critique des inégalités écologiques en France. Revue de l’OFCE
- 2 – IPCC (2022) Summary for Policymakers. In: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change.