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En Arctique, la banquise est affectée par le changement climatique, réduisant la navigabilité du passage du Nord-Ouest

Posté le : 16 Sep 2024

À RETENIR

Une étude scientifique montre une diminution de la saison de navigation de la route Nord du passage du Nord-Ouest en Arctique en l’espace de 10 ans. Cela s’explique par l’apport – amplifié par le changement climatique – de glace de mer venue du Nord. Depuis quelques décennies, la banquise et la calotte arctique fondent à des niveaux sans précédent en raison du changement climatique.

ÉLÉMENT ANALYSÉ

Erroné

L’Arctique est englacée l’été plus longtemps qu’avant et la navigabilité du passage du Nord-Ouest diminue, contrairement aux attentes du réchauffement climatique.

Source : Twitter/X, Silvano Trotta, 21 Juil 2024

DÉTAIL DU VERDICT

Erroné :

La quantité de glace de mer dans le passage du Nord-Ouest n’augmente pas. L’extension de la banquise diminue au fil des ans, et elle s’amincit. Le changement climatique augmente l’apport de glace de mer en provenance du Nord au gré des courants.

Trompeur :

La diminution de la saison de navigabilité de la route Nord du passage du Nord-Ouest ne nie pas l’existence du changement climatique. La hausse de la mobilité de la glace de mer, provoquée par le réchauffement climatique, est à l’origine de la diminution de la navigabilité.

AFFIRMATION COMPLÈTE

“Pendant que les trolls gouvernementaux crient au réchauffement climatique, la calotte glaciaire se renforce à nouveau et que[sic] certaines parties de l’Arctique restent même glacées pendant l’été plus longtemps qu’auparavant.”

Vérification

En juillet 2024, plusieurs comptes X (ex-Twitter) connus pour leurs actions de désinformation ont partagé une information fausse concernant l’Arctique, comme nous le montrons dans cet article. Silvano Trotta poste le 21 juillet 2024 : “Pendant que les trolls gouvernementaux crient au réchauffement climatique, la calotte glaciaire se renforce à nouveau et que[sic] certaines parties de l’Arctique restent même glacées pendant l’été plus longtemps qu’auparavant. Un groupe de négateurs du changement climatique publie début août : “#banquise : certaines parties de l’#Arctique restent englacées pendant l’été plus longtemps qu’auparavant. Les points d’étranglement de la glace de mer réduisent la durée de la saison de navigation dans le passage du Nord-Ouest.”

Ces publications font référence à un article scientifique publié dans Nature Communications Earth & Environment en juillet 2024 par Cook et ses collaborateurs[1]. Contrairement à ce que les posts sur X affirment, cet article ne montre pas que la “calotte glaciaire se renforce” ni que “certaines parties de l’Arctique [sa banquise] restent englacées pendant l’été plus longtemps qu’auparavant”. L’article met en évidence une réduction de la navigabilité du Nord du passage du Nord-Ouest en raison de l’augmentation de la mobilité de la glace de mer. Cela s’explique par le changement climatique. De nombreuses données montrent une diminution significative et inédite de l’étendue de la banquise et de la calotte Arctique depuis plusieurs décennies en raison du changement climatique d’origine humaine.

NI LA CALOTTE GLACIAIRE NI LA BANQUISE NE SE RENFORCENT EN ARCTIQUE

Rappelons tout d’abord quelques fondamentaux, puisque deux termes différents sont employés. La banquise, aussi appelée glace de mer ou sea ice en anglais, est une couche de glace présente à la surface de la mer qui se forme en hiver par congélation de l’eau de mer. La calotte glaciaire désigne, elle, les grandes étendues de glace sur les terres aux pôles, au Groenland (au pôle Nord en Arctique) et en Antarctique (au pôle Sud). Les calottes glaciaires sont formées par accumulation de neige. L’article scientifique[1] cité par les désinformateurs sur X fait référence à la glace de mer en Arctique, et non à la calotte glaciaire Arctique comme l’écrit Silvano Trotta.
En Arctique, la température de l’air a augmenté presque quatre fois plus vite que la moyenne de l’ensemble du globe depuis 1979 en raison du changement climatique lié aux activités humaines[2]. Entre 1993 et 2022, la hausse s’élève de 2°C à 6°C selon les régions (voir figure 1). En conséquence, la glace Arctique fond, comme le décrivait déjà Science Feedback en mars 2024.

Figure 1 – Tendance cumulée des anomalies de température de surface de la mer et de la glace pour l’océan Arctique de 1993 à 2022. La tendance cumulée est le taux de changement (°C/an) moyenné par le nombre d’années (30 ans). Ces données sont basées sur les observations satellitaires du Copernicus Marine Service Information de l’Union européenne. Source : Copernicus.

La perte de la couverture de glace de mer dans l’ensemble de l’Arctique est un indicateur majeur du changement climatique”, écrit le GIEC[3].

La calotte glaciaire au Groënland a perdu 107 milliards de tonnes de glace chaque année entre 1972 et 2022. Concernant la banquise arctique, les données satellites montrent une diminution de son étendue d’environ 13% par décennie entre 1979 et 2018, un niveau sans précédent depuis au moins 1000 ans d’après le GIEC[3]. Depuis 1979, l’étendue de la banquise se réduit chaque année en septembre de 83 000 km2 (soit la superficie de la région Nouvelle-Aquitaine), et de 41 000 km2 en mars. Tous les mois de l’année sont affectés comme le montre la figure 2. À l’avenir, les modèles climatiques prévoient des étés presque exempts de banquise en Arctique – c’est-à-dire dont la superficie est inférieure à un million de km2 – au moins une fois avant 2050, et ce même si nous réduisons drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre[4].

Figure 2 – L’étendue de la banquise arctique diminue, et cela tous les mois de l’année. À gauche, le graphique montre l’étendue de la banquise chaque jour pour différentes périodes. À droite, l’écart à la moyenne mensuelle au cours de la période (1991-2020). Source : C3S/ECMWF/EUMETSAT.

Autre effet du changement climatique en Arctique : la banquise est de plus en plus jeune. Entre 1979 et 2018, la proportion de glace formée dans l’année est passée de 40% à 60-70%, alors que celle âgée d’au moins cinq ans a décliné de 30% à 2%[3]. Or ces deux types de glace de mer ont des propriétés physiques différentes : la glace âgée est plus épaisse, plus rugueuse et moins salée que la glace formée dans l’année. “Le changement climatique modifie la reconstitution de la banquise [ndlr : qui est donc constituée de beaucoup plus de glace jeune], commente auprès de Science Feedback Julienne Stroeve, chercheuse spécialisée en télédétection de la glace de mer au Centre National de données sur la neige et la glace (États-Unis). Or la glace plus fine est plus mobile, cela affecte donc la mobilité de la glace de mer en Arctique.” 

LA SAISON NAVIGABLE DES ROUTES DU NORD A DIMINUÉ EN RAISON DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

L’article scientifique[1] cité sur X présente des résultats concernant la durée de la navigation dans le passage du Nord-Ouest. Cette route maritime est située au Nord du Canada (voir figure 3). Alors qu’aujourd’hui, 97% des navires utilisent la route Sud (en rouge à droite de la figure 3), la route Nord plus courte et rapide représente un intérêt commercial majeur. L’obstacle principal à la navigation dans le passage du Nord-Ouest est la présence de glace de mer[1] : les navires l’utilisent de façon saisonnière, lorsque la banquise est à son minimum.

Figure 3 – À gauche, vue de la région Arctique. Le rectangle rouge délimite le zoom de la carte de droite. À droite, les différentes routes empruntées par les navires dans le passage du Nord-Ouest. Les navires entrent à l’Est par le Lancaster sound, et ressortent à l’Ouest. Sources : Rapport spécial du GIEC[3] à gauche; Cook et al. (2024)[1] à droite. 

Cook et ses collaborateurs constatent une réduction de la saison de navigation depuis 2007 (2007-2011 vs 2017-2021) pour les routes Nord du passage du Nord-Ouest. La saison navigable a diminué de quelques semaines voire plus d’une dizaine de semaines selon les sections. Par exemple, à l’Est de la mer de Beaufort, elle est passée de 20-25 semaines par an à 10-15 semaines par an. Seule l’entrée Est dans le Lancaster sound a été empruntée plus longtemps sur la même période, la saison de navigation passant de 20 à 23-25 semaines. Pour la route Sud, les auteurs n’observent pas de différence significative sur la période considérée. Julienne Stroeve tempère les résultats de cette étude auprès de Science Feedback : “La période considérée (10 ans) est très courte et il est compliqué d’établir des conclusions statistiquement robustes sur une telle durée.

Sur les réseaux sociaux, les désinformateurs mettent en avant cette diminution de la saison navigable pour jeter le doute sur le réchauffement climatique. Ce n’est pas ce qu’expliquent Cook et ses collaborateurs : la navigabilité dans la région est affectée par la mobilité de la banquise, amplifiée par le changement climatique.

Figure 4 – Au cours de la dernière décennie, l’étendue de la banquise a été particulièrement faible durant plusieurs étés par rapport à la période de référence (1991-2020) dans les routes Nord du passage du Nord-Ouest (à gauche). Source : S. Howell, Environment and Climate Change Canada.

D’une part, le changement climatique affecte la banquise. À l’été 2007, la route Nord du passage du Nord-Ouest s’est retrouvée – de façon inédite – presque entièrement libre de glace de mer[5]. Les années 2011,2012 et 2023 ont également été marquées par de très faibles quantités de glace de mer dans cette zone comme le montre la figure 4[6]. Affirmer que “certaines parties [le passage du Nord-Ouest] de l’#Arctique restent englacées pendant l’été plus longtemps qu’auparavant” est donc faux. D’autre part, la mobilité de la banquise restante est affectée par le changement climatique. En particulier, la quantité et l’épaisseur de la banquise au Nord du Groenland et du passage du Nord-Ouest est toujours importante[7]. Cette glace de mer épaisse est transportée vers le Sud (et notamment au niveau du centre du passage du Nord-Ouest) par les courants océaniques (voir figure 5). Plusieurs études montrent que le changement climatique a augmenté significativement ce processus en raison de la débâcle (fonte) plus précoce dans la région, qui facilite le transport de la glace de mer[8-10]

Figure 5 – La banquise au Nord de l’archipel canadien arctique est transportée par les courants océaniques vers le Sud, atteignant le centre de la route Nord du Passage du Nord-Ouest. Cette glace de mer mobile affecte la navigation maritime. Source : Howell et al. (2024)[7]

Ce sont donc les mouvements de cette glace de mer, amplifiés par le changement climatique, qui diminuent la saison de navigation dans le passage du Nord-Ouest comme l’écrivent Cook et ses collaborateurs[1]. La présence de glace de mer dans certains passages étroits et inévitables (appelés “choke points” en anglais) impacte fortement la navigation. À l’avenir, le processus va se poursuivre en raison de la persistance de banquise épaisse dans la région comme nous l’explique Julienne Stroeve : “Il est difficile d’évaluer les futures conditions de glace dans le passage du Nord-Ouest en raison de la grande résolution spatiale des modèles climatiques, qui ont du mal à fournir des estimations dans les voies navigables étroites. Mais nous nous attendons à ce que la région au Nord du passage du Nord-Ouest mette un peu plus de temps à devenir libre de glace chaque été que le reste de l’océan Arctique.

CONCLUSION

Dans une étude scientifique publiée en juillet 2024, Alison J. Cook et ses collaborateurs mettent en évidence une diminution de la saison navigable dans le passage du Nord-Ouest en une décennie. Cela s’explique par les flux de glace de mer provenant du Nord, un phénomène naturel accentué par le changement climatique. La baisse de navigabilité du passage du Nord-Ouest ne réfute donc pas le réchauffement climatique, comme le laisse entendre des posts de désinformation sur le réseau social X. En Arctique, la température de l’air a augmenté de 2°C à 6°C entre 1993 et 2022 en raison du changement climatique. La calotte glaciaire et la banquise ont fondu à un rythme inédit ces dernières décennies, et de premiers étés sans banquise (moins de 1 million de km2) sont attendus avant 2050.

Feedback des scientifiques

Julienne Stroeve member picture

Julienne Stroeve

Chercheuse, National Snow and Ice Data Center

When scientists talk about ice-free Arctic summers, they use a threshold of 1 million sq-km. This means some ice  may still remain particularly north of Greenland and the Canadian

Archipelago while the rest of the Arctic Ocean is ice-free. The paper argues that some of this ice may not melt out each summer in the NWP route, though that doesn’t mean routes

will not be open still. In fact it’s pretty much open this summer and has been several years since 2007. I would note that using climate models to assess future ice conditions in the NWP is challenging because the spatial resolution of many of those models to not capture all the narrow waterways. But we generally expect that this area will take a bit longer to become ice-free each summer than the rest of the Arctic Ocean.

I think the study is sound as it is. We do expect that ice could persist within the NWP for longer than other locations in the Arctic Ocean, though of course it will depend on winds and currents and some years it will be open (as it is this year) and some years it won’t be. Despite their paper, there are still plans for using this shipping route especially as Hudson Bay port of Churchill plans to increase their connectivity. Ice replenishment has been impacted by climate change though as it’s changing the mobility of the ice as thinner ice is more mobile. Everything happening there is a sign of climate change.

RÉfÉrences :

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