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Attention aux propos trompeurs de Luc Ferry sur LCI, l’électrification des voitures diminue les rejets de gaz à effet de serre dans la plupart des pays

Posté le : 7 Fév 2025

À RETENIR

De nombreuses études scientifiques démontrent que les voitures électriques diminuent les émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur équivalent thermique dans une très large majorité de pays. Attention aux affirmations focalisées sur les émissions de gaz à effet de serre liées à la fabrication, plus importantes pour les voitures électriques que thermiques. Cette rhétorique est fallacieuse, puisque les analyses de cycle de vie utilisées pour évaluer l’empreinte carbone intègrent l’ensemble des émissions d’une voiture au cours de sa vie. Sa dette carbone est ensuite contrebalancée par ses très faibles émissions à l’usage.

élément analysé

Trompeur

Les voitures électriques sont plus polluantes que les voitures hybrides, thermiques

Source : LCI, RMC, Luc Ferry, Laurent Dandrieu, 19 Jan 2025

détail du verdict

Trompeur :

L’électrification des voitures diminue leurs rejets de gaz à effet de serre dans la plupart des pays du monde, sauf ceux où l’électricité est très carbonée.

Infondé :

Si la fabrication des voitures électriques est plus carbonée que celle des voitures thermiques, c’est l’évaluation des rejets sur l’ensemble de leur vie qui représente leur potentiel de décarbonation du secteur.

affirmation complète

Luc Ferry : « […] la voiture électrique est bien plus polluante que les petites voitures hybrides thermiques. » Laurent Dandrieu : « [la voiture électrique] est un non-sens écologique. C’est une voiture qui est extrêmement polluante, moins à la circulation, mais beaucoup plus à la fabrication et à la production. »

Vérification

Alors que le secteur des transports est responsable d’environ 15% des émissions de gaz à effet de serre (GES, en 2019)[1], sa décarbonation est un levier important pour atténuer le changement climatique provoqué par les GES rejetés par les activités humaines. En roulant, les voitures thermiques brûlent des fossiles – pétrole ou gaz, ce qui émet des GES (comme le CO2).

LES VOITURES ÉLECTRIQUES DIMINUENT L’EMPREINTE CARBONE DU TRANSPORT ROUTIER DANS LA GRANDE MAJORITÉ DES PAYS, DONT LA FRANCE

Remplacer les voitures thermiques et hybrides par des voitures électriques est une solution efficace pour atténuer le changement climatique, dès aujourd’hui et encore plus à l’avenir. Florian Knobloch, chercheur associé spécialiste de l’analyse des cycles de vie à l’université de Cambridge, expliquait à Science Feedback dans un précédent article : « Il y a un consensus scientifique clair sur le sujet. En comparaison aux voitures thermiques conventionnelles, les voitures électriques réduisent presque toujours les émissions de GES. Les craintes que les voitures électriques puissent augmenter les émissions de GES sont infondées dans la plupart des régions du monde, même si l’électricité est fabriquée à partir de quantités importantes d’énergie fossile. Les seules exceptions sont les régions où l’électricité est principalement fabriquée à partir de charbon, un cas de figure de plus en plus rare en raison de la croissance rapide des énergies renouvelables. »

Pour aboutir à cette conclusion, les scientifiques réalisent des analyses de cycle de vie. L’empreinte environnementale du véhicule est calculée depuis sa fabrication jusqu’à sa fin de vie. Comme nous l’avons déjà détaillé dans ces deux Éclairages, plusieurs études récentes montrent que les véhicules électriques émettent moins de GES que les nouvelles voitures essence dans la grande majorité du monde[2] et en Europe (dont en France)[3], et rejettent également moins de GES que les voitures hybrides performantes de taille équivalente[4] (voir figure 1).

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Figure 1 – En haut, l’étude de Knobloch et al[2] illustre la différence entre les rejets de GES des voitures électriques par rapport aux voitures essence neuves. En vert, les émissions sont presque toujours réduites, en jaune elles réduites “en moyenne”, en rouge elles sont supérieures. En bas, Hung et al[3] montrent la différence de rejets de GES sur toute la durée de vie d’un véhicule électrique et de son équivalent thermique, pour une petite citadine et un SUV moyen.

En France, les conclusions sont sans appel. Parmi les 10 analyses de cycle de vie compilées par Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports, toutes montrent une diminution significative (d’au moins 47%) des émissions de GES des voitures électriques par rapport à leur équivalent thermique sur l’ensemble de leur vie, comme le montre la figure 2.

Figure 2 – Les analyses de cycle de vie établissent l’empreinte carbone des voitures. Elles varient selon le type de véhicule (les segments A, B, C, D ou E) ainsi que les hypothèses réalisées. Cette figure illustre les différentes estimations existantes pour la France, selon des articles scientifiques ou des études réalisées par des organisations indépendantes (FNH-ECF, Carbone 4, ICCT, T&E). Source : compilation Aurélien Bigo, mars 2023.

LUC FERRY NIE LES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES

Pourtant le 19 janvier sur la chaîne LCI, le professeur de philosophie et ancien ministre Luc Ferry tient des propos niant les connaissances scientifiques en affirmant que « la voiture électrique est bien plus polluante que les petites voitures hybrides thermiques. » Cela est faux dans une majorité de cas. Dans le 6ème rapport de synthèse du GIEC, les émissions de GES des véhicules tout au long de leur vie sont comparées selon des cas hypothétiques. On y constate sur la figure 3 que les voitures électriques rejettent moins de GES que les voitures hybrides. Les seuls cas pour lesquels elles rejettent plus de GES sont : si l’électricité est entièrement produite par des centrales à charbon; ou pour certaines hypothèses concernant les biocarburants. Mais dans la réalité, ces cas de figure sont très rares. Un article scientifique publié en 2022 montre que les voitures électriques émettent moins de GES tout au long de leur vie qu’une voiture hybride roulant au carburant fossile ou synthétique dans 34 des 35 pays étudiés (figure 4)[4]. L’Inde est la seule exception dans l’étude : le mix électrique du pays est en effet très carboné, en 2024, 72% de l’électricité générée a été produite à partir de charbon. Le GIEC considère[1] :

 Étant donné que les véhicules hybrides reposent sur la combustion comme principal processus de conversion de l’énergie, ils offrent des possibilités d’atténuation limitées. Toutefois, les véhicules électriques hybrides représentent une solution temporaire appropriée, avec un potentiel d’atténuation modéré, dans les zones où le mix électrique est actuellement si émetteur de carbone que l’utilisation de de véhicules électriques n’est pas une solution d’atténuation efficace.

Figure 3 – Synthèse des connaissances sur l’empreinte carbone des transports, pour une durée de vie des véhicules de 180 000 km. Les véhicules électriques sont annotés “BEV”. La zone ombrée bleue représente les émissions liées à la fabrication et fin de vie. La longueur des boîtes représente les rejets lors de l’usage du véhicule. L’emplacement des boîtes sur l’axe horizontal montre l’empreinte carbone totale de chaque type de véhicule. On constate que les véhicules électriques alimentés par électricité décarbonée ont la plus faible empreinte carbone. Source : dernier rapport du GIEC[1].
Figure 4 – Dans ce modèle, les auteurs projettent les émissions de GES d’une voiture moyenne électrique (BEV), hybride carburant fossile (HEV, fossil) et hybride carburant synthétique (HEV, synthetic). La quantité de bioéthanol dans le mélange d’essence est indiquée pour chaque pays (‘% bioethanol`). Hormis l’Inde, tous les pays bénéficient à l’avenir du passage à l’électrique. Source : Sacchi et al 2022[4]

LES PROPOS TROMPEURS DE LAURENT DANDRIEU OMETTENT UNE PARTIE DES FAITS

Sur la radio RMC le 17 janvier 2025, le rédacteur en chef culture à Valeurs Actuelles Laurent Dandrieu affirme : « [la voiture électrique] est un non-sens écologique. C’est une voiture qui est extrêmement polluante, moins à la circulation, mais beaucoup plus à la fabrication et à la production. » Le raisonnement de Dandrieu est fallacieux : l’empreinte carbone de la fabrication des voitures électriques est en effet plus importante que celle des voitures thermiques, mais les faibles rejets de GES en circulation contrebalancent cette « dette carbone ». En effet, les analyses de cycle de vie détaillées précédemment incluent bien la totalité des émissions de gaz à effet de serre, de la production du véhicule (l’extraction des matériaux, leur acheminement, leur transformation, l’assemblage, etc.), à son utilisation et jusqu’à sa fin de vie. Elles démontrent que les véhicules électriques émettent moins de GES que les voitures thermiques dans une majorité de cas. Il est donc faux de conclure que l’électrique est un « non-sens écologique ».

Comme Science Feedback l’expliquait dans un précédent article, les émissions liées à la fabrication des voitures électriques sont généralement plus élevées que celles d’une voiture thermique de taille équivalente[3]. Le terme de “dette carbone” est donc employé lors de la comparaison entre les deux types de véhicules. Ainsi, la “dette carbone” d’une voiture électrique est “remboursée” après avoir parcouru une certaine distance. Après 20 000 km, une petite citadine électrique devient plus intéressante qu’une compacte diesel en France en termes d’émission de GES d’après l’estimation de l’Ademe (voir figure 5). Ce chiffre grimpe à 70 000 km pour une compacte embarquant une batterie de 60 kWh (ou 42 000 km par Sacchi et al. 2022[4]), et plus de 100 000 km pour un SUV équipé d’une batterie de 100 kWh. Notons que cette dernière comparaison ne confronte pas deux véhicules de taille équivalente : la dette carbone sera moins élevée si un SUV électrique remplace un SUV thermique. En France en 2022, les voitures particulières parcourent en moyenne près de 12 000 km par an.

Figure 5 – Les émissions de GES liées à la fabrication des voitures électriques sont plus élevées que celles d’une compacte diesel. Mais elles émettent moins de GES à l’usage, tout comme la fabrication de leur énergie. L’intérêt climatique des voitures électriques augmente au cours des kilomètres parcourus. Source : ADEME 2022.

Et à l’avenir la situation devient de plus en plus favorable aux voitures électriques, en raison principalement d’une hausse de l’efficacité énergétique des véhicules (plus de kilomètres parcourus pour la même quantité d’énergie), d’une décarbonation de l’industrie manufacturière et d’une progression des énergies renouvelables. « Dans la plupart des publications, la conclusion est que la voiture électrique est aussi « propre » que l’électricité qu’elle utilise, au premier ordre (puisque évidemment il y a une « pénalité carbone » à la fabrication par rapport au véhicule thermique), détaillait Thomas Gibon, chercheur spécialiste des analyses de cycle de vie à l’Institut des sciences et technologies du Luxembourg, à Science Feedback. La figure 4 montre l’empreinte d’une voiture électrique, d’une voiture hybride, et d’une voiture hybride à carburant synthétique, en fonction du mix électrique utilisé pour recharger le véhicule électrique et produire le carburant synthétique. C’est sans appel, avec exception des pays très carbonés en 2020 (Chine, Inde, Pologne), mais dès 2030 la voiture électrique « gagne » à tous les coups face au carburant fossile. »

Les scientifiques ne pensent pas que la pollution due à l’extraction des métaux impose d’éviter la transition

Nous avons rappelé les connaissances concernant les émissions de gaz à effet de serre. Mais Ferry et Dandrieu évoquent la pollution, sans plus préciser. Nous pouvons donc également nous intéresser aux impacts environnementaux des véhicules électriques. Là encore, les connaissances scientifiques montrent que l’intérêt des voitures électriques est avéré en comparaison aux voitures thermiques. Science Feedback a déjà consacré plusieurs articles à ce sujet.

L’extraction du pétrole pour les véhicules thermiques et des métaux pour les batteries des véhicules électriques polluent l’environnement. La nature de la pollution est différente entre les deux sources, elles ne peuvent donc pas être facilement comparées l’une à l’autre. L’extraction du lithium, cobalt ou nickel nécessaires aux batteries peuvent générer des polluants[5], appauvrir la ressource en eau[6] ou encore contaminer les eaux environnantes et entraîner la mort de la biodiversité aquatique.

Mais l’extraction du pétrole n’est en aucun cas une source d’énergie propre. Chaque étape de la chaîne d’approvisionnement permettant d’acheminer le carburant à un véhicule génère des polluants dans les sites de forage ou les raffineries, et cause des dommages documentés à l’environnement et à la santé humaine[7,8]. La combustion de pétrole dans les voitures thermiques rejette également des particules fines et de l’ozone. Une étude a estimé que les particules et l’ozone émis par les véhicules à essence ont causé entre 139 700 et 170 700 décès prématurés dans le monde chaque année entre 2000 et 2015 ; pour les véhicules diesel, l’étude estime ce chiffre entre 205 000 et 309 300[9].

L’électrification des véhicules réduit les émissions de gaz à effet de serre et les effets encore plus destructeurs du changement climatique induit par les gaz à effet de serre. Dans ce contexte, les scientifiques ne pensent pas que la pollution due à l’extraction des métaux pour les batteries des véhicules électriques soit une raison suffisante pour éviter la transition vers les véhicules électriques. En fait, une transition vers des énergies décarbonées pourrait réduire les volumes d’extraction minière dédiée à l’énergie en diminuant la dépendance mondiale au charbon.
Tim Werner, professeur en transition énergétique à l’université de Melbourne, commentait auprès de Science Feedback :

Nous devons nous attaquer d’urgence au changement climatique, et la transition énergétique en est la clé. Nous n’avons pas d’autre alternative viable. Une transition énergétique exige d’extraire des minéraux. Le principal défi qui nous attend n’est donc pas de décider si nous devons ou non les extraire, mais plutôt de savoir où et comment nous pouvons les extraire avec le moins d’impact possible.

CONCLUSION

Grâce aux analyses de cycle de vie, il est possible d’évaluer l’empreinte carbone des voitures depuis leur fabrication, leur utilisation et jusqu’à leur fin de vie. Plusieurs études récentes montrent que les voitures électriques émettent moins de gaz à effet de serre que les nouvelles voitures essence dans la grande majorité du monde et en Europe, et rejettent également moins de GES que les voitures hybrides performantes de taille équivalente. Pourtant, de nombreuses personnes continuent d’affirmer que les voitures électriques sont mauvaises pour le climat : cela est faux, de nombreuses études scientifiques démontrent que les rejets de GES sont plus faibles que pour leurs équivalents thermiques dans une très large majorité de pays à travers le monde. D’autres affirmations trompeuses se focalisent sur les émissions de GES liées à la production des voitures électriques, plus importantes que pour les voitures thermiques. Cette rhétorique est fallacieuse, puisque les analyses de cycle de vie intègrent bien l’ensemble des émissions d’une voiture au cours de sa vie. Sa dette carbone est très vite contrebalancée par ses très faibles émissions à l’usage.

Science Feedback a sollicité Luc Ferry et la rédaction de LCI L’article sera mis à jour si de plus amples informations nous sont communiquées.

Cet article a été écrit dans le cadre du projet Climate Safeguards, une collaboration entre Science Feedback, QuotaClimat et Data for Good.

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