- Climat
Les cartes de prévision météo de plus en plus souvent rouges : cela s’explique par la hausse des épisodes de chaleur intense, et non une manipulation pour « faire peur »
à retenir
- Le changement climatique augmente la fréquence et l’intensité des évènements extrêmes comme les vagues de chaleur en Europe.
- Les cartes de prévision météo intègrent une palette de couleur propre à chaque chaine.
- Pour certaines chaînes, les couleurs illustrent l’écart avec la température moyenne au cours des 30 dernières années, appelée “normale”.
- D’autres chaînes choisissent de mettre en avant la valeur absolue de la température prévue à l’aide de la palette de couleurs.
- Les couleurs régulièrement rouges observées dans les prévisions météo illustrent l’impact du réchauffement climatique en France.
contenu analysé

Verdict :
Affirmation :
Les couleurs des cartes de prévision météo sont modifiées pour alarmer le public.
détails du Verdict
Infondé :
La palette de couleurs des cartes de prévision météo représente soit l’écart à la normale saisonnière, soit la valeur absolue de la température prévue. S’il fait anormalement chaud, il est normal que la carte soit rouge foncé.
affirmation complète
Moi ce qui me gêne ce sont les couleurs utilisées pour les températures. Là, on est dans le rouge-brun, 23°C à Lille. […] Rouge-brun c’est la fin du monde. Les mêmes températures qu'il y a 20 ans, c’était pas ces couleurs-là.
Vérification
En Europe, le début de l’été 2025 est marqué par d’importantes vagues de chaleur. Une analyse rapide de l’Imperial College de Londres estime que le changement climatique a triplé le nombre de décès liés à la chaleur fin juin en Europe. Cela représente environ 1500 décès supplémentaires à travers 12 villes européennes, dont plus de 200 à Paris. Dans une autre analyse rapide, des scientifiques du World Weather Attribution montrent que le changement climatique a augmenté la probabilité de survenue de la vague de chaleur dans le Sud-Est de l’Angleterre, comme nous l’avons expliqué dans un article. Alors qu’un tel évènement avait 2% de chances de survenir en juin avant l’ère industrielle, la probabilité s’élève désormais à 20%, soit une année sur cinq.
Malgré les nombreuses preuves de l’influence des activités humaines sur le climat, et les conséquences sur les populations et la planète, la désinformation circule toujours. Le 18 juin dernier sur RMC, alors qu’une vague de chaleur est annoncée en France, le journaliste sportif Frédéric Hermel affirme que les prévisionnistes météo en font trop : « Moi ce qui me gêne ce sont les couleurs utilisées pour les températures. Là, on est dans le rouge-brun, 23°C à Lille. […] Rouge-brun c’est la fin du monde. Les mêmes températures qu’il y a 20 ans, c’était pas ces couleurs-là. » Sur X, cette séquence a été vue 2 millions de fois en 2 semaines. Sans nier la réalité d’un réchauffement dû à « l’histoire du monde » d’après lui, Hermel accuse les prévisionnistes de manipuler les couleurs des cartes pour nous alarmer, une rhétorique qui relève du complot. Nicolas Dupont-Aignan utilise le même narratif sur son compte Facebook. Pourtant, comme nous l’expliquons dans cet article, ces couleurs ne sont que le reflet des températures anormalement élevées pour la saison, une conséquence attendue du changement climatique.
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE AUGMENTE LA FRÉQUENCE ET L’INTENSITÉ DES VAGUES DE CHALEUR
Le changement climatique causé par les activités humaines influence les évènements extrêmes, comme les vagues de chaleur. Comme l’indique en 2021 le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport de synthèse[1] :
« À l’échelle globale, la fréquence et l’intensité des extrêmes chauds (incluant les vagues de chaleur) ont augmenté, et celles des extrêmes froids ont baissé, depuis 1950. […] Le forçage radiatif causé par les gaz à effet de serre rejetés par l’Homme est le principal moteur des changements observés dans les extrêmes chauds et froids à l’échelle mondiale et sur la plupart des continents. »
Dans un autre rapport de synthèse[2], le GIEC établit le même constat à l’échelle du continent européen. Le groupe note que les études d’attribution – qui établissent un lien statistique entre un événement et le réchauffement climatique – montrent que « le changement climatique augmente la fréquence et l’intensité des vagues de chaleur et a déjà impacté la santé humaine en Europe. » En France, on observe également une hausse de l’intensité et du nombre de vagues de chaleur sur la période 1947-2024, comme le montre la figure 1.

LA PALETTE DE COULEUR EST FONCTION DE L’ÉCART À LA NORMALE
Affirmer que les cartes météo sont manipulées pour faire peur est une rhétorique récurrente, et de nombreux médias ont déjà décortiqué la fabrication des cartes de prévision météo. L’équipe des Vérificateurs, le service de fact-checking de TF1, a déjà publié plusieurs articles sur le sujet (figure 2). Guillaume Woznica, présentateur météo à LCI, explique à TF1 : « Les couleurs représentent l’écart à la norme : plus les températures sont au-dessus des normales, plus la carte devient rouge. » La même explication est donnée par Christophe Person, chef du service météo de BFM TV, à l’AFP cité par le Parisien : « Plus on est haut par rapport à la normale, plus la carte vire au rouge, et plus on est en-dessous, plus la carte vire au bleu. On peut avoir du rouge en décembre, quand on est au-dessus des moyennes. »

La couleur des cartes est donc fonction de l’écart à la normale de saison. Mais que sont ces normales climatiques ? Dans la revue La Météorologie, la direction de la climatologie et des services climatiques de Météo France explique que les normales représentent le climat (pluviométrie, température, vent, etc.) moyen sur une période de 30 ans.
Leur calcul est standardisé par des directives établies par l’Organisation météorologique mondiale. De nouvelles normales sont recalculées tous les 10 ans : les dernières normales 1991-2020 ont ainsi succédé à celles couvrant la période 1981-2010. Ces climats moyens sont évalués à l’échelle annuelle, mais aussi mois par mois. La figure 3 montre les normales en France au mois de juin, sur la période 1991-2020. Ainsi, si la température maximale prévue à Toulouse s’élève à 38°C en juin, l’écart est important avec la normale qui est de 25,7°C. La couleur sera donc dans les tons rouges. De façon assez standard, le rouge représente en effet le chaud et le bleu représente le froid, comme sur les mitigeurs des robinets par exemple.

D’après le bilan climatique établi par Météo France, juin 2025 est le deuxième mois de juin le plus chaud jamais enregistré (depuis 1947), et des villes (dont Toulouse) ont connu un nombre record de jours de très fortes chaleurs (soit une température maximale dépassant 35°C). Météo France observe une tendance à l’augmentation du nombre de nuits tropicales (où la température minimale reste supérieure à 20°C) et de fortes chaleurs dans le Sud de la France, comme le montre la figure 4. Ces températures anormalement élevées expliquent les couleurs rouge écarlate des cartes de prévision météo en juin dernier, et non une manipulation comme le suggère Hermel.

En raison du réchauffement du climat, les températures moyennes en France augmentent (figure 5). Si les normales n’étaient pas actualisées chaque décennie, les écarts se creuseraient encore plus. Cela contredit complètement l’affirmation d’Hermel. Le GIEC indique sans équivoque que cette hausse des températures est dûe aux activités humaines[3].

D’AUTRES CHAÎNES ILLUSTRENT LA VALEUR ABSOLUE DES TEMPÉRATURES PRÉVUES
Mais toutes les chaînes de télévision ne représentent pas cet écart à la normale dans leurs cartes de prévision. Chez France Télévision, la palette de couleurs est uniquement basée sur la température prévue, peu importe les normales, comme l’explique Le Parisien. Par exemple, sur la carte en haut à droite de la figure 6, on observe que les zones où la température prévue est de 26°C sont toutes de la même couleur, comme à Nice et Le Mans. Pourtant, les normales de saison sont différentes entre ces deux villes : la palette de couleurs de France Télévision ne tient pas compte des normales de saison. Les échelles de couleurs varient selon les saisons : hiver, été, et printemps et automne, comme l’écrit le Parisien.

Enfin, Météo France précisait à France Info que « les chaînes sont libres de choisir leur propre échelle de couleur. » On peut donc avoir une palette qui varie du bleu pastel au marron clair sur une chaîne, ou du bleu outre-mer au bordeaux sur une autre. Peu importe la couleur choisir, les chiffres parlent d’eux-mêmes : les données montrent une tendance claire au réchauffement global.
CONCLUSION
Les cartes de prévision météo intègrent une palette de couleur propre à chaque chaine. Grâce à la palette de couleur, TF1 et BFM TV représentent l’écart à la température moyenne au cours des 30 dernières années, appelée ‘normale’. D’autres chaînes comme France Télévision font varier la couleur en fonction de la valeur absolue de la température prévue. Si des couleurs très foncées sont régulièrement observées dans les prévisions météo, c’est que l’impact du changement climatique est déjà visible en France.
RÉFÉRENCES
- 1 – IPCC (2022) 6ème rapport de synthèse. Chapter 11: Weather and Climate Extreme Events in a Changing Climate
- 2 – IPCC (2023) 6ème rapport de synthèse. Chapter 13: Europe | Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability
- 3 – IPCC (2022) 6ème rapport de synthèse. Chapter 3: Human Influence on the Climate System