- Climat
En raison du changement climatique, la banquise arctique devient plus jeune, plus mobile et significativement moins étendue tout au long de l’année
À RETENIR
Bien que l’étendue de la banquise arctique n’ait pas diminué à un rythme constant depuis 1979, les fluctuations à court terme n’invalident pas la tendance générale à la baisse. En septembre 2024, l’étendue de la banquise arctique atteint 4,4 millions de km2, contre 6,5 millions de km2 en moyenne pour la période 1981-2010. Depuis 1979, l’étendue de la banquise arctique diminue de façon significative en raison de la hausse des températures due aux rejets de gaz à effet de serre par les activités humaines, comme l’établissent de nombreuses études. Les fluctuations à court-terme témoignent de l’influence de la variabilité naturelle du climat et des rétroactions internes sur la banquise et expliquent la relative stabilité de la banquise depuis environ 15 ans. Depuis plusieurs décennies, la banquise arctique devient plus jeune, moins épaisse, plus mobile et moins étendue tout au long de l’année : toutes ces observations confirment l’impact de l’augmentation des températures sur la banquise arctique sans aucune ambiguïté.
ÉLÉMENT ANALYSÉ
Verdict :
Affirmation :
DÉTAIL DU VERDICT
Trompeur :
La stabilité de l’extension de la banquise arctique observée ces dernières années ne remet pas en cause la tendance long-terme à la baisse, liée au changement climatique.
AFFIRMATION COMPLÈTE
“Nous voilà fin septembre 2024, c’est-à-dire juste après le franchissement annuel du minimum saisonnier. Bilan : celui-ci nous donne à voir une extension confortablement supérieure à 4 millions de kilomètres carrés […] Le fait est que la baisse progressive observée entre la fin des années 1990 et le début des années 2010 ne s’est pas prolongée par la suite. Depuis maintenant plus de dix ans, en effet, le minimum estival d’extension de la banquise arctique demeure à peu près stable […].”
Vérification
Un article intitulé “Cette banquise qui refuse toujours de fondre !” publié le 1er octobre dans Le Club du magazine Valeurs Actuelles est trompeur, comme nous le montrons dans cette vérification. Son auteur, Benoît Rittaud, est maître de conférences en mathématiques – et non climatologue. Il est également président d’une association qui nie le consensus scientifique concernant l’origine anthropique du réchauffement climatique actuel et ses conséquences. Il y publie de nombreux articles qui rejettent la réalité du rôle des activités humaines sur le climat, comme cet article titré “Climat : une nouvelle publication scientifique innocente le CO2”.
Rittaud y affirme que l’extension de la banquise arctique est “confortablement supérieure à 4 millions de kilomètres carrés” pour nier les conséquences du changement climatique en cours. Ses propos contredisent la science du climat : si son étendue dépasse en effet 4 millions de km2 en septembre 2024, cela ne remet pas en question la compréhension de la fonte de la banquise causée par le réchauffement climatique. Cette superficie est la 6ème plus faible mesurée depuis 46 ans. La banquise (aussi appelée glace de mer) arctique subit de nombreuses modifications en raison du changement climatique lié aux activités humaines. Le Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (GIEC) écrit dans son dernier rapport[1]:
La diminution observée de l’étendue de la banquise arctique est un indicateur-clé du changement climatique à grande échelle.
L’ÉTENDUE DE LA BANQUISE ARCTIQUE EN SEPTEMBRE DIMINUE DE 12,1% PAR DÉCENNIE
L’étendue de la banquise arctique est mesurée par satellite depuis fin 1978. Elle croît et décroît au fil des saisons, fondant de mars à septembre et se reformant pendant les mois froids de l’hiver. Les scientifiques étudient l’étendue minimale annuelle de la glace de mer arctique car elle fournit des informations essentielles sur son cycle saisonnier et sa réaction aux changements environnementaux. Cette mesure, effectuée à la fin de la saison de fonte estivale, indique la quantité de glace de mer restante. L’épaisseur et l’âge de la glace de mer sont aussi des indicateurs importants de la fonte, dont nous parlerons plus tard.
En septembre 2024, la banquise arctique s’étend sur 4,38 millions de km2 d’après le Centre national de données sur la neige et la glace rattaché à l’Université du Colorado Boulder. Cette superficie est faible et non “confortable” comme l’affirme Rittaud (voir figure 1) : en septembre, la banquise arctique enregistre une diminution de 12,1 % de sa superficie par décennie par rapport à la moyenne des mois de septembre entre 1981 et 2010. Le Centre national de données sur la neige et la glace constate que “sur la base de la tendance linéaire observée, le mois de septembre a perdu 1,61 millions de km2 de banquise depuis 1979, soit l’équivalent de la superficie de l’Alaska ou de l’Iran.”
L’évolution récente de la banquise arctique est claire et sans ambiguïté, comme l’écrit le Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique dans son dernier rapport[1]:“La superficie de la banquise arctique a diminué chaque mois de l’année de 1979 à aujourd’hui, avec un niveau de confiance très élevé (voir figure 2). Les pertes absolues et relatives de glace sont les plus importantes à la fin de l’été-début de l’automne (degré de confiance élevé).” Des reconstructions permettent également d’affirmer, avec un haut niveau de confiance, que la superficie de la banquise à l’été 2012 était la plus faible depuis 1850. Des études suggèrent que la superficie récente de la banquise pourrait même être la plus faible depuis 1000 ans[1].
Les causes de cette diminution sont clairement documentées dans la littérature scientifique. Sur le long-terme, la baisse de l’étendue de la banquise arctique est corrélée de façon linéaire avec la hausse des températures globales moyennes, la concentration en CO2 atmosphérique et les émissions cumulées de CO2 liées aux activités humaines[2-5]. Le nombre d’études le démontrant est important, de telle sorte que le GIEC[6] écrit : “Nous concluons qu’il est très probable que le forçage anthropique [ndlr : c’est-à-dire l’influence des activités humaines sur les phénomènes climatiques] dû principalement à l’augmentation des gaz à effet de serre soit le facteur principal de la diminution de la banquise arctique depuis 1979. » Contrairement à ce que sous-entend de façon trompeuse Benoît Rittaud, les activités humaines contribuent à la diminution de la banquise en Arctique.
LES FLUCTUATIONS COURT-TERME TÉMOIGNENT DE LA VARIABILITÉ NATURELLE DU CLIMAT
Rittaud pointe également que “la baisse progressive observée entre la fin des années 1990 et le début des années 2010 ne s’est pas prolongée par la suite” et insiste sur la stabilité de l’extension de la banquise arctique lors de son minimum estival depuis plus de 10 ans. Science Feedback a déjà à plusieurs reprises commenté ces données sur laquelle les négateurs du changement climatique insistent de façon trompeuse.
Bien que l’étendue de la banquise arctique n’ait pas diminué à un rythme constant entre 1979 et 2007, les fluctuations à court terme n’invalident pas la tendance générale à la baisse (voir la ligne grise dans la figure 3). Les 17 dernières étendues minimales annuelles de la banquise arctique sont les plus faibles jamais enregistrées par satellite et la perte de glace de mer arctique estivale depuis 1979 est sans précédent depuis 150 ans, d’après les reconstructions historiques[7] et plus de 1 000 ans de données paléoclimatiques[8-10].
Alors que le changement climatique lié aux activités humaines explique la diminution observée de la banquise à long-terme (comme nous l’avons expliqué auparavant), les variations court-terme s’expliquent par des facteurs naturels. En 2011, des scientifiques montrent que le déclin observé s’explique pour moitié par les activités humaines, et pour l’autre moitié par la variabilité naturelle du climat, comme la variation des vents ou de la circulation atmosphérique[11]. L’équipe montre qu’il est possible d’observer des périodes d’extension de la banquise malgré le changement climatique d’origine anthropique. D’autres équipes ont depuis montré les effets importants de la variabilité naturelle du climat sur l’extension de la banquise arctique[12-15]. Le GIEC[1] résume :
Les fluctuations et les tendances observées de la couverture de glace de mer arctique résultent d’une combinaison de changements dans le forçage externe naturel et le forçage anthropique, la variabilité interne et les rétroactions internes.
Dans un article publié par le Centre national de données sur la neige et la glace, Walt Meier, chercheur spécialiste de la banquise arctique, indique : “La variabilité naturelle a des effets plus importants sur de petites échelles de temps. Elle joue principalement un rôle sur une période d’environ 10 à 15 ans.” Sur la figure 3, on peut en effet observer des variations sur de telles périodes d’environ 15 ans (les courbes rouge, bleu et verte), la courbe grise représentant la tendance long-terme marquée par les effets du changement climatique d’origine anthropique.
Walt Meier propose une explication complémentaire : « On pourrait dire que la variabilité naturelle a probablement contribué à accélérer la perte de 1993 à 2006. Cependant, il y a probablement aussi un effet de la glace elle-même. La perte de banquise arctique a été si importante entre 1993 et 2006 qu’après cette période, la glace de mer estivale survivante se trouvait beaucoup plus au nord, où des conditions plus froides, moins de lumière et une glace pluriannuelle généralement plus épaisse rendent la glace survivante plus résistante à la fonte. Cette situation pourrait changer une fois que les températures auront suffisamment augmenté pour que la fonte de cette couche de glace plus épaisse et plus septentrionale reprenne. » La période récente marquée par une stabilisation de l’extension de la banquise (courbe verte sur la figure 3) ne témoigne donc pas d’une absence d’effet du réchauffement climatique actuel sur la banquise arctique comme le suggère Rittaud.
LA BANQUISE DEVIENT PLUS JEUNE, MOINS ÉPAISSE, PLUS MOBILE ET MOINS ÉTENDUE EN RAISON DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
La région Arctique se réchauffe en effet à un rythme plus rapide que le reste du globe comme le montre la figure 4, et de nombreux autres indicateurs témoignent de l’influence du changement climatique d’origine anthropique sur la banquise arctique.
On observe que le calendrier de la saison de fonte a changé, la glace fondant plus tôt au printemps et gelant plus tard à l’automne[16]. Autre conséquence du changement climatique sur la banquise : la quantité de glace de mer âgée de plusieurs années diminue. En particulier, alors qu’elle représentait 33% de la banquise arctique en mars 1985, la glace âgée de plus de 4 ans ne représente plus que 1,2% de la banquise en mars 2019[17]. D’après le dernier rapport du GIEC, cette disparition de la glace ancienne révèle un amincissement global de la banquise[18] : le 5ème rapport du GIEC notait que l’épaisseur moyenne hivernale est passée de 3,6 m en 1980 à 1,8 m en 2008 (la diminution est estimée à -1,3 à -2,3m)[19]. En conséquence, là où l’épaisseur de glace a diminué, la vitesse de dérive de la banquise a elle augmenté. Pour résumer, la banquise arctique devient plus jeune, moins épaisse, plus mobile, moins étendue tout au long de l’année[20] : toutes ces observations confirment l’impact de l’augmentation des températures sur la banquise arctique sans aucune ambiguïté.
Enfin, les projections indiquent que la tendance va se poursuivre. Le GIEC écrit dans son dernier rapport[1] :
L’Océan Arctique deviendra probablement exempt de glace de mer – soit une superficie de la banquise inférieure à un million de km2 – pendant le minimum saisonnier de glace de mer pour la première fois avant 2050 dans tous les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre.
Une certaine quantité de banquise pourrait persister à l’avenir, dans les régions les plus propices. À nouveau, cela ne signifierait pas que le changement climatique n’influence pas la banquise arctique.
CONCLUSION
En septembre 2024, l’étendue de la banquise arctique est faible : elle atteint 4,4 millions de km2, contre 6,5 millions de km2 en moyenne pour la période 1981-2010. Depuis 1979, l’étendue de la banquise arctique diminue de façon significative en raison de la hausse des températures dûe aux rejets de gaz à effet de serre par les activités humaines. De nombreuses études établissent une corrélation nette entre la fonte de la banquise arctique et la hausse de la concentration atmosphérique en CO2. Les fluctuations à court-terme, de l’ordre de 10 à 15 ans, témoignent de l’influence de la variabilité naturelle du climat et des rétroactions internes sur la banquise. Elles expliquent la relative stabilité de la banquise depuis environ 15 ans. Depuis plusieurs décennies, les scientifiques observent que la banquise arctique devient plus jeune, moins épaisse, plus mobile et moins étendue tout au long de l’année : toutes ces observations confirment l’impact de l’augmentation des températures sur la banquise arctique sans aucune ambiguïté.
RÉFÉRENCES
- 1 – IPCC (2021) Ocean, Cryosphere and Sea Level Change. In Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change.
- 2 – Niederdrenk & Notz (2018) Arctic Sea Ice in a 1.5°C Warmer World – Niederdrenk. Geophysical Research Letters.
- 3 – Gregory et al. (2002) Recent and future changes in Arctic sea ice simulated by the HadCM3 AOGCM. Geophysical Research Letters.
- 4 – Rosenblum et al. (2017) Sea Ice Trends in Climate Models Only Accurate in Runs with Biased Global Warming. Journal of climate.
- 5 – Notz & Stroeve (2016) Observed Arctic sea-ice loss directly follows anthropogenic CO2 emission. Science.
- 6 – IPCC (2021) Human Influence on the Climate System. In Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change.
- 7 – Walsh et al. (2017) A database for depicting Arctic sea ice variations back to 1850. Geographical Review.
- 8 – Polyak et al. (2010) History of sea ice in the Arctic. Quaternary Science Reviews.
- 9 – Kinnard et al. (2011) Reconstructed changes in Arctic sea ice over the past 1,450 years. Nature.
- 10 – Halfar et al. (2013) Arctic sea-ice decline archived by multicentury annual-resolution record from crustose coralline algal proxy. Proceedings of the National Academy of Sciences.
- 11 – Kay et al. (2011) Inter‐annual to multi‐decadal Arctic sea ice extent trends in a warming world. Geophysical Research Letters
- 12 – Ding et al. (2017) Influence of high-latitude atmospheric circulation changes on summertime Arctic sea ice. Nature Climate Change
- 13 – Ding et al. (2018) Fingerprints of internal drivers of Arctic sea ice loss in observations and model simulations. Nature Geoscience
- 14 – Notz & Stroeve (2018) The Trajectory Towards a Seasonally Ice-Free Arctic Ocean. Current Climate Change Reports.
- 15 – Halloran et al (2020) Natural drivers of multidecadal Arctic sea ice variability over the last millennium. Scientific Reports.
- 16 – Stroeve et al. (2014) Changes in Arctic melt season and implications for sea ice loss. Geophysical Research Letters.
- 17 – Blunden et al. (2020) State of the Climate in 2019. Bulletin of the American Meteorological Society.
- 18 – Tschudi et al. (2016) Relating the Age of Arctic Sea Ice to its Thickness, as Measured during NASA’s ICESat and IceBridge Campaigns. Remote Sensing.
- 19 – IPCC (2013) Observations: Cryosphere. In: Climate Change 2013: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change.20 – IPCC (2021) Changing State of the Climate System. In Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change.