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La pollution existe, contrairement à l’affirmation de Mathieu Kassovitz; elle est une cause majeure de déclin de la biodiversité et de dégradation de la santé humaine

Posté le : 18 Oct 2024

À RETENIR

La pollution est définie comme la présence de substances dans l’environnement dont la nature, l’emplacement ou la quantité produisent des effets environnementaux indésirables. Ces effets indésirables sont clairement et largement documentés par la littérature scientifique : les écosystèmes sont affectés par la pollution, troisième cause du déclin brutal de la biodiversité. La pollution de l’air est le premier facteur de risque pour la santé humaine à l’échelle mondiale. Certains polluants, comme le plastique, ne sont pas biodégradés et s’accumulent dans tous les compartiments de la planète : atmosphère, eau, sol, glace, organismes vivants. 

ÉLÉMENT ANALYSÉ

Inexact

La pollution n’existe pas.

Source : Mathieu Kassovitz, 30 Sep 2024

DÉTAIL DU VERDICT

Factuellement faux :

Les preuves scientifiques de l’existence de la pollution sont très nombreuses. De multiples polluants (pesticides, particules fines, plastiques etc.) affectent les écosystèmes et la santé humaine.

Trompeur :

Pour Kassovitz, si les matériaux ne viennent pas d’un autre monde, la Terre va pouvoir les assimiler. C’est faux : dans l’environnement, le plastique se fragmente mais n’est pas biodégradé, il persiste et s’accumule dans tous les compartiments de la planète (sol, eau, atmosphère, glace, organismes vivants).

AFFIRMATION COMPLÈTE

« Je pense que la pollution n’existe pas.  […] La pollution est le résultat de l’activité humaine, mais nous ne travaillons qu’avec les outils de la terre, faire du plastique se fait avec les outils de la Terre. Il n’y a rien qui vient d’un autre monde. La pollution que nous créons c’est notre pollution, la Terre va l’assimiler sans problème. « 

Vérification

Le 30 septembre dans l’émission Zoom zoom zen sur France Inter, l’acteur Mathieu Kassovitz affirme que “la pollution n’existe pas”. S’il reconnaît que “nous sommes les pollueurs”, il assène que nous devons simplement “apprendre à vivre avec cette pollution”. Les propos de l’acteur – non démentis par le présentateur Matthieu Noël – ont fait l’objet de vives réactions des auditeurs comme le souligne la médiatrice de Radio France le 3 octobre. L’association Quota Climat, qui défend un traitement médiatique à la hauteur de la crise écologique, a annoncé sur X avoir saisi l’Arcom (l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) pour “manque d’honnêteté et de rigueur de l’information”. Les propos tenus par l’acteur sont factuellement faux : la pollution existe, les effets délétères de nombreuses substances sur les organismes vivants sont documentés par la science, sans aucune ambiguïté.

Frédéric Gimbert, chercheur en écotoxicologie au laboratoire Chrono-environnement de l’Université de Franche-Comté, commente auprès de Science Feedback : 

On ne peut pas dire que la pollution n’existe pas. On a même inventé une science multidisciplinaire, l’écotoxicologie, pour “étudier les effets délétères des agents chimiques, physiques et biologiques – plastique, métaux lourds, pesticides, particules fines, etc. – sur l’ensemble des êtres vivants, ainsi que leurs inter-relations au sein des communautés et leur interaction avec l’environnement.

Des scientifiques du Groupement de recherche (GDR) Plastiques, Environnement, Santé répondent eux aussi :

Les preuves scientifiques de l’existence de la pollution sont innombrables et font depuis fort longtemps consensus dans la communauté scientifique internationale.

LA POLLUTION DE L’AIR EST LE PREMIER FACTEUR DE RISQUE POUR LA SANTÉ HUMAINE GLOBALE

Selon les Nations Unies, la pollution est définie comme “la présence de substances e dans l’environnement (air, eau, terre) dont la nature, l’emplacement ou la quantité produisent des effets environnementaux indésirables.” Ces substances peuvent être d’origine naturelle – particules et gaz émis lors des feux de forêts ou des éruptions volcaniques – ou liées aux activités humaines – épandage de pesticides, particules et gaz émis par les véhicules thermiques, rejets de l’industrie ou d’exploitation minière, etc. 

Il faut distinguer deux termes : la contamination, définie comme la présence d’une substance là où elle ne devrait normalement pas se trouver ou à des concentrations supérieures au niveau naturel; et la pollution, qui correspond à une contamination provoquant des effets biologiques néfastes dans l’environnement, pointe Frédéric Gimbert. En effet, les substances introduites dans l’environnement ou rendues disponibles du fait des activités humaines peuvent être plus ou moins biodisponibles pour les organismes.” Des scientifiques du GDR Plastiques, Environnement, Santé, ajoutent auprès de Science Feedback : “Une pollution correspond à une contamination qui a significativement dégradé le milieu, ou autrement dit qui a un impact négatif mesurable sur ce dernier.” Pour prouver l’existence de la pollution, la méthode consiste à réaliser des enquêtes basées sur les preuves : elles reposent sur un corpus de mesures chimiques, biologiques, d’enquêtes environnementales basées sur des analyses en laboratoire et de terrain et d’observations[1]. Plus le nombre d’éléments de l’enquête convergent vers un effet, plus la pollution est avérée.

En 2023, une équipe de recherche synthétise l’impact des activités humaines sur la planète sous le concept des “limites planétaires”[2] : leur dépassement provoque des modifications brutales et irréversibles des équilibres naturels. Parmi les neufs limites identifiées, six sont dépassées (voir figure 1), dont celle des “nouvelles entités” en raison de leurs retombées sur l’environnement mais aussi de leur impact sur les autres limites planétaires. Ces nouvelles entités incluent les substances et produits chimiques de synthèse (microplastiques, perturbateurs endocriniens, polluants organiques, etc.), les matériaux radioactifs mobilisés par les activités humaines (déchets et armes nucléaires) et les organismes génétiquement modifiés. 

Figure 1 – Six des neuf limites planétaires sont dépassées en raison des activités humaines. Les substances de synthèse produites par l’humanité (“novel entities”) sont concernées. L’appauvrissement de l’ozone stratosphérique et les rejets d’aérosols dans l’atmosphère, qui sont également des pollutions, se situent sous le seuil de sécurité. Source : Richardson (2023) [2]

Une myriade d’effets néfastes démontrant l’existence de la pollution ont été mis en évidence. Concernant la santé humaine, le constat est sans appel. Le “Global burden disease”, une étude épidémiologique de référence publiée par The Lancet, établit dans sa dernière édition en 2024 une liste de 88 facteurs de risques pour la santé humaine[3]. En 2021, la pollution de l’air aux particules fines est le premier facteur de risque identifié, devant l’hypertension et le tabagisme. D’après l’estimation de l’Organisation mondiale de la santé, les effets combinés de la pollution de l’air ambiant et intérieur sont associés à 6,7 millions de décès prématurés par an, particulièrement en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique occidental. En cause ? Elle augmente les risques de pathologies respiratoires, cardiovasculaires, du système reproducteur, etc. (voir figure 2).

Figure 2 – La pollution de l’air, premier facteur de risque pour la santé humaine dans le monde, augmente le risque de nombreuses pathologies et affecte les écosystèmes. Source : Atmo Auvergne Rhône-Alpes.

Les populations sont exposées à la pollution présente dans l’air, mais aussi l’eau et les sols. Une fois ingérés ou inhalés, les polluants interfèrent avec les fonctions biologiques du corps humain à court et/ou long-terme. De nombreux effets ont été documentés par la littérature scientifique, et nous n’en présenterons qu’une liste partielle. Comme le synthétise une équipe de recherche en 2023[4], la pollution environnementale affecte le système respiratoire, la reproduction et la santé prénatale, la santé cérébrale, le système cardiovasculaire et provoque des cancers. Les polluants les plus fréquemment à l’origine de ces troubles sont les métaux lourds, les particules, les pesticides, les plastiques et les additifs de plastiques. Pneumonies, infertilité, cancer du sein, tumeur du système nerveux central ou encore hypertension sont quelques-uns des nombreux effets documentés de la pollution sur la santé humaine, comme le synthétise le tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1 – Synthèse des effets de polluants majeurs sur la santé humaine, tels que documentés par les études scientifiques. Source : Shetty (2023)[4]

LA POLLUTION EST LA TROISIÈME CAUSE DE LA CHUTE DE LA BIODIVERSITÉ

La pollution est également la troisième cause de la chute de la biodiversité (c’est-à-dire de la diminution du nombre d’individus et d’espèces) observée actuellement à travers le monde, derrière les changements d’usage des terres et l’exploitation des ressources naturelles[5]. Comme les humains, l’ensemble des organismes vivants sont affectés par les polluants à leur contact. Frédéric Gimbert répond à Science Feedback : “Malheureusement les exemples sont nombreux au cours des dernières décennies. Dans les années 50, au lac Clear en Californie[6], une population de milliers d’oiseaux aquatiques (des grèbes élégants) a été totalement décimée en l’espace de quelques années suite à l’application d’un pesticide, le DDD. Des phénomènes similaires de disparition d’espèces au sommet des réseaux alimentaires ont été enregistrés dans les écosystèmes terrestres d’Amérique du Nord et d’Europe : de graves déclins de populations d’oiseaux et d’un certain nombre d’espèces de rapaces (comme l’épervier d’Europe) ont été associés à l’utilisation d’insecticides organochlorés dans l’agriculture.

Ici encore, impossible de lister de façon exhaustive les preuves établies de l’existence de la pollution et de ses effets sur les écosystèmes, mais nous en présentons quelques-unes (voir également figure 2). La pollution atmosphérique à l’ozone provoque des dommages aux feuilles, diminue la croissance des arbres matures ou encore modifie la composition des espèces des forêts[7]. La pollution de l’air affecte également la pollinisation, une fonction écologique cruciale qui garantit la reproduction de la végétation[8]. Les produits phytopharmaceutiques (herbicides, fongicides et insecticides utilisés pour la protection des cultures et des jardins) affectent de façon directe et indirecte les écosystèmes, sont fortement suspectés de contribuer au large déclin des populations de chauve-souris et d’amphibiens et dégradent la capacité des écosystèmes à fournir des services aux populations[9]

Ces effets négatifs de la pollution sont d’une grande ampleur, notamment en raison de l’étendue de la pollution. Plusieurs indicateurs témoignent de la pénétration des polluants dans tous les compartiments de la planète. Par exemple, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) indique que la quasi-totalité des pays membres dépassent le seuil sanitaire de l’OMS d’exposition aux particules fines. En 2020, 152 millions de tonnes de plastiques sont accumulés dans les environnements aquatiques, et il est estimé que ce chiffre pourrait doubler d’ici 2040. Les produits phytopharmaceutiques sont présents dans toutes les matrices (sol, air, eau, sédiments, organismes vivants) et de façon ubiquiste en raison des processus de transfert et de leur persistance[9]. Dans une analyse portant sur 258 rivières dans 104 pays, toutes les rivières sont contaminées par des résidus médicamenteux et un quart des sites échantillonnés présentent des niveaux de pollution potentiellement dangereux pour la biodiversité aquatique[10]

Ce recueil non exhaustif d’études scientifiques montre sans équivoque l’existence et la presque omniprésence de la pollution sur la planète, contrairement à ce qu’affirme Mathieu Kassovitz. Des scientifiques du GDR Plastiques, environnement, santé concluent : “Le très grand nombre d’études scientifiques démontrant que la pollution affecte l’équilibre des écosystèmes terrestres et aquatiques ainsi que la santé de la faune et de la flore parle de lui-même.”

LES PARTICULES DE PLASTIQUE PERSISTENT ET S’ACCUMULENT PARTOUT

Enfin, l’acteur assène que “nous ne travaillons qu’avec les outils de la Terre, […] il n’y a rien qui vienne d’un autre monde”, pour argumenter du fait que “la Terre va assimiler [la pollution] sans problème.” Là encore, ces propos sont trompeurs et de nombreuses études montrent la persistance de polluants dans les différents compartiments terrestres.

Le développement des sociétés humaines a toujours été basé sur l’utilisation de ressources naturelles. Par exemple, l’exploitation de ressources minérales via des activités minières, poursuit Frédéric Gimbert. Ces activités ont produit des déchets qui concentrent certains éléments comme l’arsenic, le cadmium ou le plomb. Bien que naturellement présents dans la croûte terrestre, ces métaux s’accumulent et peuvent devenir des pollutions.” Mentionnons également les catastrophes nucléaires, les marées noires, les pollutions massives comme celle au chlordécone. Il est trompeur d’affirmer que, comme les substances sont naturellement présentes sur Terre, elles ne sont pas un problème.

Prenons l’exemple du plastique, un polluant cité par l’acteur pour appuyer son argumentaire. Le plastique est fabriqué à partir d’éléments effectivement présents sur notre planète. “Environ 95% des plastiques sont produits à partir de pétrole, un produit naturel issu de la transformation de la matière organique enfouie pendant des dizaines voire des centaines de millions d’années”, indiquent à Science Feedback des scientifiques du GDR Plastiques, environnement, santé. Le plastique est une substance de synthèse, c’est-à-dire fabriquée par les humains grâce à des réactions chimiques. De nombreux additifs sont ajoutés au pétrole pour donner des propriétés spécifiques aux plastiques, par exemple une grande résistance. “On évalue à environ 16 000 le nombre de produits chimiques associés aux plastiques”, précise les scientifiques du GDR Plastiques, environnement, santé.

Fabriqué à partir d’éléments terrestres, le plastique n’est pas pour autant facilement “assimilé par la Terre”. Les polluants chimiques sont composés à base d’atomes présents sur terre (C, H, O, N, etc.) mais les molécules produites (PCB, bisphenol) n’existent pas à l’état naturel. “L’assimilation ne correspond à aucun processus géologique ou biologique, on peut toutefois imaginer que le processus qui s’en rapproche le plus est la biodégradation, commente les scientifiques du GDR Plastiques, environnement, santé. Ce processus – qui fait intervenir différents organismes – conduit à la dégradation des végétaux ou des cadavres animaux, il permet la minéralisation et le retour à l’environnement d’éléments comme le CO2, l’azote, le phosphore, etc. Malheureusement, l’immense majorité – environ 99% – des plastiques n’est pas du tout biodégradable.” 

Dans l’environnement, le plastique subit des transformations qui dépendent du type de plastique, des milieux dans lesquels il séjourne et des conditions environnementales. Sous l’effet des rayons du Soleil et/ou du vent ou de la houle, le plastique se fragmente en microplastiques et nanoplastiques. Les taux de dégradation estimés varient dans la littérature, de quelques années à “pour toujours” (voir figure 3)[11]. Mais même réduit à des particules de petite taille, qui sont colonisées par des microorganismes comme des bactéries, le plastique persiste dans l’environnement, et il n’existe toujours pas actuellement de preuves directes de la biodégradation des plastiques en milieu marin.”   

Figure 3 –  La durée de persistance de différents plastiques dans l’environnement varie selon les études, comme le montre cette synthèse de 57 études et documents. Les points rouges représentent les durées moyennes synthétisées par les auteurs. Source : Ward et Reddy (2020)[11]

Résultat : le plastique s’accumule dans l’environnement. La production annuelle s’élève aujourd’hui à environ 400 millions de tonnes par an[12], dont plus de 40% sont des emballages. Au total, il est estimé que 3% des emballages sont émis dans les océans chaque année (soit environ 5 millions de tonnes) et environ 30% (soit plus de 40 millions de tonnes) se retrouvent dans l’environnement en raison de défauts de la gestion des déchets[13]. “Cette accumulation dont l’évolution temporelle suit celle de la production de plastique a conduit à des rejets cumulés massifs rapportés par d’innombrables articles scientifiques”, ajoutent les scientifiques du GDR Plastiques, environnement, santé. Le plastique s’accumule de façon difficilement réversible à travers le monde[14] :

  • dans les sols en raison des déchets, des émissions routières issues notamment des pneus, des dépôts atmosphériques ou encore de l’usage de films plastiques en agriculture;
  • dans les océans en surface, dans toute la colonne d’eau et sur les fonds océaniques, en raison de l’accumulation des déchets.
  • dans les organismes vivants, qui ingèrent ou inhalent les petites particules de plastique.

La pollution est globale[15] : des particules de plastiques ont déjà été retrouvées dans la pluie[16], sur le mont Everest[17], dans l’eau potable[18], en Arctique[19], dans les coraux[20], mais aussi dans le placenta[21], les poumons[22] et le sang humain[23], le plancton[24], etc… Encore une fois, la liste n’est ici pas exhaustive. Les scientifiques sont même en mesure d’identifier les types de déchets plastiques rencontrés dans les différents environnements aquatiques à travers le monde[25], comme le montre la figure 4.

Figure 4 – Les dix déchets plastiques les plus retrouvés dans les environnements aquatiques, selon les pourcentages moyens par environnement. Source : Morales-Caselles (2021)[25]

Ce contaminant persistant peut bien, à nouveau, être qualifié de polluant en raison des effets néfastes sur les écosystèmes. En 2020, une équipe synthétise les études existantes dans une méta-analyse[26]. Les auteurs concluent : “Aujourd’hui, il existe des preuves accablantes des effets néfastes des macroplastiques sur les individus, ainsi que des preuves irréfutables des effets sur les populations, les communautés et les écosystèmes. En tant que tel, le poids actuel des preuves est suffisant pour motiver une réponse immédiate en matière de conservation pour les populations et les espèces affectées”. Les macroplastiques peuvent obstruer le système digestif, comme observé chez les oiseaux et les mammifères marins. “L’ingestion des micro- et nanoplastiques a été mise en évidence pour toutes les espèces testées en laboratoire, et chez au moins 70% des poissons sauvages[27]”, précisent les scientifiques du GDR Plastiques, environnement, santé. S’ils sont souvent éliminés avec les fèces, il peut y avoir une accumulation et rétention plus ou moins longue des microplastiques et même un simple transit a des répercussions néfastes pour l’organisme[28].” Les nanoplastiques peuvent migrer dans le système circulatoire des organismes qui les ont ingérés, affectant leur croissance, leurs défenses immunitaires et leur reproduction. Les particules de plastique peuvent servir de vecteurs à d’autres contaminants environnementaux, chimiques comme les métaux ou les polluants organiques ou biologiques comme certains virus ou bactéries[29]. Les humains ingèrent le plastique par l’alimentation (coquillages, poissons, sel, bière, sucre, miel), l’eau, ou par inhalation. “Leur persistance dans les écosystèmes, leur fragmentation progressive en particules de plus en plus petites et leur capacité d’adsorption ou relargage de substances chimiques en font une des pollutions majeures des prochaines décennies”, conclut Frédéric Gimbert.

CONCLUSION

La pollution, définie comme la présence de substances produisant des effets environnementaux indésirables, existe. De nombreuses études scientifiques démontrent les retombées de divers polluants sur la biodiversité et les humains. La pollution est la troisième cause du déclin brutal de la biodiversité, et la pollution de l’air est le premier facteur de risque pour la santé humaine. Les substances polluantes sont omniprésentes sur Terre : on les retrouve dans les eaux, les sols, l’atmosphère, les végétaux, la glace, les animaux, les humains… Un polluant comme le plastique se fragmente mais n’est pas biodégradé : il s’accumule depuis des décennies sur toute la planète, au détriment des écosystèmes.

Feedback des scientifiques

Frédéric Gimbert member picture

Frédéric Gimbert

Maitre de conférences, Laboratoire Chrono-environnement Université de Franche-Comté

SF : Comment est définie la pollution ? Sur quelle référence scientifique s’appuyer pour sa définition ?

FG : En fait, il faut distinguer deux termes. La contamination, définie comme la présence d’une substance là où elle ne devrait normalement pas se trouver, ou à des concentrations supérieures au niveau naturel) et la pollution, qui correspond à une contamination provoquant des effets biologiques néfastes dans l’environnement (voir par exemple Chapman (2007)[1]). Ainsi, tous les polluants sont des contaminants, mais tous les contaminants ne sont pas des polluants. En effet, les substances introduites dans l’environnement ou rendues disponibles du fait des activités humaines peuvent être plus ou moins biodisponibles pour les organismes (càd transférables) en fonction de leur forme chimique, du compartiment environnemental qu’elles contaminent, de facteurs environnementaux pouvant moduler l’exposition et des réactions (comportementales et écophysiologiques) des organismes exposés. Ainsi, les procédures actuelles d’évaluation des risques environnementaux combinent des approches chimiques, biologiques et écologiques (voir normes sur l’évaluation de la qualité des sols, ISO 17402, 2008 ; ou l’évaluation des risques TRIADE, ISO 19204, 2017).

ISO 17402:2008. Soil quality — Requirements and guidance for the selection and application of methods for the assessment of bioavailability of contaminants in soil and soil materials. International Organization for Standardization.

ISO 19204:2017. Soil quality — Procedure for site-specific ecological risk assessment of soil contamination (soil quality TRIAD approach). International Organization for Standardization.

SF : Peut-on affirmer que « la pollution n’existe pas » ? Quelles sont les preuves scientifiques de l’existence de la pollution ?

FG : Non, on ne peut pas dire que la pollution n’existe pas. On a même inventé une science multidisciplinaire pour « étudier les effets délétères des agents chimiques, physiques et biologiques sur l’ensemble des êtres vivants, ainsi que leurs interrelations au sein des communautés et leur interaction avec l’environnement ». Il s’agit de l’écotoxicologie, discipline que l’on doit d’ailleurs à des scientifiques français comme Jean-Michel Jouany, René Truhaut et François Ramade[30].

Parmi les 9 limites planétaires à ne pas dépasser sous peine de provoquer des modifications brutales et irréversibles des équilibres naturels, celle concernant l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère (c’est-à-dire toutes les substances chimiques ou biologiques susceptibles d’affecter les écosystèmes, les organismes vivants et la santé) a été largement dépassée[2]. La pollution est même devenue un des marqueurs d’une nouvelle époque géologique, caractérisée par la pression sans précédent que les humains exercent sur l’écosystème terrestre, l’Anthropocène.

SF : Pourriez-vous me citer quelques exemples de pollution qui font consensus parmi la communauté scientifique ?

FG : Malheureusement, les exemples sont nombreux au cours des dernières décennies. Dans les années 50, au lac Clear en Californie, une population de milliers d’oiseaux aquatiques piscivores (des grèbes élégants) a été totalement décimée en l’espace de quelques années suite à l’application d’un pesticide, le DDD (dichlorodiphenyldichloroéthane), pour éradiquer des moucherons, qui, bien que non piqueurs, gênaient les touristes. Les analyses ont démontré une bioamplification du DDD (augmentation croissante des concentrations dans la chaîne alimentaire) conduisant à une perturbation de la reproduction de ces oiseaux prédateurs. « Des phénomènes similaires de disparition d’espèces au sommet des réseaux alimentaires ont été enregistrés dans les écosystèmes terrestres d’Amérique du Nord et d’Europe : de graves déclins de populations d’oiseaux et d’un certain nombre d’espèces de rapaces (comme l’épervier d’Europe) ont été associés à l’utilisation d’insecticides organochlorés dans l’agriculture. Au cours de la même période, les maladies d’Itai-Itai (due au cadmium d’origine minière) et de Minamata (due au méthylmercure d’origine industrielle) ont bouleversé le monde et suscité l’inquiétude des scientifiques et des institutions de santé quant au devenir et aux effets à long terme des polluants persistants. 

Plus récemment, les résultats d’une expertise scientifique collective ont mis en évidence les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques[9]. Également dans l’actualité, les (micro)plastiques dont on trouve aujourd’hui la présence dans tous les compartiments de l’environnement. Leur persistance dans les écosystèmes, leur fragmentation progressive en particules de plus en plus petites et leurs capacités d’adsorption ou de relargage de substances chimiques en font une des pollutions majeures des prochaines décennies, y compris pour les écosystèmes terrestres[31].

SF : Il affirme que « comme nous ne travaillons qu’avec les outils de la Terre, la Terre peut assimiler sans problème la pollution ». Pourquoi certaines molécules naturelles peuvent-être définies comme des pollutions ? 

FG : Le développement des sociétés humaines a toujours été basé sur l’utilisation de ressources naturelles. Ainsi, l’exploitation de ressources minérales via des activités minières et sidérurgiques ont permis le développement de l’agriculture (fer, cuivre), du commerce (argent, or) et de l’industrie (titane, cobalt, lithium…). Mais dans le même temps, ces activités métallurgiques ont également produit des déchets (terrils miniers, scories, boues) qui concentrent certains éléments (comme l’arsenic, le cadmium ou le plomb) et sont généralement laissés à la surface du sol par exemple. Ces déchets ne sont pas inertes, ils s’altèrent avec le temps, relarguent leurs constituants et représentent toujours, des décennies, des siècles voire des millénaires plus tard, des sources de contamination environnementale[32]. Ainsi, bien que naturellement présents dans la croûte terrestre, ces métaux peuvent s’accumuler de manière anomalique dans l’environnement du fait des activités anthropiques, constituent alors des contaminations qui, si elles engendrent des effets toxiques, deviennent alors des pollutions. Si les éléments ainsi relargués ont retrouvé des formes chimiques élémentaires, ils ont également retrouvé un potentiel d’interaction (y compris toxique) avec les systèmes biologiques. Mais les échelles de temps sont importantes. Et actuellement, nous contaminons la Terre bien plus vite que ce qu’elle ne peut assimiler. 

SF : Quelle est la différence entre les molécules naturelles et synthétiques ?

FG : Une substance synthétique est une substance qui a été inventée, fabriquée par l’homme via des réactions de synthèse organique (càd chimiques). De nombreux principes actifs de pesticides ainsi que les polymères plastiques (polyéthylène, polystyrène, polyamide) sont aujourd’hui les grands exemples de contaminants et polluants synthétiques.

SF : En quoi les molécules synthétiques peuvent être des pollutions ? Comment sont-elles « assimilées par la Terre » ?
FG : Les substances synthétiques qui n’existent pas sous une forme naturelle dans l’environnement sont donc forcément des contaminants. Si elles exercent des effets nocifs sur les organismes, alors elles constituent des polluants. C’est notamment le cas des plastiques. Ce sont des polymères de synthèse (à partir d’hydrocarbures pétroliers) dont la formulation chimique (et l’adjonction d’additifs) les rend très résistants. Ils ne se dégradent donc pas, ils ne sont donc pas « assimilés » par la nature, mais se fragmentent et deviennent de plus en plus petits (micro- et nano-plastiques), donc plus nombreux et plus réactifs et donc plus dangereux. On parle aujourd’hui de « dette de toxicité plastique »[33] car les déchets que nous produisons aujourd’hui constituent un héritage toxique pour les générations futures.

Comité de direction du Groupement de recherche Plastiques, Environnement, Santé member picture

Comité de direction du Groupement de recherche Plastiques, Environnement, Santé

SF : Peut-on affirmer que « la pollution n’existe pas » ? Quelles sont les preuves scientifiques de l’existence de la pollution, font-elles consensus ?

GDR : Pour clarifier cette question il convient de définir et comprendre la distinction entre « contamination » et « pollution ». Une contamination correspond à l’introduction d’un élément externe dans un milieu donné et qui par sa présence modifie son état initial. Une pollution correspond à une contamination qui a significativement dégradé le milieu, ou autrement dit qui a un impact négatif mesurable sur ce dernier. Dans le contexte actuel, la pollution désigne ainsi l’introduction de substances ou d’agents polluants dans l’environnement, entraînant des effets nocifs sur le fonctionnement des écosystèmes, la santé animale et/ou humaine. Bien qu’elle réfère le plus souvent à l’introduction de substances chimiques, métalliques ou plastiques toxiques, on utilise aussi le terme de « pollution sonore et visuelle » pour décrire les niveaux de bruit excessifs et perturbations lumineuses causés par les transports, l’industrie, et les activités urbaines et affectant les écosystèmes à proximité de ces sources.

Les preuves scientifiques de l’existence de la pollution sont innombrables et font depuis fort longtemps consensus dans la communauté scientifique internationale. Des analyses de la qualité de l’eau, du sol et de l’air montrent la présence de polluants tels que des métaux lourds, des pesticides, des débris plastiques, des résidus pharmaceutiques (…) dans les écosystèmes du du monde entier. Des organismes comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publient des rapports sur ces contaminations. La pollution par les gaz à effet de serre (comme le CO2 et le méthane) contribue au changement climatique. Des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indiquent que l’augmentation des températures est corrélée à l’augmentation des niveaux de ces gaz dans l’atmosphère, qui est elle-même directement corrélée aux activités humaines. De très nombreuses études épidémiologiques ont montré des liens entre la pollution de l’air et des problèmes de santé tels que l’asthme, les maladies cardiovasculaires et des troubles respiratoires. Enfin, la pollution est considérée comme la 5ème cause de perte de biodiversité dans le monde selon l’IPBES (Intergovernmental Platform for Biodiversity and Ecosystem Services ; organe intergouvernemental scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques). Le nombre d’études scientifiques démontrant que la pollution affecte l’équilibre des écosystèmes terrestres et aquatiques ainsi que la santé de la faune et de la flore parle de lui-même. L’exemple de la pollution plastique est décrit plus spécifiquement dans la prochaine question.   

L’introduction d’entités nouvelles (e.g. toutes les substances chimiques ou biologiques : plastiques, médicaments, pesticides, nanomatériaux, OGM) dans la biosphère est considérée comme une des 6 limites planétaires dépassées (sur 9 au total), « d’une part, en raison de ses effets néfastes sur le développement physiologique de l’homme et sur le fonctionnement des écosystèmes ; d’autre part, car elle agit comme une variable lente qui affecte d’autres limites planétaires. En effet, la pollution chimique peut avoir des répercussions sur la limite “érosion de la biodiversité” en réduisant l’abondance des espèces et en augmentant potentiellement la vulnérabilité des organismes à d’autres menaces (changement climatique). Elle interagit également avec la limite “changement climatique” par les rejets de mercure dans l’environnement (via la combustion du charbon) et par les émissions de CO ₂ dues aux produits chimiques industriels (dérivés du pétrole) ». Pour plus d’informations, consulter le site Limites planétaires ou directement Richardson (2023)[2].

SF : Quelles sont les preuves scientifiques de la pollution liée au plastique en particulier ?

GDR : La production plastique annuelle croît à une vitesse exponentielle depuis l’invention du plastique comme objet de consommation dans les années 50 et atteint actuellement un volume estimé à près de 400 millions de tonnes. Pour les emballages (qui représentent plus de 40% de cette production annuelle) environ 3% sont émis dans les océans (soit environ 5 millions de tonnes chaque année) et environ 30% (soit plus de 40 millions de tonnes) se retrouvent dans l’environnement du fait de défaut de gestion des déchets[13]

Cette accumulation dont l’évolution temporelle suit celle du plastique a conduit à des rejets cumulés massifs. Et d’innombrables articles scientifiques ont été produits et d’innombrables suivis de la pollution plastique se sont développés qui rapportent la présence toujours croissante de plastique dans l’environnement. On peut citer un article récent qui présente les différentes typologies de déchets trouvés dans l’environnement en fonction de l’endroit (rivière, océans côtiers, large etc..)[25]

Dans le cas de la pollution liée aux plastiques, on ne peut résumer la situation à un défaut de gestion, en effet, comme indiqué ci-dessous 95% de la production plastique est réalisée à base de pétrole et la pollution commence donc dès l’extraction de la matière première et se poursuit lors de la production du plastique proprement dit par l’ajout d’additifs pour donner des propriétés spécifiques aux plastiques et d’une façon générale pendant toute la durée de vie des plastiques, y compris en fin de vie. Cette dimension chimique (on évalue que 16.000 produits chimiques sont associés aux plastiques) est d’ailleurs un des éléments qui limite considérablement le potentiel de recyclage des plastiques.

SF : L’acteur affirme que « faire du plastique se fait avec les outils de la Terre » et que « la Terre va l’assimiler sans problème ». Quelle est la différence entre une molécule naturelle et synthétique (comme le plastique) ?

GDR : C’est peut-être la seule chose sensée dans ces propos ! Environ 95% des plastiques sont produits à partir de pétrole qui est un produit naturel issu de la transformation de la matière organique enfouies (sous terre et sous pression) pendant des dizaines voire des centaines de millions d’années.

Pour le reste les plastiques, résultats de la synthèse chimique, sont dans la majorité des cas des matières caractérisées par leur résistance, illustrée par le fait qu’un sac plastique d’une épaisseur de 50 µm (0.05 mm) est censé résister à un poids de 3 kg. Au-delà de ça, la durée de vie d’un sac plastique, en général en polyéthylène,  dans l’environnement est estimée à plusieurs centaines d’années. L’assimilation par la terre ne correspond à aucun processus géologique ou biologique, il est donc difficile de répondre à cela. On peut toutefois imaginer que le processus le plus proche de l’assimilation par la terre est la biodégradation. Le processus de biodégradation, la décomposition de la matière organique, comporte plusieurs étapes et fait intervenir différents organismes puis microorganismes , jusqu’au processus de minéralisation et du retour à l’environnement d’éléments comme le CO2, de l’azote, du phosphore etc. C’est le processus qui conduit à la dégradation des végétaux ou des cadavres animaux. Malheureusement l’immense majorité des plastiques (~99 %) n’est pas du tout biodégradable, c’est à dire que quelle que soit la présence de microorganismes le plastique ne se transformera pas et ne sera pas dégradé.

Par ailleurs, un objet plastique exposé aux rayons du soleil et/ou à des contraintes mécaniques (vent, houle etc.) va se fragmenter en petits morceaux de taille souvent inférieure à 5 mm, les microplastiques, voire plus petits que 1µm (les nanoplastiques). La transformation des objets plastiques en ces petites particules peut les faire “disparaître de la vue”, donner l’impression qu’ils disparaissent, mais ça n’est qu’une impression. Ces particules sont elles aussi très persistantes et parce qu’elles sont ingérées par tous les animaux, peuvent conduire à des problèmes de santé, voire de survie.

RÉfÉrences :

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