- Santé
Les moustiques génétiquement modifiés ne transmettent pas le paludisme ou la dengue, contrairement à ce que sous-entend Egountchi Behanzin
À RETENIR
Dans le cadre de la lutte contre le paludisme, la dengue, ou le virus Zika, des moustiques génétiquement modifiés ont été mis au point. En se reproduisant avec les populations de moustiques sauvages vecteurs de ces maladies, ils doivent permettre de les affaiblir.
Ces moustiques modifiés ont fait l’objet d’essais en milieu naturel à petite échelle. Aujourd’hui, on constate une hausse généralisée du nombre de cas de paludisme et de dengue. Or, les insectes relâchés sont des mâles incapables de transmettre ces maladies. Ils ne peuvent donc être tenus pour responsables de cette hausse. Elle est attribuée par les scientifiques notamment à la résistance des moustiques sauvages aux insecticides.
ÉLÉMENT ANALYSÉ
Verdict:
Claim:
DÉTAIL DU VERDICT
Erroné :
Les moustiques génétiquement modifiés relâchés en milieu naturel au Burkina Faso en 2019, ainsi qu’au Brésil depuis 2013 pour des expériences sont des mâles qui ne peuvent transmettre le paludisme ou la dengue.
Trompeur :
Les moustiques génétiquement modifiés relâchés au Burkina Faso n’ont pas été mis au point avec la technique du “forçage génétique”. Leur modification génétique ne se transmet pas de génération en génération.
AFFIRMATION COMPLÈTE
Vérification
Le New York Times, dans la cadre d’un article daté du 14 octobre 2024 consacré à l’influence de la Russie en Afrique, a interviewé Egountchi Behanzin, un influenceur franco-togolais. Celui-ci y affirme que depuis l’introduction de moustiques génétiquement modifiés au Burkina Faso dans le cadre d’un programme de recherche dédié à la lutte contre le paludisme, aussi connu sous le nom de malaria, on y constate « une augmentation des cas de malaria et de dengue ».
De son vrai nom Sylvain Afoua, ancien dirigeant de la Ligue de défense noire africaine, dissoute par le gouvernement français en 2021, Behanzin tient fréquemment des propos pro-russes et anti-occidentaux sur les réseaux sociaux (X notamment) et cible régulièrement la fondation Bill Gates, qui finance des projets dans le domaine de la santé en Afrique. Selon le New York Times, « ses posts (sur les réseaux sociaux) ne sont qu’un élément dans une récente opération pro-Russe de désinformation qui cible les programmes de santé financés par les États-Unis en Afrique ». Les moustiques génétiquement modifiés en question sont ceux du projet Target Malaria. Comme nous le démontrons dans ce qui suit, la relation de cause à effet entre la présence de ces moustiques et la hausse des cas de malaria et dengue, sous-entendue par Behanzin, est erronée.
Le projet Target Malaria est une initiative de recherche scientifique créée en 2005 pour lutter contre le paludisme. Le rapport 2023 de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur cette maladie recense près de 250 millions de personnes atteintes dans le monde, et près de 600 000 décès dont la majorité en Afrique sub-saharienne (chiffres 2022). Au Burkina Faso, notamment, le paludisme a un impact considérable : plus du tiers de la population est touchée. Quant à la dengue, ce pays connaît un important épisode épidémique depuis 2023.
Le paludisme et la dengue sont transmis par les moustiques du genre Anopheles et Aedes, respectivement. Target Malaria, financé notamment par la fondation Bill Gates, vise à rechercher des solutions pour diminuer la population de moustiques transmetteurs de la malaria, en relâchant des moustiques génétiquement modifiés. La première méthode étudiée par Target Malaria a consisté à produire des mâles stériles. Pour cela, on insère dans le génome du moustique le gène d’une une enzyme appelée nucléase. L’enzyme coupe en fragments le chromosome X lors de la production de sperme. Relâchés dans la nature, ces mâles stériles entrent en compétition avec les mâles sauvages pour se reproduire avec les femelles. Une fois fécondées, leurs œufs ne sont pas viables. ce qui a pour résultat de faire diminuer la population de moustiques potentiellement porteurs de la maladie. D’abord étudiés en enceinte fermée, ces moustiques ont fait l’objet d’un essai sur le terrain au Burkina Faso en 2019 [1].
Egountchi déclare au New York Times que « depuis que ces moustiques sont arrivés au Burkina Faso, on remarque une augmentation de la malaria et de la dengue », sous-entendant ainsi une relation de cause à effet. Or, cette déclaration est contredite par les faits.
Tout d’abord, la dengue n’a pas augmenté suite à l’introduction des moustiques. Le rapport sur le paludisme 2023 de l’OMS montre que le nombre de cas à commencé à augmenter au Burkina avant 2019, année du lâcher de moustiques modifiés dans la nature, puis une baisse à compter de 2021. Dans d’autres pays, le paludisme a progressé sur la même période alors que ces moustiques n’ont pas été introduits (Figure 1). La responsabilité d’une hausse du paludisme ne peut leur être imputée. Elle peut en revanche être expliquée par les phénomènes de résistance des moustiques aux insecticides.
De plus, la quasi-totalité des moustiques relâchés lors de l’expérience sont des mâles, séparés des femelles par un tri au préalable. Or, seules les femelles se nourrissent de sang et transmettent la maladie. Un faible pourcentage de femelles génétiquement modifiées ayant échappé au tri a pu être libéré, évalué à 0,5 % par l’équipe de scientifiques qui a mené l’expérience. Il est donc peu probable que cette population de moustiques ait contribué à répandre le paludisme.
Par ailleurs, ces insectes élevés en laboratoire sont exempts du parasite du paludisme. Par ailleurs, aucun des quelque 1000 insectes capturés sur la zone dans les 7 mois qui ont suivi le lâcher n’étaient porteurs du gène inséré[1] ce qui démontre que ce caractère ne persiste pas dans l’environnement, et ne pourrait expliquer une hausse générale des cas de paludisme.
Quant à la dengue, cette maladie n’a pu être transmise par les moustiques de Target Malaria car ce virus est transmis par des moustiques du genre Aedes. Or les moustiques du projet sont du genre Anopheles, incapables de transmettre le virus.
Le “forçage génétique” n’a pas encore été mis en œuvre
Dans une vidéo publiée le 21 octobre sur la chaîne YouTube Flazio_ytb en réaction à l’article du New York Times, Behanzin dénonce un « terrorisme scientifique des firmes pharmaceutiques américano-occidentales », souligne qu’il alerte depuis plusieurs années sur la “dangerosité du projet Target Malaria” et questionne : « Est-ce que le forçage génétique, les relâchers de ces moustiques sur les populations africaines est dangereux pour les écosystèmes, les humains, la biodiversité ? ». Il fait un amalgame trompeur avec une autre méthode, le forçage génétique qui n’est pas celle du lâcher de moustiques de 2019. Il omet de dire qu’elle en est encore au stade du laboratoire et n’a jamais été mise en œuvre sur le terrain, même si elle est étudiée par Target Malaria.
Le forçage génétique vise à propager un gène dans une population de manière durable. Selon les lois de l’hérédité, un allèle (une forme donnée d’un gène) a 50% de chances d’être transmis à la descendance. Grâce à une méthode d’ « édition du génome » faisant appel à la technologie CRISPR-Cas9, il est possible d’augmenter cette fréquence.
La recherche menée actuellement vise à étudier l’efficacité de moustiques munis de différents gènes transmissibles de génération en génération. Plusieurs options sont étudiées : soit un gène qui rendrait les femelles stériles , soit un gène qui permettrait de n’engendre qu’une descendance mâle, avec pour conséquence une diminution de la population, soit un gène qui empêcherait les insectes de transmettre le parasite, etc.
Target Malaria indique sur son site que le forçage génétique peut augmenter les chances qu’un tel gène soit transmis jusqu’à 99 %. Une étude en laboratoire a montré qu’une population de moustiques soumise au forçage génétique était totalement supprimée au bout de 250 à 300 jours[2]. Ces moustiques sont actuellement étudiés dans des lieux clos en Europe et aux Etats-Unis. La date d’éventuels essais dans le milieu naturel en Afrique n’a pas été annoncée par Target Malaria.
Au Brésil, la responsabilité des moustiques modifiés dans la propagation de la dengue et du Zika est improbable
Behanzin évoque ensuite dans la vidéo le cas du Brésil, où il affirme que « les cas de dengue ont augmenté » après le lâcher de moustiques génétiquement modifiés, et que ceux-ci « ont commencé à développer des maladies imprévues, en faisant même augmenter la dengue, la Zika, etc. » (..), sans préciser dans quelle région et quand cette hausse des cas débute, ni les noms de ces “maladies”. Là encore, il introduit une confusion. Au Brésil, il ne s’agit pas des moustiques de Target Malaria, mais de la firme de biotechnologies Oxitec, qui a procédé à un essai sur le terrain entre juin 2013 et septembre 2015 dans une localité de l’État de Bahia (nord-est) [3] et commercialise depuis 2022 ses insectes génétiquement modifiés sur le marché brésilien.
Les moustiques Aedes aegypti d’Oxitec ont été modifiés avec un « transgène », une séquence génétique qui contient notamment un gène létal pour l’insecte dont le fonctionnement est réprimé par un antibiotique, la tétracycline. Apportée en laboratoire, celle-ci maintient les moustiques en vie. Mais une fois relâchés, et après s’être reproduits, leur descendance mourra faute de tétracycline dans la nature[4]. Il ne s’agit pas ici de forçage génétique, seule une génération est concernée. Et les moustiques relâchés sont des mâles qui ne transmettent pas la maladie. Il est donc improbable qu’ils soient responsables de la hausse des cas de dengue.
Si on observe les chiffres, on constate que la dengue dans l’État de Bahia était était déjà à la hausse les trois années précédant le lâcher expérimental d’Oxitec, et le nombre de cas chute en 2014, ce qui ne correspond pas au scénario de moustiques modifiés, introduits dès 2013, qui propageraient la maladie (Figure 2).
Plus généralement, cette maladie connaît une forte progression partout dans le monde depuis deux décennies. L’Amérique latine est particulièrement touchée, notamment le Brésil, avec un record de près de 6 millions de cas recensés en 2024. Il semble cependant improbable qu”il y ait un lien de cause à effet entre les moustiques modifiés relâchés localement et cette augmentation générale.
Un rapport de la Société brésilienne de médecine tropicale indique par ailleurs que la récente exacerbation de l’épidémie est attribuable à de multiples facteurs dont les températures plus élevées et les précipitations perturbées du fait du changement climatique, qui jouent un rôle dans le cycle de vie et la distribution du moustique vecteur, ou encore l’urbanisation du pays.
Quant au virus Zika, il est signalé au Brésil à partir de 2015 et cause une épidémie jusqu’en 2016 dans toute l’Amérique Latine. Sa présence était attestée auparavant dans d’autres régions du monde, notamment en Polynésie où une épidémie en 2013 et 2014 a touché près de 32 000 personnes. Une équipe a reconstitué la dynamique spatio-temporelle de l’épidémie de Zika au Brésil et a conclu à son importation de Polynésie vers l’État de Pernambouc, d’où elle a gagné l’État de Bahia en 2014 [5]. Depuis, le nombre de cas a décru globalement[6], avec cependant la persistance foyers de la maladie, qu’une équipe de chercheurs a attribués notamment à des conditions socio-économiques dégradées, et à un réseau d’assainissement défaillant qui favorise la prolifération des moustiques[7].
Dans les deux cas, seuls les mâles, qui ne se nourrissent pas de sang et ne peuvent transmettre la maladie, sont relâchés, ce qui rend improbable la transmission de la dengue et du Zika par ces moustiques.
Enfin, nous n’avons pu identifier les “maladies imprévues” dont parle Behanzin. Une maladie relativement rare mais pas nouvelle, la fièvre Oropouche, tend à se répandre au-delà du bassin de l’Amazone où elle est endémique[8]. Mais son principal vecteur n’est pas l’espèce Aedes aegypti qui a été relâchée.
Conclusion :
Les moustiques génétiquement modifiés sont une des solutions étudiées pour lutter contre le paludisme et la dengue. Ils sont conçus pour affaiblir les populations de moustiques sauvages qui transmettent les maladies. L’affirmation d’Egountchi Behanzin que ces moustiques sont responsables d’une hausse du nombre de cas de ces maladies est erronée. L’amalgame qu’il effectue entre les moustiques transgéniques déjà relâchés en milieu naturel, qui n’ont pas de descendance, et le « forçage génétique » non encore testé, qui verrait les modifications génétiques se propager entre générations, est trompeur.
Les moustiques génétiquement modifiés pourraient-ils devenir des vecteurs plus efficaces des maladies contre lesquelles ils sont conçus, comme la malaria ou la dengue ? Pourraient-ils transférer leur matériel génétique à d’autres organismes ? Ces hypothèses sont étudiées. Des études de risques sont ainsi réalisées avant les expérimentations, et sont exigées par les autorités de régulation nationales des pays concernés.
En 2023, l’agence gouvernementale australienne CSIRO (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation) a ainsi étudié un scénario de moustique transgénique qui n’induirait qu’une descendance mâle, sur une seule génération (sans forçage génétique), ce qui constitue la prochaine étape pour Target Malaria.
Les prédictions indiquent que ces moustiques ont un risque de transmission d’un pathogène moindre comparé aux moustiques sauvages, et ce chez les trois vecteurs du paludisme les plus présents au Burkina Faso (Anopheles arabiensis, coluzzi et gambiae). L’étude considère par ailleurs comme « extrêmement improbable » la transmission « horizontale » du matériel génétique du moustique vers l’humain, et vers d’autres insectes.
Quant à la mise en œuvre du forçage génétique en milieu naturel, elle fait l’objet de nombreux scénarios de risque sur l’humain et les écosystèmes qui devront être évalués avant un éventuel essai en milieu naturel. [*]
Feedback des scientifiques
Jérémy Bouyer, UMR Animal santé territoires risques écosystèmes (ASTRE), CIRAD, La Réunion
Le nombre de cas de paludisme à l’échelle mondiale, qui était sur une trajectoire décroissante, s’est stabilisé ces cinq dernières années et a même réaugmenté. La cause en est entre autres la résistance aux insecticides développée par les moustiques anophèles, vecteurs de la maladie. Les méthodes traditionnelles de lutte, comme les moustiquaires imprégnées d’insecticides, ne sont plus suffisantes. C’est pour lutter contre cette réaugmentation des cas que d’autres pistes sont explorées, notamment les moustiques génétiquement modifiés, et non l’inverse : les moustiques génétiquement modifiés qui ont été relâchés en milieu naturel dans un but expérimental ne sont pas responsables de cette hausse des cas de paludisme. Il en est de même pour la dengue ou le Zika.
RÉfÉrences:
- [1] Adama Yao et al. (2022) Mark-release-recapture experiment in Burkina Faso demonstrates reduced fitness and dispersal of genetically-modified sterile malaria mosquitoes. Nature Communications.
- [2] Hammond et al. (2022) Gene-drive suppression of mosquito populations in large cages as a bridge between lab and field. Nature communications
- [3] Garziera et al. (2017) Effect of interruption of over-flooding releases of transgenic mosquitoes over wild population of Aedes aegypti: two case studies in Brazil. Entomologia Experimentalis et Applicata
- [4] Carvalho et al. (2014] Mass Production of Genetically Modified Aedes aegypti for Field Releases in Brazil. Journal of visualized experiments.
- [5] Costa et al. (2020) New Insights on the Zika Virus Arrival in the Americas and Spatiotemporal Reconstruction of the Epidemic Dynamics in Brazil. Viruses
- [6] Yacob, L. Zika Virus after the Public Health Emergency of International Concern Period, Brazil. Emerging infectious diseases
- [7] Gardini Sanches Palasio et al. (2023) Zika, chikungunya and co-occurrence in Brazil: space-time clusters and associated environmental–socioeconomic factors. Scientific Reports
- [8] Martins-Filho et al. (2024) Spatiotemporal Epidemiology of Oropouche Fever, Brazil, 2015–2024. Scientific Reports