- Climat
Une nouvelle étude montre un impact « extrêmement minime » de la respiration humaine sur le climat, contrairement à des déformations sur les réseaux sociaux
À RETENIR
Une étude récente a montré que la respiration humaine représente seulement environ un centième de pourcent du total des émissions de gaz à effet de serre au Royaume-Uni. Les scientifiques réfutent l’idée que notre respiration contribue de manière significative au réchauffement climatique. Les activités humaines responsables de ce phénomène, comme les émissions de gaz à effet de serre dues à l’énergie, aux transports et à l’exploitation des terres, sont clairement identifiées et nécessitent une réduction pour limiter les impacts néfastes du changement climatique.
ÉLÉMENT ANALYSÉ
Verdict :
Affirmation :
DÉTAIL DU VERDICT
Déforme la source :
Une nouvelle étude a trouvé que la respiration humaine au Royaume-Uni contribue seulement à 0,0539 des 417 mégatonnes d’émissions de gaz à effet de serre du Royaume-Uni. L’étude n’a pas démontré que la respiration humaine alimente de manière significative le réchauffement climatique ou qu’elle est mauvaise pour l’environnement. En réalité, les auteurs ont indiqué que les contributions de la respiration humaine sont négligeables en comparaison avec la combustion des combustibles fossiles et d’autres sources majeures d’émissions.
Factuellement inexact :
L’affirmation selon laquelle les gaz expirés par les humains contribuent à 0,1 % des émissions de gaz à effet de serre au Royaume-Uni est environ huit fois plus élevée que la valeur estimée par les auteurs de l’étude, qui était de 0,013 %.
AFFIRMATION COMPLÈTE
Vérification
Une nouvelle étude scientifique publiée le 13 décembre 2023 a quantifié les émissions de gaz à effet de serre (GES) provenant de la respiration humaine au Royaume-Uni et a comparé les résultats avec d’autres sources d’émissions plus connues. Dawson et al (2023) ont découvert que seulement 0,05 % et 0,1 % des émissions de méthane et d’oxyde nitreux du Royaume-Uni, respectivement, peuvent être attribués à la respiration des personnes. Dans l’ensemble, la contribution de la respiration aux émissions de GES au Royaume-Uni est estimée à 0,013 %.
Malgré ces faibles pourcentages, dans les jours et les semaines suivant la publication de cette étude, des médias et blogs en ligne ont induit le public en erreur en déformant l’étude. Parmi les différentes publications, Planetes360 et Aube Digitale ont publié un article intitulé « Des scientifiques « wokes » accusent la respiration humaine d’être à l’origine du changement climatique ! ». Pourtant, le 13 décembre 2023, les principaux auteurs de l’étude ont explicitement déclaré (en anglais) : « Si vous cherchez à réduire votre impact climatique, ne retenez pas votre souffle. »
Plusieurs tabloïds, sites web et publications sur les médias sociaux dont le Daily Mail au Royaume Uni ont utilisé l’étude pour affirmer, que ce soit sincèrement ou de manière fallacieuse, que la respiration cause et alimente le réchauffement climatique. Quel que soit l’angle envisagé, ces affirmations déforment grossièrement l’étude qui estimait que la respiration humaine contribue à environ 1,3 unité de gaz à effet de serre sur 10 000 (0,013 %).
En particulier, le titre de l’article du blog Insolentiae « Effrayant. La respiration humaine est mauvaise pour l’environnement car nous dégageons trop de CO2 selon les scientifiques anglais » est inexact dans son intégralité. L’étude et ses auteurs (Dawson et collègues) n’ont jamais dit ni sous-entendu cela.
L’auteur correspondant de l’étude, le Dr Nicholas Cowan du Centre britannique pour l’écologie et l’hydrologie, a déclaré à Science Feedback que des titres comme ceux-ci sont « une mauvaise interprétation de ce que notre étude dit et de son message ». Il ajoute :
« L’impact de la respiration humaine sur le changement climatique serait extrêmement minimal – le problème prédominant qui devrait être au centre des efforts pour atténuer le réchauffement global est la combustion des combustibles fossiles, ce que notre étude a clairement démontré. »
Cet article de vérification mettra d’abord en contexte la respiration humaine comme source de GES et détaillera ensuite plus précisément ce que les auteurs ont trouvé, en comparaison avec les affirmations virales trompeuses et inexactes qui ont suivi.
La respiration humaine ne contribue pas de manière significative au réchauffement climatique
La température moyenne globale a augmenté de plus de 1°C depuis le début des mesures dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les humains sont responsables de l’intégralité du réchauffement global contemporain observé. Les principaux facteurs alimentant le réchauffement climatique sont bien identifiés ; ils sont tous liés à l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre, entraînant ainsi un effet de serre renforcé. Environ 79 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent des secteurs de l’énergie, de l’industrie, des transports et du bâtiment, le reste émanant de la catégorie « agriculture, foresterie et autres utilisations des terres »[1].
Un effet de serre renforcé signifie que l’atmosphère est capable de maintenir des températures plus élevées qu’avant l’augmentation des gaz à effet de serre (GES). Les principaux GES contribuant au réchauffement climatique, pour lesquels les humains sont responsables, incluent le dioxyde de carbone (CO2), l’oxyde nitreux (N20), le méthane (CH4) et les chlorofluorocarbures (CFC). Les activités humaines, telles que la combustion de combustibles fossiles (pour l’énergie, le transport, l’industrie, etc.), la déforestation, l’adoption de pratiques agricoles intensives (notamment l’utilisation d’engrais azotés et l’élevage de bétail ruminant), ainsi que l’usage de produits émettant des gaz fluorés, continuent de pousser les niveaux de GES vers des territoires inexplorés.
Depuis 1750, le niveau actuel de dioxyde de carbone atmosphérique a connu une augmentation de 47 % et celui du méthane de 156 %, surpassant largement l’ampleur des changements naturels observés au cours des 800 000 dernières années, entre les périodes glaciaires et interglaciaires. L’oxyde nitreux a aussi connu une augmentation de 23 % depuis 1750. Le dioxyde de carbone est considéré comme le GES le plus significatif en raison de sa longue durée de vie dans l’atmosphère, de son abondance et de sa contribution prépondérante au réchauffement climatique. Le dioxyde de carbone est à l’origine d’environ deux tiers du réchauffement final observé et constitue donc le responsable principal du réchauffement climatique. La respiration humaine, en revanche, n’ajoute pas de dioxyde de carbone à l’atmosphère de manière significative.
Lors de la respiration, les poumons humains oxygènent le sang avec l’oxygène de l’atmosphère, en échange du dioxyde de carbone qui est évacué des poumons lors des expirations (ce qu’on appelle l’échange gazeux). Cependant, le dioxyde de carbone que nous expirons n’est pas pertinent pour le réchauffement climatique, car il provient de la nourriture que nous consommons, laquelle a été produite en utilisant le dioxyde de carbone déjà présent dans l’atmosphère. La quantité de carbone que nous expirons s’équilibre avec le carbone que nous ingérons à partir des plantes et des animaux, avec un petit surplus servant à construire et maintenir nos corps.
La respiration humaine ajoute des quantités de GES pratiquement insignifiantes
Les ensembles de données que nous possédons pour les principales sources d’émission de GES, telles que celles provenant de l’utilisation des sols ou des secteurs de l’énergie et des transports, sont robustes en raison de leur rôle majeur dans le réchauffement climatique. Cependant, les sources moins importantes de GES reçoivent moins d’attention scientifique. Par exemple, nous disposons de peu de données sur la quantité de méthane et d’oxyde nitreux que nous expirons en plus du dioxyde de carbone.
Le méthane et l’oxyde nitreux que nous expirons sont ajoutés à l’atmosphère, contrairement au dioxyde de carbone qui est recyclé. La flore méthanogène dans l’intestin humain produit du méthane et les bactéries dénitrifiantes dans l’intestin et la cavité orale produisent de l’oxyde nitreux. Des études estiment que la respiration contribue approximativement à 0,11 % des émissions mondiales de méthane et à 0,16 % des émissions d’oxyde nitreux[2,3]. Bien que nous sachions déjà que les émissions de ces GES issues de la respiration sont très faibles, nous manquons de données précises sur les quantités exactes que nous expirons et sur les facteurs qui les influencent (comme notre alimentation, âge, sexe, etc.).
La nouvelle étude réalisée par Dawson et ses collègues visait à combler ce manque de recherche et à fournir davantage de données pour comparaison. Sur les 328 échantillons de souffle analysés, ils ont découvert que 31 % des personnes expiraient du méthane et que toutes émettaient de l’oxyde nitreux. En extrapolant leurs résultats à l’ensemble de la population du Royaume-Uni, qui compte 68,2 millions d’habitants, ils ont estimé que 1,04 gigagrammes (Gg) de méthane et 0,069 Gg d’oxyde nitreux sont expirés annuellement, représentant 53,9 Gg de CO2e (unités équivalentes en dioxyde de carbone).
En ce qui concerne les émissions totales du Royaume-Uni, la respiration humaine est estimée à 0,05 % du méthane (2051 Gg de méthane émis en 2021) et 0,1 % de l’oxyde nitreux (72 Gg d’oxyde nitreux émis en 2021). Ces résultats sont tous deux inférieurs aux estimations des études précédentes pour ces gaz à l’échelle mondiale[2,3].
Le Dr Cowan a expliqué à Science Feedback que « L’émission de ces gaz par la respiration humaine n’est pas une nouveauté et nos propres estimations mondiales des émissions à partir des données sont en fait inférieures aux estimations précédentes, qui sont toutes citées dans le manuscrit ». Ainsi, l’étude de Dawson a démontré que la respiration pourrait avoir un impact encore moins important sur le réchauffement climatique que ce que les études précédentes avaient envisagé, impact déjà considéré comme très faible. Et pourtant, ces études antérieures n’ont pas suscité une réaction virale de la part des blogs ou des réseaux sociaux.
Globalement, en considérant les 430 mégatonnes de GES (CO2e) émises au Royaume-Uni en 2021, et pas seulement le méthane et l’oxyde nitreux, la contribution de la respiration humaine ne représente que 0,013 % de ce total. L’impact annuel de la respiration serait pratiquement imperceptible lorsqu’il est comparé à tous les véritables facteurs du réchauffement climatique au Royaume-Uni. Il représenterait seulement 0,0539 mégatonnes (Mt) CO2e sur l’axe des ordonnées de la Figure 2, qui s’étend de 0 à 800 Mt CO2e.
L’étude a été largement déformée sur les réseaux sociaux
Les principales sources d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sont considérées comme nuisibles pour l’environnement, en raison de leurs effets sur les températures globales, et susceptibles d’entraîner une vaste gamme d’impacts liés au changement climatique sur le monde naturel. Parmi les impacts à manifestation lente, citons l’élévation du niveau de la mer, la salinisation, l’acidification des océans, le recul des glaciers, la dégradation des terres, la désertification et la perte de biodiversité[4]. Le changement climatique a causé des pertes et des dommages aux écosystèmes terrestres, d’eau douce et marins à l’échelle mondiale[1]. Cependant, comme démontré précédemment, bien que la respiration humaine augmente les concentrations atmosphériques de deux GES, le méthane et l’oxyde nitreux, la respiration en tant que source de GES est pratiquement sans incidence sur le réchauffement global , comparativement aux sources majeures telles que la combustion de combustibles fossiles, la déforestation et les pratiques agricoles intensives.
L’article du blog Aube Digitale n’est pas seulement une interprétation erronée des propos des auteurs de l’étude, il contient également des inexactitudes factuelles comme l’affirmation que « selon les scientifiques [de l’étude] le méthane et l’oxyde nitreux présents dans l’air expiré représentent jusqu’à 0,1 % des émissions de gaz à effet de serre du Royaume-Uni ». Or, les auteurs n’ont jamais affirmé cela. Comme l’explique le Dr. Cowan, auteur correspondant de l’article Dawson et al (2023) :
« La contribution totale des émissions de gaz à effet de serre du Royaume-Uni provenant de la respiration humaine est estimée à 0,013 %. »
L’étude de Dawson ne déclare ni ne conclut que la respiration est néfaste pour l’environnement, ni qu’elle contribue ou pourrait contribuer au réchauffement global.
Le jour même de la publication de l’étude de Dawson et al (le 13 décembre 2023), et avant que la majorité des affirmations inexactes et trompeuses apparaissent dans les médias et soient largement partagées sur les réseaux sociaux, les auteurs principaux, le Dr. Cowan et le Dr. Heal, ont également publié un article (en anglais) dans The Conversation pour aider le public à comprendre l’objectif principal de l’étude, ses résultats et ses implications. Ils y ont déclaré que l’impact sur le changement climatique de la respiration humaine « est insignifiant en comparaison avec la combustion des combustibles fossiles et d’autres sources majeures d’émissions ». Le Dr. Cowan a réitéré à Science Feedback : « si vous souhaitez être responsable de la libération de moins de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, vous feriez mieux de respirer normalement et de vous concentrer sur d’autres activités plus gérables ».
Conclusion
L’étude de Dawson a trouvé un impact « extrêmement minimal » de la respiration humaine sur le changement climatique au Royaume-Uni, contribuant approximativement à 0,013 % des émissions totales de gaz à effet de serre. À aucun moment les auteurs n’ont déclaré que la respiration humaine est mauvaise pour l’environnement et alimente le réchauffement global.
En réalité, les auteurs principaux de l’étude ont dit que les contributions de la respiration humaine sont négligeables en comparaison avec la combustion des combustibles fossiles et d’autres sources majeures d’émissions. Nous disposons de données robustes quantifiant les facteurs réels qui alimentent le réchauffement global, tels que les émissions issues de l’énergie, des transports et de l’utilisation des terres.
Références:
- 1 – IPCC (2023) Summary for Policymakers. In: Climate Change 2023: Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change
- 2 – Polag & Keppler (2019) Global methane emissions from the human body: Past, present and future. Atmospheric Environment
- 3 – Mitsui et al. (1997) Effect of aging on the concentrations of nitrous oxide in exhaled air. Science of the Total Environment
- 4 – Van Der Geest et al. (2021) Slow-onset events: a review of the evidence from the IPCC Special Reports on Land, Oceans and Cryosphere. Current Opinion in Environmental Sustainability