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Que sait-on vraiment du taux de létalité de mpox ?

Posté le : 27 Août 2024

À RETENIR

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a décrété le 14 août 2024 une Urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), suite à une épidémie de mpox en Afrique, causée par une forme du virus responsable de cette maladie dite “clade 1”.

Des cas de cette maladie avaient déjà été détectés en Europe, depuis une précédente épidémie en Afrique en 2022, causée par une autre forme du virus, le clade 2. Depuis, le clade 2 a continué à circuler faiblement en Europe.

Si la maladie peut être mortelle pour certains patients (jeunes enfants, femmes enceintes, personnes immunodéprimées), son taux de létalité dépend de la qualité des soins médicaux. Ce taux semble faible pour le clade 2 (estimé à 1 pour 1000) dans les pays qui disposent d’un système de santé efficace. Pour le clade 1a de 2024, il n’est pas encore possible de conclure pour ces pays.

L’OMS n’a pas déclaré qu’il s’agit d’une pandémie.

ÉLÉMENT ANALYSÉ

Manque de contexte

l'OMS parle d'un taux de mortalité de 3.5 pour mpox alors que c'est 0,01 normalement, l'OMS dit qu’on est en situation de pandémie mondiale

Source : YouTube, Idriss Aberkane, 18 Août 2024

DÉTAIL DU VERDICT

Manque de contexte :

Les chiffres avancés concernent le taux de létalité de la mpox en République démocratique du Congo en 2024 et celui dans les pays africains non-endémiques pour cette maladie en 2022.

Inexact :

L’OMS n’a pas qualifié la mpox de « pandémie », au jour de la publication de cet article.

Trompeur :

Un taux de létalité de 3,5 % en République démocratique du Congo ne signifie pas que d’une manière générale, 3,5 % des malades de la mpox décèdent.

affirmation complète


« l’OMS qui nous parle d’un taux de mortalité de 3.5 alors que c’est 0,01 normalement », « ces 3,5 % parce que j’insiste c’est vraiment ça qui fait dire à l’OMS que on est en situation de de de pandémie mondiale »

Vérification

Le 14 août 2024, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a décrété une Urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), concernant la « mpox », également appelée variole simienne (l’appellation « variole du singe » n’est plus utilisée), en réponse à une importante hausse du nombre de cas en République démocratique du Congo (RDC) et dans un nombre croissant d’autres pays d’Afrique.

Une USPPI est une déclaration officielle visant à attirer l’attention sur une menace sanitaire en cours et à mobiliser des ressources (dépistage accru, stocks de vaccins par exemple) pour y répondre. Ainsi, l’OMS a déclaré des USPPI pour le virus Ebola en 2014 et 2019, et pour la COVID-19 en 2020[1].

L’organisation avait déjà déclaré la mpox comme USPPI lors d’un précédent épisode épidémique en 2022 en Afrique, avant de mettre fin à cette déclaration en 2023, une fois l’épidémie maîtrisée.

Depuis cet épisode, des cas de mpox ont également été détectés hors d’Afrique, en Amérique du Nord, du Sud et en Europe. Ainsi, sur la période comprise entre le 1er janvier 2022 et le 18 août 2024, en France, 4283 cas ont été confirmés par des analyses de laboratoire. Le virus a en effet continué à circuler faiblement en Europe après fin 2022.

Le 18 août 2024, une vidéo a été postée sur YouTube par Idriss Aberkane, qui totalisait plus de 600 000 vues une semaine après sa mise en ligne. Celui-ci se présente sur son site comme « expert pluridisciplinaire aux domaines de prédilection variés» et « brillant pédagogue». Cependant, les diplômes et les titres dont il se réclame ont été critiqués

Dans cette vidéo, Idriss Aberkane s’entretient  avec le microbiologiste Didier Raoult, ancien directeur de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection de Marseille, qui a notamment promu l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour traiter les cas de COVID en 2020, une molécule dont l’efficacité sur cette maladie a été démentie par de nombreux travaux de recherche.

Idriss Aberkane évoque notamment au sujet de la mpox « ces 3,5 % [de mortalité, note de l’éditeur] parce que j’insiste c’est vraiment ça qui fait dire à l’OMS que on est en situation de de de pandémie mondiale ». Cette affirmation est erronée. L’’OMS n’a pas décrété, le 14 août 2024, une situation de « pandémie mondiale ». La mpox ne présente d’ailleurs pas à ce jour toutes les caractéristiques d’une pandémie, qui se distingue notamment par une apparition dans de très nombreuses régions du monde et une propagation « explosive » (un grand nombre de cas dans un laps de temps très court)[2]. Un dispositif de vigilance a été mis en place en Europe et notamment en France. Mais l’urgence de l’épidémie est en Afrique.

Idriss Aberkane évoque également « l’OMS qui nous parle d’un taux de mortalité de 3.5 alors que c’est 0,01 normalement ». Le rapprochement de ces deux chiffres suggère une erreur ou une manipulation de la part de l’OMS. Science Feedback a contacté Idriss Aberkane pour une demande de précisions sur ses déclarations et mettra à jour cet article le cas échéant. 

La section suivante clarifie cette confusion de chiffres et explique à quoi ils correspondent.

Deux formes différentes de la maladie

La mpox est causée par un virus de la famille des Orthopoxvirus[3], à laquelle appartient également le virus de la variole. Les premiers cas ont été observés en 1958 au sein d’une colonie de singes en laboratoire. La maladie est endémique dans le bassin du Congo et en  Afrique de l’ouest. Chez l’humain, elle se transmet par contact physique, notamment lors de rapports sexuels. Les symptômes se traduisent par une éruption cutanée douloureuse, un gonflement des ganglions lymphatiques et de la fièvre. Des complications sont possibles et la maladie peut être mortelle, notamment pour les jeunes enfants, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées.

Comme pour tous les êtres vivants, le matériel génétique du virus est sujet à des mutations. Le résultat est que différentes formes du virus peuvent apparaître et coexister : les clades, distingués par un numéro. Au sein même de chaque clade, des variants sont possibles (distingués par des lettres). En 2022, l’épisode épidémique a été causé par le clade 2b. En 2024, ce sont les clades 1a et 1b qui sont responsables de la majorité des cas en RDC. Dans d’autres pays d’Afrique, les clades 1a ou 1b sont présents, de même que le clade 2, qui n’a pas disparu.

Dans son communiqué, l’OMS ne donne pas le « taux de mortalité » dont parle Idriss Aberkane, mais annonce « plus de 15 600 cas » rapportés et « 537 décès » (au 14/8/24) en République démocratique du Congo. La division de ce nombre de décès par le nombre de cas donne un résultat égal à 0,0344, soit environ 3,5 %. Dans un bulletin daté du 11 août 2024 et concernant la région Afrique, l’OMS indiquait un chiffre similaire (3,6%) pour la RDC.

Il s’agit cependant ici d’un taux de létalité, c’est-à-dire le nombre de décès rapporté au nombre de cas connus. Il est différent d’un taux de mortalité, qui représente la fréquence des décès dans une population totale sur une période de temps donnée.

Quant au chiffre de 0,01, il s’agit du taux de létalité de l’épisode de 2022, dans les pays africains où la maladie n’est pas endémique[4].

La comparaison des deux chiffres par Idriss Aberkane n’est donc pas pertinente car ces chiffres se rapportent à des clades différents du virus et l’OMS n’a pas prétendu que les taux de détection de personnes infectées par le virus sont les mêmes en 2024 et en 2022.

Un taux de létalité qui dépend du système de santé

Le taux de létalité est un indicateur qui peut varier notamment selon l’efficacité dans la détection des cas, meilleure dans les pays disposant d’un système de santé de qualité et de laboratoires d’analyse, et la qualité des soins, également dépendante du système de santé, qui permet de réduire le nombre de victimes.

Daniel Bausch est professeur de médecine tropicale à la London School of Hygiene & Tropical Medicine, et membre du comité d’urgence du Règlement sanitaire international sur la recrudescence de la variole simienne, constitué d’experts indépendants, qui a été constitué pour conseiller l’OMS. Contacté par Science Feedback, il explique : 

« Les données sont actuellement insuffisantes pour tirer des conclusions définitives concernant les différents clades et sous-clades. Je dirais cependant que nous avons suffisamment de preuves pour affirmer que le taux de létalité de la clade 2b dans les pays à revenu élevé est relativement faible, probablement de l’ordre de 0,1 %. Je peux dire cela parce que la surveillance est généralement bonne dans ces pays, où nous avons constaté de nombreux cas depuis 2022, et les cas que nous pourrions manquer sont probablement les plus bénins »

En Europe, un cas de clade 1b a été rapporté le 15 août 2024. Selon le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies, l’apparition d’un certain nombre de cas de clade 1b en Europe est probable, du fait de voyageurs en provenance d’Afrique. Mais le taux de létalité de 3,5 estimé jusqu’ici pour la RDC ne signifie pas a priori que 3,5 % des personnes atteintes vont décéder de la maladie si celle-ci venait à se diffuser plus largement.

Feedback des scientifiques

Réaction de Daniel Bausch, professeur de médecine tropicale à la London School of Hygiene & Tropical Medicine, et membre du comité d’urgence du Règlement sanitaire international sur la recrudescence de la variole simienne :

« Bien que des taux de létalité plus élevés aient été signalés pour certains cas de mpox dans certaines régions d’Afrique, je pense qu’il est difficile de dire quels sont les chiffres réels car la surveillance est très variable selon le pays et la région. Si vous ne détectez que les personnes les plus malades atteintes de la maladie la plus grave, qui sont logiquement celles qui chercheront à se faire soigner et seront donc reconnues, votre taux de létalité semblera très élevé.

Nous devons également nous rappeler, en ce qui concerne la propagation chez les HSH [hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes – note de l’éditeur], qu’il existe une stigmatisation importante autour de l’homosexualité dans de nombreux pays d’Afrique, y compris dans de nombreux cas, l’homosexualité étant illégale et punie de longues peines de prison, voire de la peine de mort. Il est donc probable que peu d’HSH voudront se présenter pour se faire soigner.

Donc, en conclusion concernant le taux de létalité, pour moi, les données sont actuellement insuffisantes pour tirer des conclusions définitives concernant les différents clades et sous-clades. Je dirais cependant que nous avons suffisamment de preuves pour affirmer que le taux de létalité de la clade 2b dans les pays à revenu élevé est relativement faible, probablement de l’ordre de 0,1 %. Je peux dire cela parce que la surveillance est généralement bonne dans ces pays, où nous avons constaté de nombreux cas depuis 2022, et les cas que nous pourrions manquer sont probablement les plus bénins. »

RÉFÉRENCES :

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