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Maladie X, comment la préparation aux pandémies a alimenté les théories du complot

Posté le : 20 Mar 2024

Le 17 janvier 2024, des experts de la santé publique, dont Tedros Adhanom Ghebreyesus, le Directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ont tenu une table ronde intitulée « Préparer la maladie X » lors du Forum Économique Mondial de Davos (FEM). À la lumière de la récente pandémie de COVID-19, le panel a discuté des échecs de la réponse mondiale à la pandémie et des améliorations possibles.

Cependant, la mention d’une mystérieuse « Maladie X » juste un an après la fin d’une pandémie est devenue une aubaine pour les théories du complot sur Internet. Certaines personnes ont suggéré qu’une nouvelle pandémie était d’ores et déjà planifiée, tandis que d’autres affirmaient que le Forum Économique Mondial et l’OMS nourrissait de fausses peurs pour acquérir un contrôle mondial sur les politiques nationales de santé publique.

Compte tenu du malentendu concernant ce qu’est la « Maladie X » et de quoi traitait la table ronde, cet article examinera ce que recouvre ce concept dans le contexte de la préparation aux pandémies, afin que le lecteur puisse distinguer entre les informations exactes et les théories du complot.

Qu’est-ce que la Maladie X?

Le terme « Maladie X » possède clairement une connotation mystérieuse, ce qui a pu contribuer à la propagation d’informations non vérifiées à son sujet. Cependant, la Maladie X est simplement le nom donné à un pathogène éventuel, encore inconnu et qui pourrait émerger un jour et causer une pandémie.

Lors du panel de discussion du Forum Économique Mondial, Tedros a défini la Maladie X comme « un nom temporaire pour une maladie inconnue ». Il a expliqué que l’OMS tient une liste de maladies émergentes connues à surveiller, telles qu’Ebola et Zika. Il a également souligné que l’OMS est consciente que tous les pathogènes potentiellement dangereux ne nous sont pas connus et qu’il est très probable qu’un jour, un tel pathogène émerge. L’OMS avait donc besoin d’un nom pour cette menace, d’où « Maladie X ».

Sur son site web, l’OMS explique que :

« La Maladie X représente la prise de conscience qu’une pandémie grave pourrait être causée par un pathogène actuellement inconnu et qui causerait des maladies humaines. Le Plan Directeur de R&D cherche explicitement à permettre une préparation à la R&D transversale précoce qui est également pertinente pour une ‘Maladie X’ inconnue »

Ainsi, la Maladie X n’est pas un pathogène réel, ni une preuve qu’une pandémie arrivera sous peu. En fait, elle illustre le fait qu’il faille reconnaître la possibilité de l’émergence, un jour, d’un nouveau pathogène à potentiel pandémique. Cela se rapproche donc de l’idée du « Big One », le tremblement de terre hypothétique et massif qui pourrait un jour frapper la Californie.

Contrairement à ce que certains peuvent croire, la Maladie X n’est pas un concept nouveau et existait bien avant la réunion du Forum Économique Mondial en 2024 et même avant la pandémie de COVID-19. Des documents de l’OMS expliquent qu’elle a pris ses racines dans la crise d’Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016. Durant ces années, une épidémie d’Ebola qui avait commencé en Guinée s’est propagée aux pays voisins comme la Sierra Leone et le Libéria, et même à des pays plus éloignés, comme l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Sept personnes ont été diagnostiquées avec Ebola aux États-Unis et une est décédée.

Témoignant directement de la menace des maladies émergentes et du besoin d’une réponse mondiale coordonnée, les nations membres de l’OMS ont demandé à l’organisation de renforcer la « préparation mondiale et d’assurer] la capacité de l’OMS à se préparer et à répondre aux futures épidémies et urgences sanitaire à grande échelle.

L’OMS a répondu à la demande en établissant un plan directeur de recherche et développement (R&D) en 2015 pour améliorer la préparation contre les pandémies. Un des principaux résultats de ce plan directeur fut une liste de pathogènes dangereux avec un potentiel pandémique, afin de concentrer sur eux le financement, la recherche et les efforts de préparation.

Les experts de l’OMS ont sélectionné ces pathogènes sur la base de plusieurs critères :

  • Transmissibilité humaine : la facilité avec laquelle le pathogène peut se propager parmi la population
  • Sévérité : la probabilité qu’une personne infectée meure
  • Potentiel de zoonose : la facilité avec laquelle un pathogène qui infecte habituellement d’autres animaux pourra infecter les humains
  • Potentiel évolutif : la vitesse à laquelle le pathogène évolue, entravant ainsi les efforts pour développer des vaccins contre celui-ci
  • Mesures de protection disponibles : s’il existe ou non des moyens efficaces pour prévenir la transmission, guérir ou au moins atténuer les conséquences de l’infection
  • Difficulté de détection : si la maladie peut se propager inaperçue parmi la population, augmentant le risque de détection tardive
  • Contexte de santé publique des zones affectées : si la maladie est susceptible de se produire dans des zones mal équipées pour gérer la crise
  • Portée potentielle de l’épidémie : la probabilité que la maladie se propage dans le monde entier
  • Impact sociétal potentiel : la probabilité que la maladie perturbe la stabilité et le fonctionnement de la société

En conséquence de ces critères, certaines maladies bien connues comme le SIDA, la tuberculose et le paludisme ont été mises de côté. Bien qu’elles puissent être mortelles et ont un net potentiel pandémique, de nombreux systèmes de surveillance et de prévention ainsi que des solutions thérapeutiques existent déjà.

Les six maladies connues de cette liste établie en 2015 étaient la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, les maladies à filovirus (Ebola et Marburg), les coronavirus émergents hautement pathogènes pour l’homme (MERS et SARS-Cov-1), la fièvre de Lassa, Nipah et la fièvre de la Vallée du Rift.

Cependant, l’OMS a également inclus un septième élément à la liste : « une nouvelle maladie ». La raison en est que l’émergence future d’une nouvelle maladie infectieuse est plausible. En effet, plusieurs de ces six maladies prioritaires ne sont apparues chez l’humain que récemment. Par exemple, Ebola a été décrit pour la première fois en 1976, Nipah en 1999, le SARS-CoV-1 en 2003, et le MERS en 2012.

Les données disponibles indiquent que ces virus sont apparus chez les humains suite à une transmission depuis des réservoirs animaux (infection zoonotique). Par exemple, le coronavirus du MERS est passé des chameaux aux humains[1]. On pense que le virus Nipah est porté par des chauves-souris frugivores, puis s’est propagé aux porcs avant de passer aux humains.

De plus, de nombreuses pandémies ont frappé l’humanité au cours de l’histoire, telles que la Peste Noire au Moyen Âge; les grippes espagnole, asiatique, de Hong Kong, et porcine; et le VIH/SIDA.

Cette histoire démontre un fait incontournable : de nouveaux pathogènes émergent de temps en temps, et certains d’entre eux peuvent causer des pandémies. Par conséquent, il n’y a aucune raison plausible de croire que cela ne se reproduira pas. L’émergence du SARS-CoV-2, le virus qui cause la COVID-19, fin 2019 a prouvé que l’OMS avait raison.

L’OMS a ensuite mis à jour sa liste de potentiel pandémique en 2017 et à nouveau en 2018, avec de nouvelles maladies telles que Zika entrant dans la liste. Bien qu’aucune référence à une maladie hypothétique inconnue n’apparaisse dans la version de 2017, la version plus récente de 2018 a ramené ce concept sous le nom de « Maladie X ». L’OMS a annoncé qu’elle mettra à jour la liste à nouveau en 2024.

En résumé, la « Maladie X » est un concept qui existe dans la communauté internationale depuis 2015 au moins. Il illustre le fait que nous ne connaissons pas tous les pathogènes qui pourraient un jour causer une pandémie et que la communauté mondiale devrait être préparée à la fois contre l’éruption de pathogènes connus et inconnus.

L’importance de la préparation

La préparation est nécessaire pour répondre efficacement à l’émergence d’un nouveau pathogène. Cela inclut la réalisation d’exercices de simulation de flambées épidémiques, la révision et la mise à jour des directives actuelles, ainsi que l’amélioration de la synergie entre tous les acteurs d’une réponse à une crise sanitaire. Le titre d’un éditorial du Lancet Respiratory Medicine dédié au sujet l’illustre bien : « l’échec de la préparation est la préparation de l’échec».

Les analyses de la manière dont les pays et la communauté internationale ont géré la pandémie de COVID-19 ont montré que la préparation à la pandémie aux niveaux local, national et international était médiocre.

Le Rapport mondial sur les catastrophes 2022 de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) note que les pays ont été trop lents à signaler et à traiter la flambée initiale de COVID-19. Il pointe également du doigt la sous-performance des systèmes de fabrication, de distribution et de stockage de ressources cruciales telles que les équipements de protection, les médicaments et les vaccins.

De plus, le rapport souligne le manque de directives sur la réponse aux crises sanitaires à chaque niveau d’administration, un système de santé et des filets de sécurité sociale sous-taillés, ainsi qu’un manque de collaboration internationale, conduisant à l’élargissement des inégalités socio-économiques face à la pandémie.

Une commission d’analyse organisée par The Lancet, qui a rassemblé 173 experts en politique publique, coopération internationale, épidémiologie et vaccinologie, économie et systèmes financiers, sciences de la durabilité et santé mentale, partage le point de vue du FICR.

Cette commission a identifié des échecs dans :

  • La communication en temps utile de la flambée initiale de COVID-19 et du mode de transmission aérien de la maladie
  • L’acheminement adéquat de l’équipement, des ressources et des fonds vers les communautés les plus à risque
  • La publication rapide de données précises sur les cas de COVID-19, les décès et les variants du SARS-CoV-2[2].

Non seulement le monde n’était pas préparé à une pandémie, mais il le reste après le COVID-19. « Au moment de la rédaction de ce rapport, tous les pays restent dangereusement sous-préparés à de futures épidémies », écrit la FICR.wrote in its report.

L’éditorial du Lancet Respiratory Medicine a fait écho à ce sentiment, affirmant que « actuellement, de nombreux pays sont gravement sous-préparés pour mettre en œuvre des plans de prévention ou de réponse à de futures pandémies […] pour se préparer pleinement aux futures pandémies, l’investissement dans des mécanismes de prévention, de détection et de réponse aux pathogènes émergents est crucial ».

La FICR et la commission du Lancet ont également souligné l’importance des collaborations multilatérales dans la réponse mondiale aux risques biologiques émergents. Ainsi, loin d’être de l’alarmisme, les discussions sur la Maladie X font réellement partie d’un effort nécessaire pour renforcer la capacité du monde à se préparer aux crises de santé publique.

Exemples de désinformation

L’inclusion de la Maladie X dans les discussions du Forum Économique Mondial a conduit à de nombreux commentaires sur internet, déformant parfois le concept de Maladie X. De nombreuses affirmations laissent entendre en effet que la Maladie X est avant tout une tentative de prise de pouvoir par des institutions comme l’OMS, soit en provoquant ou en planifiant une nouvelle pandémie, soit en sonnant inutilement l’alarme à propos d’une menace qui n’existe pas.

Par exemple, un billet de l’ostéopathe Joseph Mercola, repris en français, affirme que «la raison pour laquelle nous pouvons être sûrs qu’il y aura d’autres pandémies, qu’elles soient fabriquées uniquement par la peur et le battage médiatique ou qu’il s’agisse d’une véritable arme biologique créée dans ce but précis, est que le plan de prise de contrôle, alias la Grande Réinitialisation, est basé sur le principe que nous avons besoin d’une surveillance mondiale de la biosécurité et d’une réponse centralisée». Mercola a déjà diffusé des informations erronées sur la santé par le passé. Or, comme nous l’avons montré ci-dessus, ces affirmations sont incompatibles avec la réalité : les efforts de préparation aux pandémies sont nécessaires car nous savons que de nouvelles maladies émergent. Ces efforts ne montrent en aucune manière que les pandémies sont « planifiées » ou « fabriquées ».

D’autres affirmations sous-entendent que la Maladie X résulterait de pathogènes créés en laboratoire pour leur libération intentionnelle dans la population. Par exemple, Mercola ajoute également : «Il est assez facile de prédire une nouvelle épidémie virale si l’on dispose d’un virus qui attend dans les coulisses », insinuant que les personnes plaidant pour une préparation accrue aux pandémies mettent également au point un nouveau pathogène en laboratoire.

Les partisans de ces affirmations, comme Mercola, illustrent fréquemment leurs propos par des résultats récents d’une équipe chinoise sur un coronavirus de pangolin appelé GX_P2V. Wei et ses collègues ont publié une pré-publication (une étude qui n’a pas encore été évaluée par des pairs) rapportant que le coronavirus GX_P2V était capable d’infecter des souris dites « humanisées” . Plus précisément, ces souris ont été génétiquement modifiées pour que leurs cellules expriment une protéine humaine appelée ACE2. ACE2 est le récepteur moléculaire que le SARS-CoV-2 utilise pour entrer et infecter nos cellules. Wei et al. ont rapporté que l’infection par GX_P2V chez ces souris humanisées avait un taux de mortalité de 100%.

Le fait d’associer directement les recherches de Wei et al. aux commentaires sur la Maladie X crée le sous-entendu très net que cette recherche pourrait conduire à une future pandémie ou, plus généralement, que la Maladie X proviendra de recherches en laboratoire.

Cependant, cette suggestion est dénuée de fondements scientifiques. Angela Rassmussen, virologue à l’Université de Saskatchewan, a expliqué sur Twitter/X que les résultats de Wei et al. ne représentent pas nécessairement la capacité du virus à causer une maladie chez les humains. Cela s’explique par le fait que les chercheurs ont utilisé un type de souris qui exprime des niveaux anormalement élevés de protéine ACE2 sur toutes les cellules. Or, ce n’est pas le cas dans le corps humain, où seuls certains tissus présentent le récepteur ACE2 et seulement à des niveaux modérés.

« La raison pour laquelle cela a été si mortel chez ces souris particulières est parce qu’elles sont conçues pour soutenir une croissance massive du virus. Il y a un gain de fonction chez les souris – des niveaux élevés d’ACE2 humain partout – et non pas chez le virus. »

Pour résumer, les pandémies passées, ainsi que les pathogènes émergents inscrits sur la liste de vigilance de l’OMS, ont trouvé leur origine la plupart du temps dans la faune avant de franchir la barrière des espèces et infecter l’humain. Bien que la possibilité d’une fuite de laboratoire ne puisse être exclue, il n’y a actuellement aucune raison de supposer, en l’absence de preuves supplémentaires, que le terme « Maladie X » inventé par l’OMS se réfère spécifiquement à des pathogènes conçus en laboratoire.

Références

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