- Climat
Le verdissement de la planète utilisé dans un raisonnement trompeur par François Gervais omettant les impacts négatifs du changement climatique
À RETENIR
- Un “verdissement” de la planète est mesuré depuis les années 80, s’expliquant principalement par la hausse du CO2 dans l’atmosphère qui augmente la photosynthèse.
- Il témoigne de plusieurs changements : augmentation du nombre de récoltes annuelles, de la taille ou du nombre de feuilles par plants, de la densité des plantes et une modification de la composition des espèces ou encore de la durée saisonnière de la présence des feuilles.
- Cette observation ne signifie pas que la hausse du CO2 atmosphérique n’a que des effets positifs : le réchauffement global provoqué par la hausse du CO2 atmosphérique affecte déjà négativement les rendements agricoles dans le monde, en raison notamment de la hausse des évènements extrêmes comme les sécheresses et inondations. Les qualités nutritives des cultures baissent également.
- Malgré l’effet fertilisant de la hausse du CO2 atmosphérique, les projections montrent une diminution des rendements agricoles à mesure que le niveau global de réchauffement augmente.
ÉLÉMENT ANALYSÉ
Verdict :
Affirmation :
La planète verdit grâce au CO2, c’est une bonne nouvelle pour nourrir la population.
DÉTAIL DU VERDICT
Trompeur :
Bien que le CO2 contribue à augmenter la croissance des plantes, ses impacts négatifs – comme la hausse des sécheresses ou des inondations et la diminution de la qualité nutritive des cultures – contrebalancent en partie les effets positifs sur la végétation. Les rendements agricoles sont déjà affectés par le changement climatique, et les scientifiques prévoient des conséquences négatives plus importantes à l’avenir.
affirmation complète
« La Terre connaît une énorme augmentation de la végétation. C’est une excellente nouvelle compte tenu du doublement de population sur la Terre en 50 ans. Le CO2 est la nourriture indispensable et irremplaçable de la végétation. Ces 50 dernières années, la population mondiale a doublé, et il faut bien nourrir tout le monde. Comme les plantes nutritives sont concernées par ce verdissement, par cette augmentation de la superficie végétale […], c’est une bonne nouvelle pour pouvoir nourrir tout le monde sur cette planète.
Vérification
Parmi les arguments fréquemment avancés pour déformer les faits sur le changement climatique, les bons effets du CO2 sont souvent cités : par exemple, le CO2 serait bon pour les plantes, pour nourrir les humains et donc pour la planète. Ce raisonnement est fallacieux car il omet les effets négatifs du changement climatique sur les écosystèmes.
Grâce à la photosynthèse, les plantes convertissent le CO2, l’eau et la lumière en oxygène et en sucres essentiels à leur développement. Des concentrations plus élevées de CO2 stimulent la photosynthèse des plantes[1]. Mais le réchauffement climatique induit par la hausse du CO2 dans l’atmosphère influence également la végétation. Sara Vicca, professeure adjointe à l’Université d’Anvers, expliquait déjà à Science Feedback pour un précédent article : « Les avantages de l’augmentation des concentrations de CO2 pour la croissance des plantes sont de plus en plus contrebalancés par les impacts négatifs, en particulier du réchauffement climatique. Cela est vrai tant pour les écosystèmes naturels que agricoles. » Frances Moore, professeure adjointe à l’Université de Californie Davis, répondait également à Science Feedback dans un courriel :
« Nous constatons qu’avec un réchauffement supérieur à environ 1°C, les effets néfastes du réchauffement l’emportent sur les effets bénéfiques du CO2, ce qui se traduit par des effets négatifs nets sur les rendements agricoles. »
LE VERDISSEMENT EST UN PHÉNOMÈNE BIEN DOCUMENTÉ
Cet argumentaire est employé en janvier 2025 par François Gervais dans Tocsin média. Ce physicien à la retraite est l’auteur de livres niant les faits scientifiques concernant le changement climatique, et l’Arcom a émis une mise en garde contre Sud Radio pour une émission dans laquelle il était invité en raison de « déclarations contredisant ou minimisant le consensus scientifique existant sur le dérèglement climatique actuel. » François Gervais s’appuie sur une étude récente[2] faisant état du verdissement des surfaces continentales terrestres pour déclarer que : « La Terre connaît une énorme augmentation de la végétation. C’est une excellente nouvelle, compte tenu du doublement de population sur la Terre en 50 ans. Le CO2 est la nourriture indispensable et irremplaçable de la végétation. »
Qu’est-ce que le verdissement évalué dans cette étude citée par Gervais ? Il est une mesure globale de l’état de la végétation basé sur des mesures satellite. Grâce aux radiomètres (des instruments qui mesurent le rayonnement électromagnétique) embarqués dans différentes missions satellites, il est possible de mesurer la verdure de la canopée. Or celle-ci est corrélée à l’activité de photosynthèse des plantes[3]. Lorsqu’on parle de verdissement, cela fait donc référence à une augmentation significative de la verdure annuelle ou saisonnière dans une zone donnée. En pratique, cela peut être le signe de différents changements dans la végétation : une augmentation de la taille ou du nombre de feuilles par plante, de la densité des plantes, de la durée de la présence des feuilles, un changement d’espèces ou encore une hausse du nombre de récoltes annuelles[3].
La cause : à l’échelle globale, le verdissement s’explique principalement par l’effet fertilisant de la hausse du CO2 dans l’atmosphère (il explique près de 70% du verdissement), qui augmente la photosynthèse des plantes[3]. Il est important de noter qu’à l’échelle régionale, d’autres facteurs liés aux activités humaines sont également notables : le changement climatique (la hausse des températures favorise la croissance des plantes dans les hautes latitudes Nord); le changement d’usage des sols (la déforestation ou le reboisement); et l’intensification de l’agriculture (fertilisants chimiques, irrigation, etc.).
Luis V. García, co-auteur de l’étude, indique à Science Feedback :
« Nous ne découvrons rien de nouveau et nous ne changeons aucun paradigme lié au verdissement de la planète. »
Le verdissement est un phénomène bien documenté. En 2016, un article publié dans Nature climate change montrait déjà un verdissement de 25 à 50% des surfaces végétalisées mondiales entre 1982 et 2009[4]. Le verdissement n’est pas homogène : dans un article de synthèse, des auteurs notent qu’il est plus important aux hautes latitudes et dans les régions tempérées de l’hémisphère Nord[3]. En particulier, il est important dans les zones d’agriculture intensive (en Inde) et de reboisement (en Chine). Il est donc simpliste d’affirmer que le verdissement représente uniquement une augmentation des cultures à travers le monde.
L’AFFIRMATION DE GERVAIS EST TROMPEUSE : LE CO2 A AUSSI DES EFFETS NÉGATIFS SUR LES RÉCOLTES
Ce verdissement est-il pour autant une « bonne nouvelle pour nourrir la planète » comme l’affirme Gervais ? Cette affirmation est trompeuse car elle omet d’autres faits établis. La hausse du CO2 atmosphérique a aussi des retombées négatives sur l’agriculture, qui vont s’amplifier à l’avenir. Notamment, si la hausse du CO2 entraîne une croissance plus importante des plantes, elle diminue aussi leur valeur nutritive.
Une étude montre une « baisse constante des teneurs en vitamines B1, B2, B5 et B9 et, inversement, une augmentation de la vitamine E » dans le riz, une source alimentaire clé pour plus de deux milliards de personnes dans le monde[5]. D’autres auteurs mettent en évidence une diminution du contenu en protéines, fer et zinc dans de nombreuses cultures (blé, riz, pois, soja, maïs, sorgho) en raison de la hausse du CO2 atmosphérique (voir figure 1)[6].
Dans un modèle intégrant les effets positifs et négatifs de la hausse du CO2 sur les cultures, une équipe synthétise les retombées nutritionnelles pour les populations[7] :
« Les effets combinés des augmentations prévues du CO2 atmosphérique […] réduiront la croissance de la disponibilité mondiale des nutriments de 19 à 5 % pour les protéines, de 13 à 6 % pour le fer et de 14 à 6 % pour le zinc par rapport aux gains attendus grâce à la technologie et au marché d’ici à 2050. Les nombreux pays qui présentent actuellement des niveaux élevés de carence en nutriments continueront d’être touchés de manière disproportionnée. »
LA HAUSSE DU CO2 ATMOSPHÉRIQUE PROVOQUE UN RÉCHAUFFEMENT GLOBAL AFFECTANT LES ÉCOSYSTÈMES
Enfin, affirmer que la hausse du CO2 est une bonne nouvelle pour la planète est un raisonnement fallacieux qui omet les retombées négatives du réchauffement climatique sur les écosystèmes. La hausse du CO2 atmosphérique lié aux activités humaines provoque un réchauffement global[8] dont les effets sur la planète sont multiples et affectent également les plantes. Comme le synthétise le GIEC : « Le changement climatique affecte déjà la sécurité alimentaire en raison du réchauffement, des changements de précipitations et de la plus grande fréquence de certains événements extrêmes.»[9] (voir figure 2)
Comme Science Feedback l’expliquait déjà dans un précédent article, le changement climatique atténue la hausse des rendements agricoles – liés à la mécanisation et à l’amélioration des pratiques agronomiques – observée depuis le début du XXème siècle. Dans son sixième rapport de synthèse, le GIEC écrit[8] : « Bien que la productivité agricole globale ait augmenté, le changement climatique a ralenti cette croissance au cours des 50 dernières années à l’échelle mondiale, avec des effets négatifs principalement dans les régions de latitude moyenne et basse, mais des effets positifs dans certaines régions de latitude élevée. »
En 2022, une étude note que la plupart des scénarios de changement climatique tendent à montrer une prolifération des parasites dans le monde entier, et particulièrement dans les régions tempérées, augmentant ainsi le stress sur les cultures agricoles par exemple[10]. Les projections mettent également en évidence que les événements météorologiques extrêmes (précipitations, chaleur, sécheresses) engendreront un risque accru d’échec des cultures de maïs d’ici 2100[11]. À mesure que le réchauffement global augmente, il est avéré que les risques pour la biodiversité s’amplifient[8] (voir figure 3). Le GIEC écrit[1] : « [À l’avenir], les émissions de gaz à effet de serre auront un impact négatif sur la qualité de l’air, du sol et de l’eau, exacerbant les effets climatiques directs sur les rendements. »
L’ÉTUDE CITÉE PAR GERVAIS ÉTABLIT UNE NOUVELLE MÉTHODOLOGIE POUR ESTIMER LE VERDISSEMENT DE LA PLANÈTE
L’étude scientifique[2] citée dans l’interview a été publiée en janvier 2025 dans une revue scientifique. Elle fait état d’une nouvelle méthodologie pour évaluer le verdissement de la planète à partir de données satellites. Luis V. García, co-auteur de l’étude, répond à Science Feedback :
« Avec cette méthodologie, nous essayons de contrôler la proportion de faux positifs [ndlr : le nombre de pixels où le verdissement est faussement estimé comme positif] […]. Cela n’a rien à voir avec l’évaluation du changement climatique et ne peut pas être utilisé pour remettre en question quoi que ce soit en rapport avec le changement climatique. »
Les détails d’une nouvelle méthodologie y sont développés et comparés aux autres méthodes d’analyse des données satellites pour estimer le verdissement de la planète. García précise : « Notre travail introduit simplement une nouvelle méthode d’analyse des tendances. […] Il est appliqué au verdissement, mais nous l’avons également appliqué à d’autres cas d’études de tendances (couverture forestière, saisonnalité de la végétation…[12]) et nous avons également rédigé récemment un document de discussion sur ce sujet[13]. » Cette étude s’inscrit dans la démarche scientifique classique, où développer et tester de nouvelles méthodologies fait partie intégrante de la méthode scientifique.
Grâce à cette nouvelle analyse, les auteurs calculent que 38,1% de la surface terrestre de la planète a verdi entre 1982 et 2023 (voir figure 4), contre 50,9% avec les méthodes précédemment utilisées.
CONCLUSION
Comme le montre de nouveau une étude publiée ce mois-ci, un verdissement de la planète est mesuré depuis les années 80. Ce verdissement (principalement expliqué par la hausse du CO2 atmosphérique) peut témoigner de plusieurs changements dans la végétation mondiale : hausse du nombre de récoltes annuelles, de la taille ou du nombre de feuilles par plants, de la densité des plantes, une modification de la composition des espèces ou encore de la durée saisonnière de la présence des feuilles. Cette observation est utilisée par François Gervais dans une rhétorique fallacieuse affirmant qu’elle est une « bonne nouvelle », une conclusion qui ne peut être atteinte qu’en niant les retombées négatives des émissions de CO2 dans l’atmosphère et les excluant ainsi du raisonnement. Ce raisonnement omet les impacts négatifs du réchauffement global provoqué par la hausse du CO2 atmosphérique, ce qui ne doit pas être fait si l’on cherche à savoir si nos émissions de CO2 sont une “bonne” ou une “mauvaise” nouvelle. Nos émissions affectent déjà les rendements agricoles dans le monde, en raison notamment de la hausse des évènements extrêmes comme les sécheresses et inondations. De plus, la hausse du CO2 atmosphérique diminue les qualités nutritives des cultures. Malgré l’effet fertilisant de la hausse du CO2 atmosphérique, les projections montrent une diminution des rendements agricoles à mesure que le niveau global de réchauffement augmente.
Science Feedback a sollicité François Gervais. L’article sera mis à jour si de plus amples informations nous sont communiquées.
RÉFÉRENCES
- 1 – GIEC (2022) Chapter 5: Food, Fibre and Other Ecosystem Products dans Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability, 6ème rapport de synthèse
- 2 – Gutiérrez-Hernàndez (2025) Uncovering true significant trends in global greening. Remote Sensing Applications:Society and Environment
- 3 – Piao et al. (2020) Characteristics, drivers and feedbacks of global greening. Nature Reviews Earth & Environment.
- 4 – Zhu et al. (2016) Greening of the Earth and its drivers. Nature Climate Change.
- 5 – Zhu et al. (2016). Carbon dioxide (CO2) levels this century will alter the protein, micronutrients, and vitamin content of rice grains with potential health consequences for the poorest rice-dependent countries. Science Advances.
- 6 – Myers et al. (2014) Increasing CO2 threatens human nutrition. Nature.
- 7 – Beach et al. (2019) Combining the effects of increased atmospheric carbon dioxide on protein, iron, and zinc availability and projected climate change on global diets: a modelling study. The Lancet Planetary Health.
- 8 – GIEC (2023) Climate Change Synthesis Report. Summary for Policymakers. 6ème rapport de synthèse.
- 9 – GIEC (2019) Summary for Policymakers. In: Climate Change and Land: an IPCC special report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems
- 10 – Schneider et al. (2022) The effect of climate change on invasive crop pests across biomes. Current Opinion in Insect Science.
- 11 – Raymond et al. (2022). Increasing spatiotemporal proximity of heat and precipitation extremes in a warming world quantified by a large model ensemble. Environmental Research Letters.
- 12 – Gutiérrez-Hernàndez et Garcìa (2024) Trends in Vegetation Seasonality in the Iberian Peninsula: Spatiotemporal Analysis Using AVHRR-NDVI Data (1982–2023). Sustainability.
- 13 – Gutiérrez-Hernàndez et Garcìa (2025) The ghost of selective inference in spatiotemporal trend analysis. Science of the Total Environment.
Feedback des scientifiques
Luis V. García
Chercheur associé, Spanish National Research Council
Notre travail introduit simplement une nouvelle méthode d’analyse des tendances. Dans le cas que vous mentionnez, il est appliqué au verdissement, mais nous l’avons également appliqué à d’autres cas d’études (couverture forestière, saisonnalité de la végétation…[12]) et nous avons également rédigé récemment un document de discussion sur ce sujet[13]. Avec cette méthodologie, nous essayons de contrôler la proportion de faux positifs à un niveau prédéterminé, ce qui n’est pas toujours le cas. Cela n’a rien à voir avec l’évaluation du changement climatique et ne peut être utilisé pour remettre en question quoi que ce soit lié au changement climatique. En outre, nous ne découvrons rien de nouveau et nous ne changeons aucun paradigme lié au verdissement de la planète.
Il s’agit simplement d’une proposition visant à accroître la rigueur statistique des études qui utilisent des tests d’hypothèse massifs pour contrôler explicitement la proportion attendue de faux positifs et améliorer la reproductibilité des résultats. L’objectif est d’identifier des tendances solides auxquelles est associé un « indicateur d’incertitude ».