- Santé
La vitamine C n’est pas à ce jour un traitement reconnu du cancer
À RETENIR
- Un cancer ne se guérit pas « en 2 à 6 semaines ». La durée jusqu’à la guérison est variable, elle est prononcée au bout d’une période de rémission de 5 ans en moyenne.
- La vitamine C n’est pas à ce jour un traitement reconnu du cancer. Les recherches en cours mettent en œuvre la vitamine C non pas seule mais en traitement complémentaire à la chimiothérapie et/ou à la radiothérapie et/ou l’immunothérapie, notamment pour savoir si elle peut améliorer leur efficacité et augmenter la survie des patients.
- Seules des études de phase 3 (études sur un effectif important de patients) seraient à même de montrer un réel bénéfice de l’utilisation de la vitamine C par rapport à d’autres traitements. Dans la seule étude de phase 3 identifiable dont les résultats ont été publiés, la vitamine C n’a pas permis d’augmenter la survie des patients.
ÉLÉMENT ANALYSÉ
Verdict :
Affirmation :
détail DU Verdict
Erroné :
Un cancer ne peut être guéri en quelques semaines et la vitamine C n’est pas un traitement reconnu du cancer.
Exagère la certitude scientifique :
Des études menées sur un petit nombre de patients ne suffisent pas à conclure à une efficacité de la vitamine C.
AFFIRMATION COMPLÈTE
« Chaque cancer peut être guéri entre 2 à 6 semaines…. grâce à une cure connue depuis 1930… » (Silvano Trotta)
« En Europe, mes collègues médecins et moi avons utilisé des injections intraveineuse de vitamine C à raison de 100cc par jour [centimètres cubes] trois fois par semaine, parfois davantage. Très souvent, selon mon expérience, les tumeurs disparaissent souvent en quelques jours grâce à la vitamine C, qui est un des plus puissants remèdes naturels. » (Leonard Coldwell)
Vérification
La promotion de prétendus remèdes miracles pour la guérison des cancers est une forme récurrente de la désinformation. Le 10 décembre 2024, Silvano Trotta déclare dans un tweet « Chaque cancer peut être guéri entre 2 à 6 semaines…. grâce à une cure connue depuis 1930… ». Silvano Trotta n’est pas médecin mais entrepreneur dans les télécommunications. Il publie sur les réseaux sociaux sur de très nombreux sujets et il est un propagateur actif de désinformation, comme Science Feedback l’a démontré (lire aussi cette enquête sur ses activités).
Le tweet de Silvano Trotta relaye une vidéo de l’américain Léonard Coldwell, dont le véritable nom est Bernd Klein, né en Allemagne et installé aux États-Unis. Il est également connu sous le nom de “Bernd Witchner” ou “Dr C.” Sur son site, il se présente comme “soigneur” avec le titre de “Dr” (titulaire d’une thèse, pas forcément de médecine, dans les pays anglo-saxons). Nous avons contacté Leonard Colwell pour lui demander s’il détient le titre de docteur en médecine (Medical doctor ou “MD” aux États-Unis) ainsi que ses sources scientifiques et mettrons à jour cet article le cas échéant. En 2022, Coldwell prétendait, de manière erronée, qu’une tumeur est une « bulle de toxines », ou encore que biopsies et mammographies causent le cancer.
Il est faux de prétendre qu’on peut guérir un cancer en quelques semaines. D’autres propos tenus par Trotta sur le sujet se basent sur des études bien spécifiques, ce qui ne suffit pas pour en tirer des conclusions générales étayées quant à l’efficacité de la vitamine C contre tous les cancers. Dans ce qui suit, nous montrons que la vitamine C, dont l’efficacité supposée est relayée par Trotta, n’est pas reconnue à ce jour comme un traitement du cancer. Elle est aujourd’hui étudiée à titre de complément aux thérapies classiques (chimiothérapie, radiothérapie, immunothérapie), dans le but de savoir si elle permet d’augmenter leur efficacité ainsi que la survie des patients.
La guérison d’un cancer nécessite plusieurs années
La guérison d’un cancer après traitement ne peut être déclarée qu’au bout d’une période de rémission suffisamment longue, durant laquelle les symptômes de la maladie ont disparu et on ne détecte plus aucune cellule cancéreuse qui pourrait provoquer une rechute. L’Institut national du cancer précise ainsi que « Cette durée dépend du type de cancer. Elle est souvent de plusieurs années, cinq ans en moyenne ».
Plus précisément, la durée au bout de laquelle cette guérison est possible dépend de plusieurs paramètres dont le type de cancer, le sexe et l’âge des patients. Une étude publiée en 2019 a porté sur 335 358 tumeurs solides (c’est-à-dire celles où les cellules cancéreuses forment des masses, ce qui exclut les cancers du sang) diagnostiquées entre 1995 et 2009, et documentées dans FRANCIM, le réseau français du registre des cancers. L’équipe a examiné le temps nécessaire jusqu’à la guérison et la proportion de personnes guéries[1].
Pour le temps nécessaire jusqu’à guérison, les auteurs ont distingué trois catégories :
- Temps de guérison inférieur à 5 ans :
Cancer des testicules, de la thyroïde et mélanome
- Entre 5 et 10 ans :
Cancers digestifs (sauf intestin grêle) et gynécologiques
- Plus de 10 ans :
Cancer de la prostate, des voies urinaires et du sein
Il faut noter que la proportion de patients qui accèdent à ce groupe de guéris est très variable, elle va « de 72-88% pour les cancers de la prostate et du sein, jusqu’à 4-16% pour celui du pancréas », indiquent les auteurs (voir figure 1).
La plupart des cancers ne sont donc pas réellement « guéris en 2 à 6 semaines ». D’une manière générale, les traitements s’étalent sur plusieurs mois et un suivi médical est ensuite nécessaire, même pour les cancers guéris le plus « rapidement », comme celui de la thyroïde, qui nécessite de surcroît la prise d’hormones à vie.
La vitamine C et le cancer, une histoire ancienne
Quelle est donc cette « cure connue depuis 1930 » qui obtiendrait des résultats miraculeux ? Dans la vidéo relayée par Trotta, Coldwell déclare : “Tous les cancers peuvent être soignés en deux à seize semaines” (et non pas “six semaines”, selon la traduction erronée de Trotta, mais l’ordre de grandeur reste le même). Il dispense également des conseils nutritionnels censés rendre le corps plus « alcalin » et lutter ainsi contre le cancer, une autre allégation non prouvée, puis indique notamment (traduit de l’anglais) : « En Europe, mes collègues médecins et moi avons utilisé des injections intraveineuse de vitamine C à raison de 100cc [centimètres cubes] par jour trois fois par semaine, parfois davantage. Très souvent, selon mon expérience, les tumeurs disparaissent souvent en quelques jours grâce à la vitamine C, qui est un des plus puissants remèdes naturels. »
Nous n’avons pas trouvé de trace de publications scientifiques au nom de Leonard Coldwell sur le sujet dans la base de publications médicales PubMed. Quant à ses « collègues » européens, celui-ci fait peut-être allusion, à certaines cliniques privées en Allemagne où des traitements « alternatifs » du cancer sont proposés (voir citation plus bas).
Science Feedback a déjà consacré une vérification (en anglais) aux prétendus bienfaits thérapeutiques de la vitamine C contre les cancers, en concluant à la faiblesse des données disponibles. Son utilisation a été suggérée pour la première fois dans les années 1950 par le médecin William J. McCormick, qui a émis l’hypothèse que les métastases qu’il observait chez ses patients étaient causées par une mauvaise formation de collagène due à une carence en vitamine C[2].
Dans les années 1970, le chimiste Linus Pauling (Prix Nobel en 1954) s’en est fait le promoteur. Pour tester ses effets sur le cancer, une étude a été menée par Pauling et un médecin, Ewan Cameron. Un groupe de 100 patients atteints de différents types de cancer en phase terminale a reçu de la vitamine C par voie orale et par injection[3]. L’évolution de la maladie de chaque participant a été comparée rétrospectivement à celle de dix patients traités de la même manière, mais qui n’avaient pas reçu de vitamine C. L’étude a fait état d’une amélioration de la durée de survie des patients recevant de la vitamine C jusqu’à 4 fois supérieure à celle du groupe de contrôle. Cependant, la conception des deux études a fait l’objet de critiques sur ses lacunes et biais méthodologiques.
Par la suite, deux études cliniques randomisées (le traitement administré au patient est tiré au sort : soit la vitamine C soit un placebo) menées à la Mayo Clinic aux États-Unis, publiées en 1979 et 1985, n’ont pas reproduit les résultats de Pauling et Cameron[4,5]. Cependant, elles mettaient en œuvre l’administration de vitamine C par voie orale seule. Or, l’administration par voie intraveineuse semble permettre d’obtenir des concentrations sanguines plus élevées de vitamine C (jusqu’à 70 fois plus élevées que par voie orale)[6].
Des données cliniques insuffisantes
Depuis, les recherches sur les effets de la vitamine C se poursuivent, en laboratoire sur des lignées de cellules issues de cancers, des modèles animaux, ou sur des patients malades. Plusieurs mécanismes d’action possibles sont explorés, recensés notamment dans une étude de revue systématique (évaluation critique d’un ensemble de travaux scientifiques, qui prend en compte notamment tous leurs biais) publiée en 2019, qui analyse les résultats de 19 articles scientifiques parus sur le sujet[7].
- Des études précliniques montrent que la vitamine C joue un rôle important dans le système immunitaire, en stimulant la production de cellules de l’immunité, mobilisées par l’organisme pour lutter contre les infections et les tumeurs cancéreuses.
- La vitamine C stimulerait la formation de composés réactifs de l’oxygène (ROS) toxiques pour les cellules cancéreuses.
- Elle pourrait induire des changement épigénétiques qui affectent l’ADN et influent sur la régulation des gènes dont ceux impliqués dans les cancers.
- Des études précliniques (sur des animaux de laboratoire) ont montré qu’il existe une synergie entre la vitamine C et certaines chimiothérapies ou immunothérapies (elles sont rendues plus efficaces par la vitamine C).
L’étude de revue systématique a analysé les 19 publications afin de savoir si l’administration de vitamine C en complément est plus efficace qu’un placebo ou qu’une non-administration dans les groupes de malades étudiés. Les auteurs concluent (traduit de l’anglais) : « Le résultat de cette analyse ne prouve pas qu’il existe un effet positif cliniquement pertinent de la supplémentation en vitamine C chez les patients atteints de cancer en général sur la survie globale, l’état clinique, la qualité de vie et l’état de performance [capacité d’un malade à accomplir certaines tâches, qui détermine son autonomie, NDLR], étant donné que la qualité des études publiées est faible. Les interventions et les groupes de patients sont très diversifiés, de sorte qu’un effet dans certains groupes de patients est possible. » Ainsi, les auteurs notent que l’apport de vitamine C a permis d’augmenter la survie et le taux de rémission d’un groupe de patients âgés traités pour une leucémie myéloïde aiguë et traités avec la Décitabine.
Il faut bien noter que ces recherches chez l’humain associent la vitamine C à des traitements anticancéreux conventionnels tels que la chimiothérapie. Elles n’utilisent pas la vitamine C seule, afin de ne pas priver les patients d’une thérapie éprouvée.
Dans un tweet précédent, daté du 22 novembre 2024, Silvano Trotta écrit : “J’avoue m’être pincé quand j’ai vu cet article dans Doctissimo ! Alors quand il y a encore peu je disais que juste de l’autre côté du Rhin, il y a des cliniques anti-cancer où ils injectent de la vitamine C en intraveineuse, j’ai eu droit à une armée de trolls gouvernementaux qui m’ont attaqués… Et là, Doctissimo écrit : « Une étude récente menée par l’Université de l’Iowa met en lumière l’efficacité de hautes doses de vitamine C administrées par voie intraveineuse comme traitement complémentaire contre certains cancers avancés, particulièrement difficiles à traiter comme le cancer du pancréas ou le glioblastome. » Et bien sauvegardez cet article avant que la censure arrive…”
L’article de Doctissimo relayé par Silvano Trotta avec des accents complotistes est toujours disponible en ligne au jour où nous publions cette vérification et ce type de recherches existe déjà, comme nous l’avons démontré plus haut.
L’article rapporte les résultats d’une étude portant sur 34 patients atteints de cancer du pancréas avec métastases, qui ont été divisés en deux groupes : l’un s’est vu administrer une chimiothérapie classique (groupe de contrôle), l’autre la chimiothérapie et de la vitamine C à dose élevée (75g) en intraveineuse trois fois par semaine. Le groupe qui a reçu la vitamine C a montré une survie moyenne de 16 mois, contre 8 mois pour le groupe de contrôle. Cependant, au bout de 40 mois, tous les patients sauf un sont décédés[8].
Une autre étude rapportée dans l’article concerne 55 patients atteints de glioblastome, une forme agressive de cancer du cerveau, qui ont reçu une combinaison de chimiothérapie, radiothérapie et injections de vitamine C. La survie moyenne a atteint 19,6 mois, contre 14,6 pour des groupes de patients « contrôles » étudiés précédemment, n’ayant pas reçu la vitamine C[9].
La nécessité d’essais cliniques de grande ampleur
Les résultats de ces études paraissent encourageants, d’autant que les auteurs rapportent également une meilleure tolérance à la chimiothérapie. Cependant, Silvano Trotta omet de préciser que ces travaux sur un petit nombre de patients et sur des cancers spécifiques ne suffisent pas, à elles seules, à prouver l’effet réel de la vitamine C. Pour cela, il faudra organiser des essais dits de « phase 3 » avec plusieurs centaines de patients, seuls à même de démontrer cette efficacité.
Les études de ce type sont très peu nombreuses à ce jour, comme en témoigne une recherche par mots-clés (« cancer » et « vitamin C » ou « ascorbate » et « phase 3 ») dans la base de données des essais cliniques du National Institute of Health américain et la base de données PubMed.
Une seule étude d’ampleur a été menée en Chine entre 2017 et 2019 sur 442 patients atteints de cancer colorectal avancé avec métastases. Les auteurs indiquent qu’un effet positif sur certains patients porteurs d’une mutation particulière (dite mutation RAS) est possible, mais que globalement, l’administration de vitamine C avec la chimiothérapie n’a pas permis d’augmenter la survie des patients en comparaison d’un groupe de contrôle avec chimiothérapie seule[10]. Une autre étude chinoise, portant également sur le cancer colorectal avec métastases, est en cours.
Conclusion
La vitamine C n’est pas à ce jour un traitement reconnu du cancer, qui ne se guérit pas « en 2 à 6 semaines ».
Les recherches en cours mettent en œuvre la vitamine C non pas seule mais en traitement complémentaire à la chimiothérapie et/ou à la radiothérapie et/ou l’immunothérapie, notamment pour savoir si elle peut améliorer leur efficacité et augmenter la survie des patients.
Les études ont été réalisées sur des cultures de cellules cancéreuses, chez l’animal ou, chez l’humain, sur de petits effectifs de patients. S’il peut y avoir des résultats pour certains cancers et certains profils de malades, les mécanismes en jeu sont complexes et nécessitent d’autres investigations.
À ce stade, il n’y a presque pas eu d’études de “phase 3” (études sur un effectif important de patients), seules à même de montrer un réel bénéfice de l’utilisation de la vitamine C par rapport à d’autres traitements.
Références:
- 1 – Romain et al. (2019) Time-to-cure and cure proportion in solid cancers in France. A population based study. Cancer Epidemiology
- 2 – Roa et al. (2020) Therapeutic Use of Vitamin C in Cancer: Physiological Considerations. Frontiers in pharmacology
- 3 – Cameron, Pauling (1976) Supplemental ascorbate in the supportive treatment of cancer : Prolongation of survival times in terminal human cancer. PNAS
- 4 – Creagan et al. (1979) Failure of High-Dose Vitamin C (Ascorbic Acid) Therapy to Benefit Patients with Advanced Cancer — A Controlled Trial. NEJM
- 5 – Moertel et al. (1985) High-Dose Vitamin C versus Placebo in the Treatment of Patients with Advanced Cancer Who Have Had No Prior Chemotherapy — A Randomized Double-Blind Comparison. NEJM
- 6 – Padayatti et al. (2004) Vitamin C Pharmacokinetics: Implications for Oral and Intravenous Use. Annals of internal medicine
- 7 – Van Gorkom et al. (2019) The Effect of Vitamin C (Ascorbic Acid) in the Treatment of Patients with Cancer: A Systematic Review. Nutrients
- 8 – Bodeker et al. (2024) A randomized trial of pharmacological ascorbate, gemcitabine, and nab-paclitaxel for metastatic pancreatic cancer. Redox biology
- 9 – Petronek et al. (2024) Magnetic Resonance Imaging of Iron Metabolism with T2* Mapping Predicts an Enhanced Clinical Response to Pharmacologic Ascorbate in Patients with GBM. Clinical cancer research