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Comment le CO2 réchauffe la Terre par l’effet de serre et pourquoi le CO2 n’est pas ‘saturé’ dans l’atmosphère terrestre

Posté le : 7 Août 2024

Credit: Columbia Climate School

Cela ne fait aucun doute: la climatologie peut être complexe. Mais cette complexité est parfois utilisée pour propager de fausses informations. Un exemple récurrent concerne le rôle du dioxyde de carbone (CO2) en tant que gaz à effet de serre[2]. Les preuves de l’effet de serre du CO2 sont bien établies et s’appuient sur un ensemble de données scientifiques débutant vers 1856 et développées pendant plus d’un siècle.

Étant donné la complexité de ce sujet, des pièces du ‘puzzle’ sont souvent sorties de leur contexte pour justifier des conclusions trompeuses et incorrectes niant l’influence du CO2 sur les températures mondiales. Par exemple, le 24 avril 2024, un article a été publié dans The Daily Sceptic affirmant que les émissions de CO2 ne peuvent pas réchauffer l’atmosphère parce qu’elle est « saturée ». La même affirmation est relatée dans la sphère francophone, par exemple sur X/Twitter en juillet 2024 par Silvano Trotta (un propagateur de désinformation comme nous le montrions déjà en janvier 2024) qui affirme que le “CO2 n’a aucun impact sur le “réchauffement climatique”” en citant la même étude que The Daily Sceptic. Étant donné la nature récurrente de cette affirmation, nous expliquons ci-dessous comment le CO2 fonctionne en tant que gaz à effet de serre, puis nous utilisons les données scientifiques pour examiner les récentes affirmations concernant la « saturation en CO2« .

UNE BRÈVE HISTOIRE DE L’ÉTUDE DU CO2 EN TANT QUE GAZ À EFFET DE SERRE

En restant dans l’atmosphère, le CO2 empêche le rayonnement infrarouge (un rayonnement à grande longueur d’onde) de s’échapper et réchauffe donc la surface de la Terre – un concept connu sous le nom d’effet de serre (décrit plus en détail dans la section suivante). Nous présentons ci-dessous quelques résultats historiques majeurs qui ont posé les bases de notre compréhension* des effets du CO2 en tant que gaz à effet de serre.

  • 1760 : Début de la révolution industrielle. Les niveaux de CO2 atmosphérique atteignent environ 280 parties par million (ppm)[1] – le niveau actuel (en août 2024) est de 424,3 ppm.
  • 1827 : Fourier, un mathématicien français, détermine que la quasi-totalité de la chaleur perdue par une planète l’est par le biais du rayonnement infrarouge (cela a joué un rôle important dans notre compréhension de l’effet de serre).
  • 1856 : Eunice Foote, une scientifique américaine, découvre que la lumière du soleil réchauffe l’air contenant de la vapeur d’eau et du CO2 (c’est-à-dire que certains gaz retiennent la chaleur).
  • 1859 : John Tyndall, un physicien irlandais, découvre que le CO2, la vapeur d’eau et l’ozone piègent efficacement la chaleur, même en quantités relativement faibles, tandis que d’autres gaz atmosphériques piègent peu la chaleur, en comparaison.
  • 1896 : Svante Arrhenius, un scientifique suédois, mesure le réchauffement dû à l’effet de serre du CO2.
  • 1938 : Guy S. Callendar, un ingénieur anglais, publie un article suggérant que les émissions humaines de CO2 augmentent les températures sur Terre.
  • 1955 : Gilbert Plass, un physicien canadien, calcule l’effet de l’ajout de CO2 sur le bilan radiatif de la Terre.
  • 1958 : Charles Keeling, un scientifique américain, commence à collecter des mesures quotidiennes de CO2 dans l’air au-dessus du volcan Mauna Loa, à Hawaï. Les mesures se poursuivent aujourd’hui.
  • 1967 : Manabe et Wetherald calculent l’augmentation de température prévue pour un doublement du CO2 en créant l’un des premiers modèles informatiques précis du climat de la Terre.
  • 1990 : Publication du premier rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui établit un lien entre l’augmentation des niveaux de CO2 et l’augmentation observée de la température mondiale.
  • 1990-2024** : Un grand nombre d’études présentent des preuves établissant un lien entre l’augmentation du CO2 et l’augmentation des températures mondiales – incluant des modèles des plus en plus précis, des études paléoclimatiques, des données satellites et des enregistrements de températures[2-7] (détaillés dans les sections suivantes).

Comme nous pouvons le constater, il ne s’agit pas d’un nouveau domaine d’étude mais d’un sujet étudié et discuté depuis plus de 100 ans. Cette distinction sera importante lorsque nous examinerons les affirmations concernant la ‘saturation en CO2’, abordées par les scientifiques depuis des décennies.

* Les études et les documents plus anciens/fondamentaux ne représentent pas l’état actuel des connaissances climatiques, mais sont énumérés ci-dessus pour montrer que certains aspects de la science du climat sont établis depuis longtemps (par exemple l’effet de serre).

** Par souci de synthèse, nous avons principalement cité des études antérieures pour montrer depuis combien de temps les scientifiques étudient le CO2 en tant que gaz à effet de serre. Toutefois, par souci de clarté, il est important de  préciser que les preuves scientifiques les plus solides ont été établies au cours des dernières décennies.

COMMENT LA HAUSSE DES CONCENTRATIONS DE CO2 DANS L’ATMOSPHÈRE AUGMENTE LES TEMPÉRATURES MONDIALES PAR L’EFFET DE SERRE

Pour décrire comment le CO2 atmosphérique réchauffe la Terre, commençons par prendre du recul – en observant le Soleil, la Terre et l’espace – puis nous ferons un zoom avant pour expliquer ce qui se passe à l’échelle moléculaire. Comprendre ce qui se passe à ces deux échelles aide à dresser une image plus claire de l’effet de serre et du rôle du CO2.

Lorsque nous faisons un pas en arrière, nous observons que la quasi-totalité de l’énergie reçue par la Terre provient du Soleil et que toute l’énergie perdue repart dans l’espace. C’est l’équilibre entre ces gains et ces pertes qui modifie les températures terrestres. Lorsque la quantité d’énergie solaire entrante est différente de la quantité d’énergie renvoyée dans l’espace, notre climat peut être décrit comme déséquilibré ; si l’énergie entrante est plus importante, la Terre se réchauffe, et si l’énergie sortante est plus importante, la Terre se refroidit. Lorsque cette énergie est piégée, elle est également stockée dans différents compartiments du système climatique de la Terre, notamment les océans, les terres, les glaces et l’atmosphère. Cet équilibre énergétique est illustré dans la figure 1 ci-dessous.

Figure 1 – Le bilan énergétique de la Terre montrant un climat équilibré à gauche (équilibre entre l’énergie entrante et sortante), et un climat déséquilibré à droite (l’énergie entrante est supérieure à l’énergie sortante) où l’excès d’énergie est stocké dans les compartiments du système climatique de la Terre (par exemple, les océans, la glace, la terre et l’atmosphère). Source : Sixième rapport d’évaluation du GIEC[2]

Ce déséquilibre énergétique explique comment la Terre se réchauffe, mais il est nécessaire de descendre à l’échelle moléculaire pour comprendre pourquoi cela se produit. Après tout, étant donné que le vide glacial de l’espace est à environ -270°C, pourquoi la Terre ne perdrait-elle pas rapidement l’énergie qu’elle reçoit du Soleil? 

La clé réside dans la composition de notre atmosphère, à savoir la présence de gaz à effet de serre – comme le CO2 – qui aident à piéger la chaleur. Comme l’explique la chronologie ci-dessus, la relation entre le CO2 et le réchauffement climatique a été découverte au milieu du XIXe siècle. À cette époque, les scientifiques ont découvert que certaines molécules (les gaz à effet de serre) absorbent et ré-émettent le rayonnement infrarouge, tandis que d’autres le laissent passer – des caractéristiques décrites respectivement comme opaques et transparentes[3,4]. C’est important car, alors que ces molécules n’absorbent pas la lumière du soleil (un rayonnement à courte longueur d’onde), la surface de la Terre l’absorbe. En réponse, la surface de la Terre émet des rayonnements infrarouges vers l’atmosphère où ils sont absorbés par le CO2, puis réémis dans toutes les directions, dont une partie revenant vers la Terre et une autre s’échappant dans l’espace[3]. Le rayonnement infrarouge renvoyé vers la surface de la Terre augmente les températures, tandis que celui qui est perdu dans l’espace les diminue – ce qui fait partie de l’équilibre énergétique mentionné plus haut. Les deux figures ci-dessous illustrent ce processus à différentes échelles. La figure 2 montre ce processus à une grande échelle (c’est-à-dire en montrant le rayonnement entrant et sortant), les flèches jaunes représentant le rayonnement solaire (de courte longueur d’onde) et les flèches orange montrant le rayonnement infrarouge (de grande longueur d’onde). Notez que les gaz à effet de serre agissent comme des barrières, interceptant et redistribuant le rayonnement sortant sous forme de chaleur. Sans les gaz à effet de serre, le rayonnement infrarouge (la chaleur) émis par la Terre s’échapperait simplement dans le vide froid de l’espace. La figure 3 montre ce qui se passe à l’échelle moléculaire lorsque les gaz à effet de serre interagissent avec le rayonnement infrarouge (représenté par des flèches orange dans la figure 2).

Figure 2 – Illustration de l’énergie entrante et sortante affectée par l’effet de serre naturel (à gauche) et l’effet de serre renforcé par les activités humaines (à droite). La vapeur d’eau (H2O) joue un rôle important dans le maintien de l’effet de serre naturel, tandis que l’augmentation du CO2 est à l’origine de l’effet de serre renforcé par l’Homme. Le rayonnement solaire entrant, à courte longueur d’onde (‘shortwave radiation’), est représenté par les flèches jaunes et le rayonnement terrestre sortant, de grande longueur d’onde (‘longwave radiation’), est représenté par les flèches oranges. Source : Climate change: Strategies for mitigation and adaptation[8]
Figure 3 – Transfert d’énergie radiative et cinétique dans les gaz à effet de serre et les gaz non à effet de serre en réponse au rayonnement infrarouge. Notez que les gaz à effet de serre absorbent le rayonnement infrarouge et transfèrent l’énergie par mouvement ou réémission, tandis que les gaz non à effet de serre n’ont que peu ou pas d’interactions avec le rayonnement infrarouge. Source : Skeptical Science/John García

Les interactions à l’échelle moléculaire sont importantes car elles expliquent pourquoi le CO2 est capable de provoquer le réchauffement climatique global[2], alors qu’il représente une part plus faible de l’atmosphère terrestre que l’azote (N2) et l’oxygène (O2). Le CO2 absorbe et réémet le rayonnement infrarouge, tandis que le N2 et l’O2 ne le font pas dans les conditions terrestres[4] (figure 3). 

Les premières expériences ont révélé cette propriété du CO2 et permis de formuler la théorie de l’effet de serre, mais ce n’est que plus tard que les scientifiques ont démontré de façon irréfutable que l’augmentation du CO2 est à l’origine du réchauffement climatique moderne. La plupart des preuves ont été recueillies entre 1990 et 2024, comme l’indique la chronologie de la première partie de l’article. Science Feedback a résumé certaines de ces preuves dans plusieurs articles antérieurs, dont les liens figurent ci-dessous :

Ce qu’il faut retenir de ces précédents articles est que les scientifiques ont trouvé des preuves irréfutables du lien entre l’augmentation du CO2 et la hausse des températures mondiales à l’époque moderne. Par exemple, les scientifiques constatent qu’actuellement, les gaz à effet de serre provoquent le réchauffement le plus important parmi tous les facteurs de changement climatique, et que le CO2 est le plus important de tous les gaz à effet de serre (figure 4).

Figure 4 – Contributions des différents facteurs au réchauffement climatique de la période actuelle (2010-2019) par rapport à la période 1850-1900. Les estimations du réchauffement (rouge) et du refroidissement (bleu) provenant des études sur le forçage radiatif (panneau (c)) sont basées sur les émissions directes dans l’atmosphère et sur leur effet, et le cas échéant, sur d’autres facteurs climatiques. Source : GIEC (2021)[2]

Il est également prouvé que les températures mondiales augmentent de façon logarithmique à mesure que les concentrations atmosphériques en CO2 augmentent, avec un décalage de 20 ans[3,9] (figure 5).

Figure 5 – Forçage radiatif du CO2 (par rapport à la concentration atmosphérique de CO2 de 389 ppm – la concentration au moment de l’étude). Source : Zhong et Haigh (2013)[3]

Ce constat est particulièrement important car il montre que même si le forçage radiatif supplémentaire (le déséquilibre du bilan radiatif induit par les activités humaines) diminue progressivement avec l’augmentation des concentrations de CO2, il reste positif (c’est-à-dire que les températures ne cessent pas d’augmenter)[3]. Ceci est clairement visible sur la figure 5, où le forçage radiatif continue d’augmenter avec les concentrations de CO2

Il est important de noter que, bien que la pente devienne moins raide, le réchauffement planétaire qui en résulte a toujours des conséquences négatives pour l’humanité et les écosystèmes. Comme l’explique le GIEC, « les risques et les effets néfastes prévus, ainsi que les pertes et les dommages liés au changement climatique augmentent à chaque majoration du réchauffement climatique. »[2] Zhong et Haigh (2013) concluent qu’à mesure que le CO2 augmente dans l’atmosphère, il n’existe pas de seuil de saturation où il ne causera plus de forçage radiatif – il continuera donc d’être un facteur de réchauffement climatique[3].
Les nombreuses preuves des effets du CO2 sur le climat ont conduit le GIEC, l’autorité mondiale en matière de science du climat, à déclarer que « les preuves sont claires que le dioxyde de carbone (CO2) est le principal moteur du changement climatique ». Toutefois, en dépit d’un vaste ensemble de preuves et d’un consensus écrasant parmi les climatologues[2,10], des affirmations remettant en cause les capacités de forçage radiatif du CO2 continuent d’émerger. Pour étayer leur argumentaire, ces affirmations caractérisent souvent de manière erronée et exagérée des aspects plus complexes du forçage radiatif du CO2 (par exemple, la physique de l’absorption du rayonnement infrarouge). C’est pourquoi, nous aborderons plus en  détail le forçage radiatif dans la section suivante, afin d’examiner ces affirmations. Nous conclurons par des commentaires d’experts en sciences du climat afin d’apporter des éclaircissements supplémentaires.

RIEN NE PROUVE QU’IL Y A UNE SATURATION DE L’ATMOSPHÈRE EN CO2

Nous avons montré que les fondements scientifiques de l’effet de serre – et la contribution du CO2 à celui-ci – sont bien établis. Mais comment les scientifiques savent-ils que le forçage radiatif dû au CO2 se poursuit et qu’il n’a pas atteint une limite supérieure ?

Comme nous l’avons déjà mentionné, des personnes continuent à affirmer que le CO2 n’est plus capable de jouer son rôle de gaz à effet de serre, qu’il ne peut « plus réchauffer l’atmosphère terrestre parce que le CO2 est saturé ». Cette affirmation est loin d’être nouvelle. En fait, elle remonte au début du XXe siècle, lorsque l’étude de l’effet de serre (avant d’être appelée ainsi) en était à ses débuts. D’après la chronologie présentée précédemment, vous vous souviendrez qu’en 1896 Svante Arrhenius a quantifié l’effet de réchauffement dû à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère. En 1900, Knut Ångström, un physicien suédois, a utilisé des données expérimentales – qui se sont avérées inexactes par la suite[4] – pour affirmer que le CO2 ne pouvait pas affecter le climat de la Terre. Bien qu’elles aient été démenties il y a plusieurs dizaines d’années, ces affirmations continuent d’être diffusées. Nous expliquons ci-dessous pourquoi ces affirmations sont incorrectes sur la base des preuves scientifiques disponibles.

La première affirmation récurrente est qu’il y a « saturation du centre de la bande d’absorption du CO2, de sorte qu’il ne peut plus provoquer de réchauffement ». Plus précisément, Knut Ångström expliquait que cela était dû à la saturation du centre de la bande d’absorption (environ 15 nanomètres) et du chevauchement entre les bandes d’absorption du CO2 et de la vapeur d’eau. Cependant, cette affirmation présente plusieurs problèmes qui la rendent trompeuse et inexacte. 

Il est utile de faire une parenthèse pour expliquer pourquoi les molécules des gaz à effet de serre absorbent le rayonnement infrarouge. Plus tôt, lorsque nous avons introduit le concept de gaz à effet de serre, nous avons mentionné les termes opaque et transparent. Normalement, ces termes sont utilisés pour décrire des matériaux qui laissent passer la lumière (transparents) ou qui la bloquent (opaques). Cela se produit car: soit le matériau absorbe les longueurs d’onde de la lumière; soit la laisse passer. Les bandes d’absorption correspondent aux longueurs d’onde auxquelles une molécule absorbe les rayonnements. Les molécules peuvent donc être transparentes ou opaques à certaines longueurs d’onde. Dans le cas du CO2, par exemple, il est transparent à la lumière du soleil mais opaque au rayonnement infrarouge, qu’il absorbe et réémet. 

Comme l’explique la citation de Zhong et Haigh (2013), il existe toujours des régions des bandes d’absorption où le CO2 est opaque : « Alors que le centre de la bande des 15μm [ndlr: la bande centrale mentionnée dans l’affirmation de « saturation »] devient saturé, les ailes de la bande et, surtout, les bandes des 10μm deviennent dominantes dans la détermination des effets radiatifs – et celles-ci sont loin d’être saturées. »[3] C’est la première raison pour laquelle l’affirmation de saturation en CO2 est inexacte. Zhong et Haigh (2013) expliquent ensuite : « Nous concluons qu’à mesure que la concentration de CO2 dans l’atmosphère terrestre continue d’augmenter, il n’y aura pas de saturation dans son absorption du rayonnement et qu’il ne peut donc y avoir aucun excès d’optimisme à l’égard de son potentiel à réchauffer davantage le climat. »

D’autres études ont abouti à des résultats similaires. Par exemple, la figure 6 ci-dessous de Pierrehumbert (2011) montre les bandes d’absorption de H2O et CO2, respectivement, avec des régions qui ne se chevauchent pas totalement, ce qui limite la concurrence entre le CO2 et la vapeur d’eau. Il convient de noter que les concentrations atmosphériques actuelles et prévues de CO2 se situent dans la fourchette (par exemple, entre 300 ppm et 1 200 ppm) où les « ailes de la bande » deviennent dominantes dans la détermination du forçage radiatif, comme l’explique la citation précédente de Zhong et Haig (2013).

Figure 6 – Coefficients d’absorption du CO2 (en rouge) et de H2O (en bleu) en fonction du nombre d’ondes. Le graphique du haut est un tracé de la fonction de Planck qui montre comment différentes régions spectrales (c’est-à-dire des gammes de nombres d’ondes) affectent le bilan énergétique de la Terre (c’est-à-dire le flux d’énergie quittant la Terre). Les lignes horizontales en pointillés montrent là où le CO2 absorbe fortement pour des concentrations atmosphériques de CO2 de 300 ppm à 1200 ppm (les concentrations actuelles sont de 424 ppm en août 2024). Le graphique à droite montre une région de chevauchement entre l’absorption du rayonnement infrarouge pour H2O et CO2. Le rectangle vert représente la zone du spectre où le rayonnement infrarouge est absorbé à de faibles concentrations de CO2, tandis que le rectangle orange représente la zone d’absorption élargie qui se produit à des concentrations plus élevées. Source : Pierrehumbert (2011)[4]

Affirmer que « le CO2 est saturé » est également trompeur en raison du manque de précision ; cela ne précise pas à quelle altitude ou dans quelle région le CO2 devient saturé, ce qui revient à traiter l’atmosphère comme une unité unique et homogène où tout le CO2 est saturé par le rayonnement infrarouge. En réalité, l’atmosphère terrestre est stratifiée ; les conditions physiques (pressions, températures et compositions chimiques) varient d’une altitude à l’autre (figure 7). Le type et la quantité de rayonnement absorbé peuvent varier en fonction de l’altitude, ce qui a des conséquences différentes sur le réchauffement climatique. Par exemple, il y a beaucoup plus de vapeur d’eau près de la surface de la Terre que dans la haute atmosphère – où la chaleur de la Terre est perdue – et donc moins de concurrence entre le CO2 et le H2O à des altitudes plus élevées[4]. S’il n’y pas d’eau, le rayonnement ne peut interagir qu’avec le CO2 et donc l’eau ne peut pas causer de saturation à cette altitude.

Figure 7 –  Les différentes couches de l’atmosphère terrestre (pas à l’échelle) comprennent, de la plus proche à la plus éloignée de la surface de la Terre, la troposphère, la stratosphère, la mésosphère, la thermosphère et l’exosphère. Les flèches rouges indiquent les directions principales/nettes du rayonnement réémis après absorption ; le CO2 dans les couches extérieures de l’atmosphère terrestre émet de la chaleur vers l’espace, ce qui provoque un refroidissement, tandis que le CO2 dans les couches inférieures retient la chaleur et augmente les températures mondiales. Source : NCAR/NSF

Cette distinction est importante pour comprendre pourquoi les affirmations de « saturation en CO2 » et “d’absorption concurrente de H2O-CO2 » sont incorrectes. Comme l’explique Pierrehumbert (2011) :

“Une idée fausse liée à la saturation, également popularisée par Ångström, est que le CO2 ne pourrait avoir aucune influence sur le bilan radiatif parce que la vapeur d’eau absorbe déjà tous les infrarouge que le CO2 pourrait absorber. L’atmosphère tropicale de la Terre, très humide et proche de la surface, est presque saturée dans ce sens, mais l’argument d’Ångström présente un défaut : le rayonnement dans la partie du spectre affectée par le CO2 s’échappe vers l’espace à partir des parties supérieures froides et sèches de l’atmosphère, et non à partir des parties inférieures chaudes et humides. »[4]

L’article explique également que l’encadré de la figure 6 (à droite) ci-dessus montre que :

« Les lignes spectrales de la vapeur d’eau et du CO2 s’entrecroisent mais ne se chevauchent pas totalement. Cette structure limite la concurrence entre le CO2 et la vapeur d’eau ».

Comme nous l’avons montré, les climatologues ont trouvé des preuves irréfutables que le CO2 augmente les températures mondiales par forçage radiatif. Cependant, les scientifiques ont longtemps eu du mal à collecter l’une des dernières preuves : des observations satellites continues et de haute qualité du rayonnement infrarouge sortant. Mais les choses ont changé en 2023, lorsqu’une nouvelle étude a fait état de ses conclusions après avoir analysé les mesures satellites du rayonnement infrarouge entre 2003 et 2021. Raghuraman et al. (2023) expliquent que « ces observations sans précédent fournissent des mesures de la chaleur thermique émise par la Terre à des longueurs d’onde de petite échelle, c’est-à-dire dans le spectre infrarouge, ce qui nous permet de déterminer avec précision l’effet de l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre sur le climat de la Terre. Nous constatons de fortes augmentations de la chaleur piégée par le CO2, le CH4 et le N2O. »[7] Le rayonnement sortant est un élément essentiel du modèle d’équilibre énergétique dont nous avons parlé précédemment (c’est-à-dire l’énergie entrante par rapport à l’énergie sortante). L’avantage de la collecte de ces données par satellite est qu’elles montrent la « signature » finale du rayonnement sortant – le résultat final des transferts radiatifs complexes qui se produisent sur Terre.

En résumé, les affirmations relatives à la saturation du CO2 ne sont pas nouvelles et ont été prouvées inexactes par plusieurs décennies de preuves scientifiques. Récemment, de nouvelles formes de preuves scientifiques, telles que les observations par satellite du rayonnement sortant[7], ont encore démontré que le CO2 n’est pas saturé et qu’il contribue toujours au forçage radiatif. Malgré cela, les gens continuent à faire ces affirmations, comme le montre l’article du Daily Sceptic publié le 24 avril 2024. 

Feedback Des Scientifiques

Pour compléter notre enquête sur les affirmations générales concernant la saturation du CO2, nous avons invité des experts en sciences du climat à commenter l’article du Daily Sceptic et les affirmations qui y sont faites :

Affirmation 1 : « Des preuves scientifiques sont apparues pour suggérer que l’atmosphère terrestre est ‘saturée’ en dioxyde de carbone, ce qui signifie qu’à des niveaux plus élevés, le ‘gaz à effet de serre’ n’entraînera pas de hausse des températures » (en référence à Kubicki et al. 2024).

Affirmation 2 : « Les modélisateurs du climat et les scientifiques du camp anthropogénique ne sont pas près d’établir une hausse de température pour un doublement du CO2 dans l’atmosphère. Les estimations allant de 0,5°C à environ 6°C, avec quelques valeurs aberrantes atteignant 10°C, ne sont guère plus que des suppositions« 

Vous trouverez ci-dessous les retours reçus de la part des climatologues.

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Paulo Ceppi

Senior Lecturer, Imperial College London

Ces affirmations sont complètement infondées. Sur le premier point : il existe un consensus scientifique sur le fait que l’atmosphère terrestre est loin d’être saturée en CO2, en termes d’impact radiatif. Par conséquent, tant que la concentration de CO2 augmente, l’effet de serre se renforce et les températures mondiales augmentent. Selon notre meilleure estimation, la température moyenne mondiale augmente de façon approximativement linéaire avec les émissions cumulées de CO2 (voir par exemple le 6ème rapport d’évaluation du GIEC)[2], et de façon logarithmique avec la concentration de CO2.

Sur le deuxième point : notre meilleure estimation de l’évolution de la température moyenne mondiale pour un doublement du CO2 est de 3°C (à l’équilibre, il s’agit donc d’une réponse à long terme), avec un intervalle de confiance de 90 % allant de 2 à 5°C. Ces données sont, une fois de plus, résumées dans le 6e rapport d’évaluation du GIEC, groupe de travail 1[2].

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Ralph Keeling

Professor of Climate Sciences, Marine Chemistry and Geochemistry, Scripps Institution of Oceanography

L’impact du CO2 sur le climat n’est pas saturé comme le laisse entendre l’article de Kubicki. Il est vrai que le CO2 devient moins puissant en tant que gaz à effet de serre à mesure que les niveaux continuent à augmenter, en raison d’un effet connu sous le nom de « saturation de bande ». Mais il n’y a pas d’arrêt brutal, et cet effet de saturation, qui est bien compris, fait partie intégrante de notre compréhension du changement climatique.

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Raymond Pierrehumbert

Professor, University of Oxford

(En réponse au commentaire de Ralph Keeling : ) Oui, c’est exact, et cela couvre la situation jusqu’à n’importe quelle concentration de CO2 que la Terre a connue au cours des trois derniers milliards d’années environ. Cependant, même lorsque toutes les bandes sont « saturées » en ce qui concerne la transmission de la surface vers l’espace, l’ajout de CCO2O2 continue à provoquer un réchauffement, car l’ajout de CO2 augmente l’altitude du niveau à partir duquel le rayonnement s’échappe vers l’espace, et celui-ci devient plus froid par rapport à la température au sol en raison du profil de température dans les atmosphères optiquement épaisses. C’est ainsi que Vénus est si chaude. Le mythe de la « saturation en CO2 » n’est que de l’obscurantisme.

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Joanna Haigh

Emeritus Professor, Imperial College London

Les principaux points soulevés par Kubicki en ce qui concerne la saturation de la bande de 15 microns du CO2 sont corrects – à savoir [notamment] que plus le centre de la bande est saturé, plus il y a d’absorption dans les ailes. Cependant, son analyse est trop simpliste. La variation du forçage radiatif en fonction de l’augmentation de la concentration est illustrée dans le document ci-joint, qui tient compte de l’absorption résolue spectralement sur une large gamme spectrale et conclut que la bande est loin d’être saturée. Voir les figures 5 et 6 [de Zhong et Haigh (2013)].

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Ella Gilbert

Research Scientist, British Antarctic Survey

La sensibilité du climat (le changement de température associé à un doublement du CO2 atmosphérique) est un chiffre difficile à déterminer. Les estimations n’ont pas beaucoup changé au cours des décennies qui se sont écoulées depuis que ce concept a été introduit pour la première fois, et le dernier rapport du GIEC la situe entre 2,5 et 4°C :

« La sensibilité climatique à l’équilibre (SCE) se situe probablement entre 2,5°C et 4,0°C, et très probablement entre 2,0°C et 5,0°C »[2] (6ème rapport du GIEC, groupe de travail I, chapitre 7. Voir aussi : Figure 1.16 du groupe de travail 1, chapitre 1).

Figure 8 Résultats de la sensibilité climatique à l’équilibre montrant la fourchette probable et les résultats les moins probables. Source : Sixième rapport d’évaluation du GIEC[2]

Cette fourchette n’est pas très différente de celle rapportée lors de la première véritable tentative de quantification par Charney et ses collègues en 1979 : 1,5-4,5°C (Charney et al., 1979). 

Cela s’explique par la complexité des processus en jeu et par les points d’interrogation qui subsistent au sujet d’importantes rétroactions dans le système climatique, notamment en ce qui concerne les nuages et les rétroactions des nuages. Nous en apprenons toujours plus sur ces rétroactions et sur la manière dont elles peuvent évoluer. De nombreux scientifiques ont souligné la difficulté d’affiner la sensibilité du climat (par exemple Sherwood et al., 2020 ; Sherwood & Forest, 2024)[12,13].

Toutefois, même si les scientifiques ne sont pas d’accord sur la position exacte de la sensibilité climatique dans cette fourchette (ou même au-dessus), cela n’a pas d’importance pour réfuter le principe central de cet article : les émissions de gaz à effet de serre ne réchauffent pas l’atmosphère. Cet argument méconnaît volontairement l’effet de serre.

Les gaz à effet de serre atmosphériques n’ont pas une capacité d’absorption d’énergie limitée – au contraire, les molécules de CO2 émettent et absorbent de l’énergie en permanence. L’idée que l’atmosphère est « saturée » en CO2 est donc erronée. Il existe une réfutation beaucoup plus éloquente de cette idée sur Skeptical Science.

Plus simplement, la sensibilité du climat est positive, ce qui signifie que les émissions de gaz à effet de serre augmentent les températures moyennes mondiales. Cela a été établi à l’aide de nombreuses sources de données, notamment des données d’observation historiques, des données indirectes provenant de périodes beaucoup plus longues (sur des dizaines ou des centaines de milliers, voire des millions d’années) et des simulations numériques[13,2].

Soit dit en passant, il faut toujours se méfier des articles sur la science du climat publiés dans des revues spécialisées dans des domaines autres que la science du climat. Par exemple, l’article sur lequel repose cette affirmation est publié dans une revue d’ingénierie qui n’a aucune réputation dans le domaine des sciences du climat.  Il est très improbable que cet article ait pu arriver jusqu’à l’éditeur d’une revue réputée dans ce domaine.

RÉFÉRENCES:

Note : Les commentaires des scientifiques ont été légèrement édités pour plus de clarté (c’est-à-dire que des informations ont été ajoutées entre parenthèses pour le contexte et que des changements mineurs ont été apportés à la ponctuation).

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