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L’ARN modifié dans les vaccins COVID-19 n’est pas lié au développement du cancer

Posté le : 3 Mai 2024

À RETENIR:

Les ARNm des vaccins contre le COVID-19 sont modifiés chimiquement pour augmenter leur stabilité et améliorer leur capacité à induire une réponse immunitaire robuste. Certains résultats suggèrent que ces modifications chimiques rendent les vaccins anti-cancer à base d’ARNm moins efficaces. Cependant, cela ne signifie pas que les vaccins dirigés contre le COVID-19 augmentent le risque de cancer. Il n’y a d’ailleurs aucune preuve que la vaccination contre le COVID-19 augmente ce risque.

ÉLÉMENT ANALYSÉ

Infondé

“Les spécialistes de l’ARNm démontrent que la solution miracle (ajout de pseudouridine) pour produire industriellement le Pfizer et Le Moderna est cancerigène”

Source: Le blog de Patrice Gibertie, Patrice Gibertie, 12 Avr 2024

DÉTAIL DU VERDICT

Déforme les propos de la source:

Cette affirmation découle de la conclusion d’une revue des données scientifiques qui n’a pas correctement représenté les résultats publiés. Contrairement à l’affirmation, les données citées comme preuves ne démontrent pas que que l’ARNm modifié, tel que celui utilisé dans les vaccins contre le COVID-19, favorise le développement du cancer.

Preuves insuffisantes:

L’affirmation suggère que de nouveaux résultats établissent un lien entre les vaccins contre le COVID-19 et le développement du cancer. Cependant, la publication scientifique utilisée pour appuyer cette affirmation est une revue de la littérature. Ce type de publication résume les connaissances existantes, mais ne fournit aucun résultat nouveau.

AFFIRMATION COMPLÈTE

“Les spécialistes de l’ARNm démontrent que la solution miracle (ajout de pseudouridine) pour produire industriellement le Pfizer et Le Moderna est cancerigène”; “l’ajout de 100 % de N1-méthyl-pseudouridine (m1Ψ) au vaccin à ARNm dans un modèle de mélanome a stimulé la croissance du cancer et les métastases”

Vérification

Science Feedback, ainsi que d’autres organisations, ont réfuté à plusieurs reprises les affirmations infondées et les analyses erronées qui suggéraient que les vaccins COVID-19 augmentent le risque de cancer. Nous avons également expliqué que les prévisions en hausse de nouveaux diagnostics de cancer aux États-Unis en 2024 n’étaient pas liées à la vaccination contre le COVID-19, mais plutôt au vieillissement de la population et au retards dans le dépistage et le traitement du cancer durant la pandémie.

Cependant, l’organisation America’s Frontline Doctors, connue pour diffuser de la désinformation sur le COVID-19, continue de promouvoir ce récit. Elle a en effet affirmé qu’une publication scientifique d’avril 2024 par Rubio-Casillas et al. avait « découvert que les vaccins à ARNm contre le COVID-19 pouvaient favoriser le développement du cancer »[1].

D’autres médias ont également repris ce message. Par exemple, le site américain The HighWire, qui a déjà publié de fausses affirmations sur le COVID-19 et les vaccins, a soutenu que cette publication montrait que « les vaccins à ARNm pouvaient favoriser le développement du cancer ». The HighWire cite également le cardiologue Peter McCullough, lui aussi connu pour propager de la désinformation sur les vaccins COVID-19, pour qui « non seulement les injections à ARNm contre la COVID-19 pouvaient favoriser le développement du cancer, mais elles pouvaient en fait provoquer et aggraver le cancer, et non l’améliorer ». Cette affirmation s’est également retrouvée sur l’internet francophone. 

Cependant, ces affirmations sont infondées. La publication scientifique présentée comme preuve n’apporte aucune nouvelle donnée susceptible de les étayer et interprète de manière erronée les résultats d’une autre étude publiée auparavant.

L’article de Rubio-Casillas et al. ne contient pas de nouvelles informations

Tout d’abord, cet article de Rubio-Casillas et al. n’est pas une étude. Il ne contient pas de résultats expérimentaux ou cliniques nouveaux. Il s’agit en fait d’une revue de littérature. C’est une différence cruciale. En effet, une étude formule une hypothèse et la teste en menant des expériences, des analyses et des essais cliniques, produisant ainsi de nouvelles connaissances.

En revanche, une revue de littérature scientifique synthétise ce qui est déjà connu et fournit une analyse critique des résultats et des hypothèses existantes. Une revue peut conduire à formuler de nouvelles hypothèses et à identifier de nouveaux axes de recherche, mais elle ne présente pas en soi de nouvelles découvertes. Toute nouvelle hypothèse qui serait amenée à émerger de cette revue devrait être confirmée expérimentalement et cliniquement. 

Ainsi, l’affirmation selon laquelle cet article a trouvé un lien entre les vaccins COVID-19 et le cancer n’est pas correcte, car cette hypothèse n’a pas été testée.

Rubio-Casillas et al. ont mal interprété une étude clé sur laquelle ils fondent leur affirmation

L’affirmation principale de Rubio-Casillas et al. était que les ARNm utilisé dans les vaccins COVID-19 contiennent des modifications chimiques qui stimuleraient « la croissance et la métastase du cancer », suggérant ainsi que « les vaccins à ARNm contre le COVID-19 pourraient favoriser le développement du cancer ».

Cette affirmation fait référence aux nucléotides modifiés—les blocs de construction des ARN et des ADN—utilisés dans les vaccins à ARNm contre le COVID-19. Plus précisément, au lieu du nucléotide uridine, l’ARNm du vaccin contient de la N1-méthyl-pseudouridine.

Les ARN non modifiés—utilisant de l’uridine normale — déclenchent une réponse inflammatoire et sont rapidement dégradés après leur entrée dans une cellule. En revanche, les ARN modifiés utilisant de la N1-méthyl-pseudouridine peuvent échapper au système de détection de l’ARN de la cellule et ne déclenchent pas d’inflammation. Les vaccins utilisant de l’ARN modifié sont capables d’induire une plus grande production d’antigènes, sont mieux tolérés en raison d’une inflammation moindre et induisent une mémoire immunitaire plus forte. C’est la découverte du potentiel immunomodulateur de l’ARN modifié qui a valu à Katalin Karikó et Drew Weissman le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2023.

Rubio-Casillas et al. se sont fortement appuyés sur une étude de Sittplangkoon et al. pour soutenir leur affirmation selon laquelle la N1-méthyl-pseudouridine, bien qu’utile pour l’efficacité des vaccins, pourrait également favoriser le développement du cancer. En effet, Sittplangkoon et al. est la seule étude citée dans la revue qui examine directement l’effet des modifications de l’uridine sur l’immunité contre le cancer.

De plus, Rubio-Casillas et al. ont affirmé dans le résumé de leur revue que « des preuves sont fournies […] suggérant que les vaccins à ARNm contre le COVID-19 pourraient favoriser le développement du cancer ». Cette phrase fait référence aux travaux de Sittplangkoon et al. et a été répétée dans plusieurs versions de l’affirmation.

Cependant, il s’agit d’une interprétation incorrecte de cette étude, comme nous l’expliquons ci-dessous.

Il est important de clarifier que Sittplangkoon et al. n’ont pas étudié si les vaccins contre le COVID-19 favorisaient le développement du cancer. En fait, leur travail se concentre sur les vaccins anti-cancer, c’est-à-dire des vaccins renforçant l’immunité contre un cancer spécifique, de la même manière que les vaccins contre le COVID-19 renforcent l’immunité contre le virus SARS-CoV-2.

Pour ce faire, les chercheurs ont injecté à des souris des cellules de mélanome (un type de cancer de la peau) produisant la protéine ovalbumine (une protéine abondante dans le blanc d’œuf). En parallèle, ils ont immunisé certaines de ces souris avec un vaccin contenant de l’ARNm portant l’information génétique pour produire cette protéine d’ovalbumine. L’objectif était de former le système immunitaire des souris à reconnaître et à détruire les tumeurs de mélanome portant de l’ovalbumine, tout comme le vaccin contre le COVID-19 entraîne le système immunitaire à reconnaître et à détruire le SARS-CoV-2 portant la protéine spike.

Il apparaît tout de suite que Sittplangkoon et ses collègues abordent une question scientifique complètement différente de celle que Rubio-Casillas et al. ont tenté de traiter. Rubio-Casillas et al. débattent de savoir si les vaccins COVID-19 à ARNm, qui contiennent l’ARNm de la protéine spike, pouvaient involontairement nuire à notre défense immunitaire contre les cancers spontanés. En revanche, Sittplangkoon et al. se demandent si les ARN modifiés et non modifiés peuvent être utilisés dans un vaccin ciblant un cancer spécifique, induit artificiellement.

Sittplangkoon et al. ont découvert que les vaccins anti-cancer utilisant des ARN non modifiés améliorent l’immunité contre le mélanome. En revanche, les vaccins utilisant des ARN modifiés n’apportent pas d’amélioration par rapport à l’immunité de souris saines non vaccinées (Figure 1).

Figure 1 – Effet des vaccins anti-cancer contenant des ARN modifiés ou non modifiés sur la croissance tumorale. Ce graphique représente la croissance du mélanome chez les souris non vaccinées, ou vaccinées avec de l’ARNm modifié ou non modifié. L’ARN modifié contenant de la N1-méthyl-pseudouridine est indiqué par « 100 % m1Ψ ». Ligne grise : souris vaccinées avec de l’ARN non modifié. Ligne bleue : souris vaccinées avec de l’ARNm modifié. Lignes rouge, orange et verte : souris non vaccinées. Source : Sittplangkoon et al[3].

Il est important de souligner que les souris vaccinées avec des ARN modifiés ne se sont pas retrouvées dans une situation moins bonne que les souris non vaccinées. Ainsi, la présence de N1-méthyl-pseudouridine n’a pas entravé l’immunité des souris contre le cancer ; elle ne l’a tout simplement pas améliorée.

En résumé, les résultats de Sittplangkoon et al. suggèrent que les vaccins anti-cancer seraient plus efficaces s’ils ne contenaient pas d’ARN modifiés. Mais ils n’ont pas montré que la N1-méthyl-pseudouridine contenue dans l’ARNm modifié était préjudiciable à l’immunité anti-cancer déjà existante dans notre corps. En l’absence d’un tel constat, l’affirmation de Rubio-Casillas et al. est infondée et dénature les conclusions de Sittplangkoon et al. Nous avons contacté Rubio-Casillas et al. pour savoir s’ils avaient pris en compte les résultats de Sittplangkoon et al. tels que nous les avons présentés ici.

Le premier auteur, Alberto Rubio-Casillas, a répondu par e-mail, reconnaissant que leur publication « est un article de revue, pas un travail expérimental » et qu’elle avait été « déformée sur les réseaux sociaux ». Les auteurs maintiennent leurs conclusions, mais n’ont pas fourni de nouvelles preuves pour réfuter notre conclusion selon laquelle les souris immunisées avec de l’ARN modifié avaient un résultat équivalent ou meilleur que les souris non immunisées.

En conclusion, Rubio-Casillas et al. n’ont offert aucune nouvelle donnée pour étayer l’affirmation selon laquelle les vaccins contre le COVID-19 causent le cancer ou favorisent le développement du cancer. Cette affirmation repose fortement sur une étude de Sittplangkoon et al. qui n’était pas liée aux vaccins contre le COVID-19 et n’a pas montré ce que Rubio-Casillas et al. ont prétendu.

References:

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