• Climat

Après l’amende infligée à CNews pour désinformation climatique, YouTube monétise une vidéo qui reprend les mêmes propos

Posté le : 4 Déc 2025

À retenir

  • L’ARCOM a infligé une amende de 20 000 euros à CNews le 3 juillet 2024 suite à la diffusion de propos climatosceptiques tenus par l’économiste Philippe Herlin sur la chaîne le 8 août 2023. Cette décision a été confirmée par le Conseil d’État le 6 novembre 2025. 
  • Le 18 novembre 2025, le média Tocsin a diffusé sur YouTube une vidéo comprenant la séquence de CNews sanctionnée par l’ARCOM suivie d’une interview de Philippe Herlin.
  • Cette séquence nie le réchauffement climatique et l’existence d’un consensus scientifique sur le sujet. Elle relève de la désinformation. La vidéo de Tocsin est accompagnée de publicités, en violation des propres règles de YouTube sur la désinformation climatique. 
  • Il y a un consensus scientifique fort sur le réchauffement global du climat, qui a été observé par de très nombreux moyens sur Terre, dans les océans et depuis l’espace. Le consensus est également fort sur la responsabilité des humains dans ce réchauffement.
  • Les modèles climatiques sont globalement fiables et permettent de faire des projections du climat sur plusieurs décennies.

Contenu vérifié

Erroné

Le réchauffement climatique anthropique est un mensonge, il n’y a pas d’équation mathématique qui lie le CO2 à la température.

Source : YouTube, Tocsin, CNews, Philippe Herlin, 18 Nov 2025

Détail du verdict

Erroné :

Le réchauffement climatique est une réalité constatée par de nombreuses observations, et son origine anthropique repose sur un consensus scientifique très fort.

Trompeur :

Il existe bien des équations mathématiques qui décrivent la relation entre la quantité de CO2 émis et la hausse des températures. Les modèles climatiques sont globalement fiables et permettent de faire des projections du climat sur plusieurs décennies.

Affirmation complète

Le réchauffement climatique anthropique est un mensonge, une escroquerie, il n’y a pas de consensus scientifique, les modèles climatiques ne marchent pas, il n’y a pas d’équation mathématique qui lie le CO2 à la température, un prix Nobel dit qu’il n’y a pas d’urgence climatique.

Vérification

Le 8 août 2023, l’économiste Philippe Herlin tenait des propos climatosceptiques sur CNews  dans l’émission “Punchline été”, qualifiant le réchauffement climatique anthropique (causé par les activités humaines) de “mensonge”, “escroquerie” et conduisant à un “totalitarisme”. 

Saisie par l’ONG Quota Climat, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) infligeait à la chaîne une amende de 20 000 euros le 3 juillet 2024, finalement confirmée par le Conseil d’Etat le 6 novembre dernier. La vidéo de l’émission était encore visible sur le site de CNews au 27 novembre (capture d’écran ci-dessous). Elle restait également  visible sur Dailymotion à cette date. 

Capture d’écran de l’émission de CNews diffusée pour la première fois le 8/8/2023 – date de la capture : 27/11/2025 – Source : CNews replays

Une première dans la lutte contre la désinformation climatique, qui n’a pas empêché l’économiste de récidiver, cette fois avec la complicité du média en ligne Tocsin, le 18 novembre dernier. L’émission comprend un large extrait de la séquence de CNews sanctionnée par l’ARCOM ainsi que l’interview de Philippe Herlin. 

La vidéo est accompagnée de publicités et très probablement monétisée, en violation des propres règles de YouTube sur la publicité (Google Ads) qui stipulent notamment que : 

“YouTube interdira la publicité et la monétisation de contenus contredisant le consensus scientifique établi sur l’existence et les causes du changement climatique. Sont notamment concernés les contenus qualifiant le changement climatique de canular ou d’escroquerie, les affirmations niant le réchauffement climatique constaté sur le long terme, ainsi que celles niant la contribution des émissions de gaz à effet de serre ou des activités humaines au changement climatique

En 2021, une enquête de Science Feedback avait montré que malgré cette volonté affichée, la plateforme ne démonétisait pas systématiquement les vidéos de désinformation climatique. Nous avons contacté YouTube pour savoir si la plateforme était consciente de l’existence de la vidéo de Tocsin, et mettrons à jour cet article si nous recevons une réponse. 

Science Feedback a analysé les principales allégations de Philippe Herlin sur le climat dans la séquence reprise de CNews et l’interview (nous indiquons le moment où chaque allégation est prononcée dans la vidéo de Tocsin entre parenthèses). 

Nous y avons détecté nombre d’arguments erronés et/ou trompeurs : négation du consensus scientifique sur le climat, confusion, références à une science marginale, argument d’autorité, fausse comparaison historique, théories du complot infondées… Ces arguments relèvent de la désinformation. 

Analyse

Affirmation 1 (erroné) : ‘Il n’y a pas de réchauffement climatique.’

Faisant une analogie avec des prédictions de “500 000 morts si on ne confinait pas” la population” du fait du COVID si on ne confinait pas (en 2020) et indiquant que ce confinement “n’a servi à rien” pour démontrer une prétendue inefficacité des modèles climatiques, Philippe Herlin conclut :  

“donc il n’y a pas de réchauffement climatique.” (1:34 – 1:36)

Cette affirmation contredit les très nombreuses observations effectuées au sol, par les satellites et sur les océans, qui sont par exemple indiquées, références scientifiques à l’appui, sur cette page de la Nasa ainsi que dans le dernier rapport du GIEC : hausse de la température globale, de la température des océans, rétrécissement des calottes polaires, retrait des glaciers, de la couverture neigeuse, acidification des océans, hausse du niveau des océans, augmentation de la fréquence des événements extrêmes. 

Par exemple, les mesures effectuées sur les 100 premiers mètres de profondeur des océans révèlent une hausse globale de la température de près de 0,7 degrés depuis 1990 (Figure 1). Cette hausse n’a rien de négligeable. Les océans absorbent près de 90% de la chaleur en excès, avec des conséquences importantes sur les écosystèmes marins notamment [1].

Figure 1 – anomalie moyenne de température sur les 100 premiers mètres des océans, à différentes résolutions temporelles (rouge : trois mois; bleu : 5 ans ; noir : moyenne annuelle). Source : NOAA/NESDIS/NCEI Ocean Climate Laboratory

Affirmation 2 (erroné) :

“Le réchauffement climatique anthropique est un mensonge, une escroquerie.” (0:42 – 0:47)

“Les défenseurs du réchauffement parlent d’un consensus largement fabriqué.” (7:05 – 7:15)

Il s’agit de la négation d’un fait scientifique aujourd’hui solidement établi, puisque de nombreuses preuves scientifiques ont confirmé l’origine humaine du réchauffement climatique et permis de rejeter les hypothèses alternatives. Science Feedback a déjà vérifié une allégation similaire trompeuse tenue sur CNews. Des simulations ont été réalisées, qui montrent que les facteurs naturels (volcanisme, activité du Soleil, phénomène climatique récurrent de type El Niño par exemple) ne peuvent expliquer à eux seuls la hausse des températures mesurée (Figure 2)

Figure 2 – En employant des modèles climatiques, les scientifiques simulent l’effet des facteurs influençant les températures à la surface du globe. Le réchauffement observé (en noir) n’est reproduit que dans les simulations prenant en compte l’influence humaine. Les bandes colorées représentent les fourchettes obtenues par les nombreux modèles utilisés. Les lignes pleines indiquent la moyenne de l’ensemble des modèles. Source : 6ème rapport du GIEC

Dans le même rapport, le GIEC détaille pour chaque milieu (atmosphère, océan, glaces, etc.) le niveau de confiance dans le changement observé et dans la responsabilité humaine responsable de ce changement (figure 3). Il ressort que beaucoup de ces changements observés sont imputables aux activités humaines avec un niveau de certitude élevé.

Figure 3 – Évaluation des changements observés dans les indicateurs à grande échelle du climat moyen à travers les composantes du système climatique (colonne de gauche), et leur attribution à l’influence humaine (colonne de droite). Le code couleur indique le niveau de confiance/la probabilité d’attribuer le changement observé (de jaune clair : confiance moyenne, à noir : fait établi), et la contribution humaine en tant que facteur (driver) ou facteur principal (Main driver) (précisé dans ce cas) lorsqu’elle est disponible. Source : GIEC

Quant au consensus au sein de la communauté scientifique sur l’origine anthropique du changement climatique, il existe bien et il est très fort, contrairement à ce que prétend Philippe Herlin : selon des travaux parus en 2021, près de 99 % des nombreuses études sur le climat acceptent la conclusion que l’être humain est responsable de la quasi-totalité du réchauffement climatique constaté (+1,1°C entre les périodes 1850-1900 et 2011-2020)[2]

Affirmation 3 (erroné – trompeur) : ‘Il n’y a pas d’équations mathématiques qui mettent en rapport les émissions humaines de CO2 et une augmentation de la température.’

Prenant l’exemple de la célèbre formule mathématique couramment simplifiée “e=mc2” de la relativité restreinte d’Albert Einstein qui établit la relation entre masse et énergie (la formule originelle est en réalité plus complexe), Philippe Herlin affirme: 

“Il n’y a pas d’équation équivalente entre émissions humaines de CO₂ et augmentation de température.” (0:55 – 1:07)

C’est faux. La relation entre les émissions humaines de CO2 et le climat est établie par des équations mathématiques, qui décrivent notamment : 

  • le forçage radiatif :  c’est la différence entre l’énergie que reçoit la Terre du Soleil et celle réémise vers l’espace par le système Terre/atmosphère. Cet équilibre est sensible aux gaz à effet de serre (qui réchauffent la Terre) et aux aérosols issus de pollutions (qui ont un effet refroidissant). 
  • la sensibilité climatique (réchauffement à la surface de la terre en réponse à un doublement de la concentration de l’atmosphère en CO2 par rapport à l’ère préindustrielle).

Ces équations sont intégrées dans des modèles climatiques. Ceux-ci sont alimentés par des données issues de mesures au sol et dans l’espace, et des projections (émissions de gaz à effet de serre par exemple), ce qui permet au GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) d’élaborer différents scénarios de l’évolution du climat. 

Affirmation 4 (trompeur) : ‘Les modèles climatiques ne marchent pas’

À propos des modèles de climat, Philippe Herlin déclare : 

“Un modèle c’est prendre des données du passé et faire des hypothèses… en économie ça marche pas, donc ici non plus.” (1:13 – 1:22)

Pour tester leur capacité à prédire les températures futures, les projections issues de modèles climatiques publiées entre 1973 et 2013 ont été comparées aux températures réellement observées par cinq organismes scientifiques. Résultat : ces modèles s’avèrent globalement fiables. Les températures observées suivent de près les tendances prévues (voir figure 4), confirmant que les modèles climatiques parviennent efficacement à anticiper le réchauffement global sur plusieurs décennies.

Figure 4 – projections de la hausse des température issues des modèles, publiées dans le 5ème rapport d’évaluation du GIEC en 2013 (courbe en noir), comparées aux mesures de terrain effectuées par 5 organismes scientifiques (courbes en couleur). Avant 2006 : données historiques, après 2006 : projections. Source : Carbon Brief

Affirmation 5 (trompeur) :

“Il y a de nombreux scientifiques qui le disent… comme Clintel… aucune urgence climatique.” (1:38 – 1:46)

Clintel est une organisation fondée en 2019 qui se donne comme objectif de contredire les travaux du GIEC. Elle est à l’initiative de la pétition “World climate declaration”, qui veut faire passer le message qu’ “il n’y a pas d’urgence climatique” et relativise la responsabilité humaine dans le réchauffement. Cependant, sur les quelque 2000 signataires (au 21/11/2025), on ne retrouve que très peu de climatologues.    

Science Feedback a démontré que Clintel s’appuie sur des affirmations erronées dans le texte de sa pétition.

L’argument de Philippe Herlin vise à introduire un faux équilibre entre scientifiques qui seraient “pour” (le GIEC) et “contre” (Clintel), ce qui ne représente pas la réalité. Le GIEC mobilise des milliers de scientifiques, tous spécialistes du climat et auteurs de très nombreuses publications. Il synthétise tous les travaux sur le climat, et non uniquement ceux qui viennent à l’appui d’une thèse climatosceptique comme le fait Clintel. Pour le seul volet “Sciences physiques” du dernier rapport du GIEC (2023), près de 14 000 publications ont ainsi été examinées.  

Le consensus scientifique sur l’ampleur du réchauffement et la responsabilité humaine dans celui-ci est très large, comme nous l’avons indiqué.  

“Le prix Nobel de physique 2022 dit qu’il n’y a pas de réchauffement climatique.” (1:48 – 1:55)

Philippe Herlin fait référence à une déclaration de John Clauser, prix Nobel de physique 2022 pour ses travaux sur la mécanique quantique, ainsi formulée :  “je pense que le changement climatique n’est pas une crise”. Ce dernier qualifie en outre le GIEC de “pire source de désinformation”. John Clauser est également signataire de la déclaration de Clintel (lire ci-dessus).

Philippe Herlin emploie une méthode de désinformation classique qui fait appel à un argument d’autorité. Or, John Clauser est certes un expert dans son propre domaine, celui de la physique à de très petites échelles (quantiques) et du comportement de certaines particules (photons), mais qui n’a aucun lien avec le domaine du climat . Il est donc moins légitime à en parler qu’un climatologue, surtout à une époque où la science est ultra-spécialisée. 

Un débat scientifique sur les travaux du GIEC ne lui est pas pour autant interdit – quelques controverses concernant le GIEC ont d’ailleurs été documentées, elles sont normales dans le monde scientifique. 

Mais un tel débat doit obéir à des règles bien définies : John Clauser devrait fournir des preuves validées, publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture (peer-review), et soumises à la critique de l’ensemble de la communauté scientifique. Ce n’est pas le cas ici : une simple affirmation ne peut servir à disqualifier la recherche sur le climat.  

Philippe Herlin affirme également que :  “Les défenseurs du réchauffement refusent le débat.” (7:40 – 7:53). Cette affirmation n’est pas vérifiable. Il faut noter que tout scientifique peut apporter des remarques et des objections au travail d’autres chercheurs par le biais des revues scientifiques, notamment en écrivant directement et publiquement à leurs éditeurs, de manière argumentée. C’est ainsi que la science progresse. Les colloques sont également des lieux de débat. 

Affirmation 6 (trompeur):

“On sait très bien depuis l’histoire de toutes les grandes découvertes à chaque fois le découvreur était celui qui était enfin insulté,(…)la dérive des continents de Wegener pendant très longtemps on l’a [fait] passer pour un fou (…) il y a plein d’exemples (…) il faut pouvoir débattre” (9:05 – 9:23)

Cet argument repose sur le mythe du “génie” qui a “raison” contre tous les autres et reste longtemps isolé et incompris. Alfred Wegener (1880-1930) est un météorologue allemand qui a élaboré la théorie de la “dérive des continents”, qui postule que ceux-ci se déplacent à la surface du globe. Il a en effet rencontré une vive opposition d’une partie la communauté scientifique de l’époque, notamment parce que les mécanismes de ce déplacement n’étaient pas explicables, et impossibles à observer – mais aussi nombre de soutiens. Cette théorie a continué à être discutée après sa mort, mais c’est une autre théorie du mouvement des continents reposant sur des causes différentes, la tectonique des plaques, qui a été adoptée. Wegener a incontestablement eu une intuition fertile, mais sa théorie n’est aujourd’hui plus valide.  

L’argument utilisé par Philippe Herlin pour suggérer que le consensus actuel sur le climat pourrait être faux comme l’aurait été un consensus historique sur des continents immobiles à l’époque de Wegener est trompeur. Dans le contexte actuel, les théories climatiques sont solides, les moyens d’observation très sophistiqués, et les possibilités de communication et de discussion de la science sont incomparables à celles du début du XXe siècle. Il s’agit donc d’une mauvaise analogie.

Conclusion :

Négation, confusion, références à une science marginale, argument d’autorité… La séquence de CNews reprise par Tocsin contient de nombreux éléments qui relèvent de la  désinformation. De plus, Philippe Herlin qualifie la science climatique de “totalitarisme”, utilisant un argument de rhétorique politique pour la discréditer.

Dans l’interview à Tocsin, l’économiste prétend que le contradictoire sur CNews  “a été respecté” puisqu’une météorologue, Elena Maksimovich, était présente sur le plateau. Dans ses propos, celle-ci indique que “le mois de juillet 2023 est le plus chaud jamais enregistré (…) c’est hors-normes, hors de tous les modèles climatiques” et “cela correspond aux scénarios les plus pessimistes”

Mais elle ne disqualifie pas pour autant les modèles climatiques, et n’est pas invitée ensuite à réagir directement aux arguments de Philippe Herlin qui taxent le réchauffement climatique d’”escroquerie”. Rappelons pour conclure que la science n’est pas un débat “un pour un contre” sur un plateau de télévision, elle repose sur un large consensus issu de l’examen critique de nombreux travaux de recherche validés. 

Références :

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